Et si RTL Belgique était à vendre ?
Si elle veut survivre dans un écosystème aujourd’hui menacé par les géants du Net, RTL Belgique n’a pas d’autre choix que de licencier et de se réinventer. En coulisse, plusieurs observateurs interprètent pourtant ce “plan de transformation” comme une étape nécessaire à la revente de la filiale belge par la maison mère. Zoom sur cinq scénarios probables d’acquisition.
Une quinzaine de personnes dans sa régie publicitaire IP, 30 journalistes au sein de sa rédaction, 36 autres postes dans le département production des magazines… Ces derniers jours, le plan de licenciements s’est précisé chez RTL Belgique qui prévoit de limoger au total 105 collaborateurs sur les quelque 500 employés et 250 pigistes qui font tourner l’entreprise au quotidien.
Censé ” pérenniser durablement les activités du groupe ” selon son CEO Philippe Delusinne, le plan #evolve ressemble à une sérieuse cure d’amaigrissement qui pourrait avoir d’autres ambitions cachées selon certains observateurs privilégiés du monde des médias. ” On est clairement en train d’habiller la mariée pour en obtenir le meilleur prix sur le marché “, lance cet ancien patron de chaînes qui connaît le paysage audiovisuel comme sa poche. Alors, info ou intox ? RTL Belgique est-elle vraiment à vendre ?
Le vent tourne
Si, du côté de la direction, on dément formellement cette éventualité, une série d’indices laissent toutefois penser qu’une telle mise à l’étal est loin d’être farfelue. Aujourd’hui, RTL Belgique est aux mains de deux propriétaires : RTL Group – premier groupe audiovisuel européen lui-même détenu majoritairement par le conglomérat allemand Bertelsmann – qui possède 66 % des parts de son antenne belge, et un autre acteur plus complexe, Audiopresse, qui dispose des 34 % restants (lire l’encadré ” L’actionnaire discret de RTL Belgique ” plus bas).
Ces dernières années, avec un Ebitda moyen de 45 millions sur un chiffre d’affaires annuel d’environ 200 millions, RTL Belgique a toujours été un élève exemplaire aux yeux de ses actionnaires. Mais le vent commence à tourner car des concurrents inédits sont arrivés dans le paysage médiatique. Pris en étau entre les nouvelles ambitions commerciales de TF1 sur le marché publicitaire belge et la menace grandissante des géants du Net qui volent du temps de consommation aux acteurs traditionnels de la télévision, RTL Belgique voit tout doucement l’horizon s’assombrir. Selon le grand patron Philippe Delusinne, la société va perdre au moins 10 millions de recettes en télévision cette année et pourrait perdre plus encore les années suivantes si, d’aventure, TF1 grignote davantage de parts de marché. Dans ce contexte, il faut donc limiter la casse et forcer la chaîne à se réinventer à travers ce fameux plan #evolve et le sacrifice de 105 employés sur l’autel de la rentabilité.
Un désengagement européen
En coulisse, pourtant, la sonnette d’alarme est déjà tirée. ” Ceux qui connaissent bien le groupe Bertelsmann savent que l’Allemagne est au centre de tous les intérêts et de toutes les décisions, commente cet expert des médias. La rentabilité de RTL Allemagne est toujours énorme, alors que celle des sept autres filiales du groupe en Europe, dont la Belgique et les Pays-Bas, est en forte baisse vu l’évolution du paysage audiovisuel. Dans ce contexte où les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) sont de plus en plus présents, il est fort probable que le compte à rebours ait été enclenché et que RTL Group ait décidé de vendre ses activités hors Allemagne, qui sont minoritaires dans son chiffre d’affaires. D’ailleurs, le groupe vient de céder son pôle de radios en France (RTL, RTL2, Fun radio, etc.) à M6, ce qui est un élément assez révélateur de ce désengagement européen. ”
RTL Group aurait décidé de vendre son antenne belge et, surtout, de la rendre plus attractive pour en obtenir le meilleur prix.
Bref, dans cette redistribution des cartes audiovisuelles, RTL Group aurait donc décidé de vendre son antenne belge et, surtout, de la rendre plus attractive pour en obtenir le meilleur prix. Avec la complicité de son CEO Philippe Delusinne ? ” Sans doute, confie cet autre témoin privilégié. Mais il ne crachera de toute façon pas le morceau car il est probablement au coeur des transactions et négocie déjà certainement son départ ou peut-être son avenir au sein du groupe RTL ou chez le futur propriétaire. ”
Il reste à déterminer maintenant le prix d’une telle vente. Selon les observateurs du marché, la valeur d’une entreprise audiovisuelle peut être de 7 à 12 fois supérieure à son Ebitda. Tout dépend de son image, du contexte et de ses performances réelles. Si l’Ebitda de RTL Belgique chute effectivement de 45 millions à 35 millions cette année et davantage les années suivantes, la société perdra de sa valeur. Voilà pourquoi il devient donc urgent de vendre la société avec le signal fort d’un ” dégraissage ” salutaire pour mieux habiller la mariée. En coulisse, le prix de 200 à 300 millions d’euros revient régulièrement et, dans cette hypothèse de cession, cinq scénarios émergent sur le marché.
