L’impôt minimum de 15 % sur les multinationales n’est plus. Et l’administration américaine a aussi pour cible l’organisation du marché numérique européen.
L’accord d’harmonisation fiscale conclu en 2021 au sein de l’OCDE aura duré ce que durent les roses, l’espace d’un instant. Le 28 juin, le sommet du G7, réuni sous la présidence du Canada, a validé la sortie des États-Unis de l’accord qui avait décidé d’imposer un impôt minimum mondial de 15%.
Petit rappel : en octobre 2021, un accord d’harmonisation fiscale qualifié d’ « historique » est signé sous la houlette de l’OCDE: 140 juridictions s’accordent sur une harmonisation de l’imposition des sociétés reposant sur deux piliers. Le pilier 1 vise essentiellement les activités des grandes plateformes numériques. Il doit permettre aux pays d’imposer une « taxe GAFA », c’est à dire de taxer une part des profits des grandes multinationales là où elles réalisent leurs ventes, même sans être physiquement présentes dans les pays où elles opèrent. Le pilier 2 instaure un taux d’imposition minimum mondial de 15% pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros. L’idée est d’empêcher la concurrence fiscale et l’évasion vers des paradis fiscaux.
Piliers effondrés
Plusieurs grandes économies, dont l’Union européenne, le Canada, le Japon et le Royaume-Uni, appliquent ces règles depuis l’an dernier. Mais les États-Unis n’ont jamais ratifié l’accord. Ce refus est antérieur au retour de Donald Trump à la Présidence des États-Unis. Sous la Présidence de Joe Biden, les États-Unis avaient apposé leur signature sous l’accord de l’OCDE, mais le texte n’avait jamais été validé par le Congrès américain. Lorsque Donald Trump est revenu à la Maison Blanche, il a signé un décret retirant les États-Unis de l’accord. Dans les faits, les piliers 1 et 2 n’ont jamais été appliqués aux entreprises américaines.
La nouveauté de ces dernières heures est que les grandes juridictions réunies sous la bannière du G7 officialisent l’exemption américaine, du moins concernant l’imposition minimum de 15 % des multinationales. En échange, l’administration américaine renoncerait (on garde le conditionnel) à la section 899 de la One Big Beautiful Bill, ce paquet fiscal et budgétaire que l’administration Trump est en train de faire voter au Congrès. Cette section 899 est ce que certains appellent la « revenge tax », qui prévoit de taxer les revenus des activités de filiales de sociétés étrangères établies aux États-Unis, si ces entités proviennent de pays jugés « fiscalement déloyaux » par le Trésor américain. On voit toute la subjectivité contenue dans l’adjectif « déloyal ». La section 899 a en outre une portée inédite, car elle concerne non seulement les entreprises privées mais aussi les fonds des gouvernements et des banques centrales.
Compromis fragile
Le compromis atteint au sommet du G7 repose sur l’argument que les règles fiscales américaines existantes sont « équivalentes » à celles de l’OCDE. Ce qui ne tient évidemment pas. Si elles étaient équivalentes, pourquoi mettre tant d’ardeur à vouloir en être exempté ? Si elles étaient équivalentes, les filiales irlandaises d’Apple ou Google paieraient 15 % d’impôt sur leurs revenus. Si elles étaient équivalentes, les entreprises américaines ne bénéficieraient pas de ce nouvel avantage compétitif qui fait que contrairement aux multinationales européennes, elles pourront continuer à bénéficier de régimes fiscaux avantageux dans des juridictions à faible taux d’imposition (comme l’Irlande ou les Bermudes).
Le G7 affirme aussi que ce compromis permet « de préserver la souveraineté fiscale des États tout en stabilisant le système fiscal international ». Dans les faits, c’est plutôt l’instabilité qui va s’installer. D’abord parce que l’accord doit encore être entériné par l’OCDE, qui devra valider cette exemption, ce qui promet de belles empoignades au sein de l’institution.
Ensuite parce que le compromis ne concerne que le pilier 2. Le pilier 1, qui vise à réallouer une partie des bénéfices des grandes multinationales vers les pays où elles réalisent leurs activités, notamment par la réforme de la “taxe GAFA” (taxe sur les services numériques), n’est pas affecté par cet accord du G7.Or, la section 899 vise à considérer les taxes sur les services numériques et les dispositifs anti-abus comme des taxes étrangères injustes.
Monnaie d’échange
Au niveau européen, on essaie cependant de faire passer ce compromis comme une monnaie d’échange dans les négociations qui ont lieu actuellement entre la Commission et l’administration américaine. Des négociations pour éviter d’entrer dans une guerre commerciale et éviter que les produits européens ne soient grevés, à partir du 9 juillet, de droits de douane pouvant atteindre 50 %.
Mais, tradition européenne oblige, les Etats-membres ne parlent pas d’une seule voix. Et on voit déjà le compromis – poussé par l’Allemagne qui veut sauver son industrie automobile et chimique -qui pourrait s’esquisser : l’abandon de la menace américaine contre l’abandon par l’Europe de sa taxe Gafa et des réglementations contraignantes du DSA et du DMA (Digital Services Act, Digital Markets Act), ces réglementations européennes qui obligent les plateformes numériques à lutter contre la diffusion de contenus illicites (ex. : haine, désinformation, contrefaçons) et à mettre en place des procédures transparentes pour la modération des contenus, tout ce qui est en train de disparaître aux États-Unis. Des réglementations qui visent aussi à protéger les entreprises européennes utilisatrices de ces plateformes.
DSA, DMA, clairement, la Maison Blanche et ses grands bailleurs de fonds de Donald Trump (Amazon, Meta, Google…) n’en veulent pas.
Cependant, ce lundi, la Commissaire à la concurrence, la socialiste espagnole Teresa Ribera, a rappelé son opposition au fait de sacrifier le DSA et le DMA pour pouvoir conclure un deal douanier avec les États-Unis. Aucune compromission n’est envisageable au sujet de la souveraineté européenne et de la manière dont l’Europe organise son marché, a-t-elle dit.