Excel, premier producteur de poésie au monde avant Word

Amid Faljaoui

Que dire à la veille de la rentrée? D’abord, qu’il faut espérer que nous sortions enfin de ce tunnel de mauvaises nouvelles long depuis presque deux ans. Plus qu’un souhait, c’est une obligation morale, selon la philosophe et psychanalyste française Cynthia Fleury. Cette dernière reconnaissait dans une interview “qu’une part de mes patients me disaient être atteints, de façon mortifère, par la surexposition à l’information liée aux morts du Covid-19. Mais là, ils me parlent de la surexposition à la désinformation: aucun canal ne semble à l’abri de ces déferlements couplant hostilité, agressivité permanente, désinformation, délires paranoïaques et ressentiment”.

Paradoxalement, tout s’est accéléré quand tout s’est arrêté!

Ce qui signifie qu’il faut apprendre à s’immuniser contre les futures mauvaises nouvelles auxquelles nous ont habitués les médias accros aux clics, sans oublier l’addiction mortifère d’une bonne partie de nos concitoyens aux réseaux sociaux. Bien entendu, je ne préconise pas un retour de la méthode Coué, ni de garder à l’esprit que nous vivons une période difficile, complexe… Tout cela est répété jusqu’à la nausée. Non, je voulais rappeler que nous vivons aussi une époque passionnante.

Des doutes? Souvenons-nous que nous avions tous l’impression que nous vivions dans un monde égoïste, froid, individualiste. Or, la pandémie a montré que nous pouvions faire preuve de solidarité. Les actifs, par exemple, se sont sacrifiés pour protéger les plus anciens, souvent retraités. Pendant des millénaires, c’était l’inverse qui prévalait. Même en période de guerre, jamais des gouvernements n’ont arrêté volontairement leur économie pour la plonger en récession dans le seul but de sauver des vies humaines. Pour un monde jugé froid, économiste, c’est une première dans l’histoire.

Ensuite, gardons à l’esprit que paradoxalement, tout s’est accéléré quand tout s’est arrêté! Les tendances qui existaient avant le virus (comme la digitalisation de notre société) se sont imposées à une vitesse phénoménale. Alexandre Bompard, le patron de Carrefour, a reconnu qu’en six mois, son entreprise avait fait un bond numérique qui aurait pris six ou sept ans en temps normal. Ce qui est valable pour Carrefour l’est pour des millions de TPE et PME. Je m’en réjouis, notamment pour notre pays qui avait pris du retard sur le train du numérique. N’oublions pas qu’en matière de technologie, une année de retard correspond à sept ans dans une l’industrie classique.

Un dernier conseil pour la rentrée: gardons- nous de prendre pour argent comptant toutes les prévisions catastrophistes qu’on peut lire ici ou là. A en croire certains, l’intelligence artificielle, les algorithmes et la robotisation vont faire perdre des millions d’emplois. D’abord, c’est faux: les pays les plus robotisés, comme l’Allemagne, le Japon ou la Corée du Sud, sont ceux avec le plus faible taux de chômage. Ensuite, comme le disait Bill Gates, nous avons tous tendance à surestimer le court terme et sous-estimer le long terme. Les médias nous parlent de destructions d’emplois… qu’on ne voit pas dans les chiffres en ce moment, mais les Cassandre oublient de dire que 85% des nouveaux métiers qui seront créés dans les 10 ans à venir sont encore inconnus à l’heure actuelle.

Oui, il faut se méfier des prévisions. C’est comme pour la pluie de faillites qu’on nous annonce depuis deux ans et qui n’a pas eu lieu: les entreprises se sont montrées plus résilientes que le moral des économistes. Au fond, les prévisions, c’est comme les tableaux Excel: elles ne servent à rien. D’ailleurs, comme le disait le gourou de la tech Oussama Amar, “Excel, c’est le premier producteur de poésie au monde, bien avant le logiciel Word”. Les patrons aguerris savent que pour diriger leur entreprise, mieux vaut tabler sur la recommandation de René Char: “Agir en primitif, prévoir en stratège”.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content