1. Le scénario francophone
En toute logique, Audiopresse, l’actionnaire minoritaire de RTL Belgique (34 % des parts), pourrait a priori être appelé à reprendre l’affaire. Mais encore faut-il que les éditeurs qui siègent au conseil d’administration s’entendent entre eux, ce qui est loin d’être gagné. Aujourd’hui, le groupe IPM (La Libre, La DH, etc.) et le groupe Rossel (Le Soir, Sudpresse, etc.) se regardent en effet en chiens de faïence, surtout depuis que Rossel et les Editions de l’Avenir (propriété de l’intercommunale Nethys) ont repris, le mois dernier, l’activité ” presse magazine ” de la régie publicitaire de RTL Belgique et développé ensemble de nouvelles synergies commerciales, ce qui horripile François Le Hodey, grand patron du groupe IPM.
Certes, dans un premier temps, le groupe Rossel (plus de 500 millions de chiffre d’affaires) pourrait aussi avoir l’ambition de reprendre, seul, RTL Belgique. Après tout, l’éditeur est non seulement un actionnaire important d’Audiopresse (29 % des parts), mais aussi de Radio H, le pôle radio très rentable du groupe RTL (Bel RTL, Radio Contact et Mint) avec près de 25 % de la société en sa possession. Rossel, qui dispose aussi de nombreux journaux en France, nourrit de sérieuses ambitions et, selon nos informations, songe sérieusement à cette aventure télévisuelle. Le morceau RTL Belgique, toutefois, serait dur à avaler seul et l’éditeur de presse aurait peut-être intérêt à s’associer avec un autre acteur du paysage audiovisuel, soit flamand (voir le scénario belge un peu plus loin), soit francophone comme Nethys déjà présent dans le monde des médias, non seulement à travers son câblo- opérateur VOO et sa chaîne BeTV, mais aussi à travers plusieurs titres de presse belge (L’Avenir, Moustique, Télé Pocket, etc.) et français (l’intercommunale détient des participations dans les groupes La Provence et Nice-Matin).
Il nous revient d’ailleurs que Nethys avait aussi songé à s’offrir, seul, RTL Belgique pour doter son groupe de trois chaînes gratuites (RTL-TVi, Club RTL, Plug RTL) en plus de sa chaîne payante BeTV. Mais les récentes affaires de gouvernance révélées dans le scandale Publifin ont définitivement enterré cet ambitieux projet de rachat qui aurait eu d’étranges résonances dans le paysage médiatique.
Aujourd’hui, toutefois, le rapprochement stratégique de Rossel avec les Editions de l’Avenir – et donc avec Nethys – ouvre à nouveau la voie d’un scénario francophone ” main dans la main ” pour reprendre l’entreprise audiovisuelle. A moins que Rossel ne s’intéresse davantage au journal L’Avenir qu’à RTL Belgique pour étoffer son pôle presse. Contacté par nos soins, Bernard Marchant, CEO de Rossel, n’a pas donné suite à nos questions.
2. Le scénario flamand
De Persgroep est une véritable machine de guerre : 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2016, des journaux et des magazines en Flandre (le n°1 des quotidiens Het Laatste Nieuws, De Morgen, Humo, Story, etc.) et aux Pays-Bas (notamment De Volkskrant), mais aussi, depuis peu, 100 % de la société Medialaan, propriétaire des chaînes de télévision flamandes VTM, Q2, Vittaya, et des radios populaires QMusic et Joe.
Son CEO Christian Van Thillo ne cache pas non plus ses ambitions d’expansion dans le paysage médiatique et une ” invasion ” du territoire francophone pourrait être tout à fait légitime dans sa stratégie commerciale. Avec VTM et RTL-TVi dans son portefeuille, De Persgroep pourrait en effet proposer une couverture nationale aux annonceurs belges et développer aussi des synergies de production. Dans une éventuelle tractation avec RTL Group, Christian Van Thillo pourrait même négocier le package des filiales de RTL en Belgique et aux Pays-Bas, marché où il veut s’implanter davantage avec, pourquoi pas, des deals transfrontaliers dans la langue de Vondel.
Si De Persgroep semble avoir les reins suffisamment solides pour oser l’acquisition de RTL Belgique, il pourrait toutefois être tenté de s’associer avec un acteur francophone du marché pour mieux encaisser les frais occasionnés et surtout ménager d’éventuelles susceptibilités communautaires. C’est précisément le scénario belge qui suit, le scénario dit du compromis.
3. Le scénario belge
Il y a trois semaines à peine, De Persgroep et Rossel étaient encore deux partenaires privilégiés au sein de l’aventure Mediafin, la société éditrice des journaux L’Echo et De Tijd qu’ils détenaient chacun à parts égales. Depuis, De Persgroep a revendu ses parts au groupe de presse Roularta (Le Vif, Knack, Trends-Tendances, etc.) pour devenir, en échange, l’unique actionnaire de Medialaan. Aujourd’hui, l’éditeur flamand n’a donc plus de connexion avec Rossel, mais en privé, on dit pourtant que les CEO respectifs, Christian Van Thillo et Bernard Marchant, sont très proches et qu’une nouvelle collaboration inédite pourrait voir le jour. Les deux éditeurs pourraient ainsi racheter RTL Belgique ensemble, voire même s’associer avec un autre acteur francophone, en l’occurrence Nethys, pour finaliser cette acquisition où chacun pourrait satisfaire ses intérêts.
Le montant d’une telle vente ? En coulisse, le prix de 200 à 300 millions d’euros revient régulièrement.
Dans ce nouveau scénario belge à deux ou à trois, des synergies inédites – télévision, presse écrite, sites internet, etc. – pourraient aussi émerger afin de mieux concurrencer les GAFA dans un paysage médiatique belge en pleine ébullition.
4. Le scénario français
” C’est le scénario le plus destructeur en termes d’emplois, ose ce commentateur du secteur audiovisuel, car cela ne serait plus 105 licenciements, mais au moins 350 personnes qui seraient alors sur le carreau ! ” Toujours détenu à 48 % par RTL Group, le groupe français M6 pèse 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires (avec un résultat net de 153 millions en 2016) et a déjà montré, à plusieurs reprises, ses désirs d’expansion. Son CEO Nicolas de Tavernost est un fin stratège et son rachat du pôle radio de RTL en France pour la coquette somme de 200 millions d’euros montre bien son appétit médiatique.
Selon plusieurs observateurs, M6 rêve d’autonomie et pourrait passer à la vitesse supérieure en négociant non seulement sa sortie progressive du groupe RTL, mais en poursuivant aussi sa politique d’acquisitions pour mieux contrer son rival TF1, notamment sur notre territoire. Dans cette logique, RTL Belgique serait alors une cible de choix pour diffuser M6 en Fédération Wallonie-Bruxelles avec toutefois quelques garanties de productions belges (JT, magazines, etc.). Revers de la médaille : il faudrait alors nettement moins de personnel pour faire une espèce de M6 Belgique, ce qui aurait à nouveau des répercussions sur l’emploi au sein de RTL House.
5. Le scénario “américain”
Plus improbable mais cependant pas exclu, le scénario du rachat de RTL Belgique par un tout autre acteur du paysage médiatique est évoqué par un spécialiste du dossier. Avec un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros en 2016, l’opérateur flamand Telenet est le grand concurrent de Proximus et de VOO sur le marché des télécommunications en Belgique et son CEO John Porter n’a jamais caché ses ambitions d’étendre son réseau en Wallonie.
En tant que filiale du géant américain du câble Liberty Global, Telenet dispose d’une solide assise financière qui lui a d’ailleurs permis de racheter Base – le troisième opérateur de téléphonie mobile en Belgique – pour 1,3 milliard d’euros en 2015. Le câblo-distributeur flamand s’est aussi déjà invité dans le monde de la télé puisqu’il a pris, un an plus tôt, une participation de 50 % dans De Vijver Media, la société qui possède SBS Belgium et donc les chaînes flamandes VIER et VIJF, ainsi que la maison de production Woestijnvis.
Si John Porter rêve de mettre la main sur VOO pour disposer enfin d’une offre triple play (télévision, téléphonie fixe, Internet) de dimension véritablement nationale, Telenet pourrait, dans un premier temps, s’inviter davantage dans le paysage wallon en absorbant RTL Belgique pour une somme relativement raisonnable aux yeux de sa maison mère américaine. Là aussi, le deal aurait du sens dans la mesure où Telenet pourrait proposer une offre nationale aux annonceurs belges à travers un réseau de chaînes inédit constitué de RTL-TVi, Club RTL, Plug RTL, VIER et VIJF.
La société Audiopresse a été fondée au milieu des années 1980 dans le but d’apporter des compensations financières aux éditeurs de la presse francophone belge lorsque la chaîne RTL-TVi fut lancée sur notre marché. Dans ses statuts, cette entité déclare une activité de “régie publicitaire de médias”, mais elle n’est en réalité qu’un holding tampon. Elle n’a en effet créé aucun emploi depuis son existence et son chiffre d’affaires (225.000 euros en 2016) n’est qu’un forfait pour couvrir les frais de fonctionnement.
Sous ses airs de coquille vide, Audiopresse est pourtant un précieux jackpot qui permet à ses actionnaires (Rossel, Corelio, IPM et Holding Echos) de récolter chaque année les dividendes de sa participation dans RTL Belgique à hauteur de 34 %. En 2016, cette structure a ainsi rapporté près de 7 millions d’euros aux quatre éditeurs concernés, soit un peu plus de 2 millions à Rossel (Le Soir,Sudpresse, etc.) et environ 1,7 million à IPM (La Libre, La DH, etc.).
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