Malgré un regain d’intérêt, l’énergie nucléaire peine à décoller dans le monde
A la faveur de l’urgence climatique, le nucléaire retrouve les bonnes grâces de plusieurs pays, mais tripler cette énergie d’ici 2050, comme le prône le secteur, semble “irréaliste”, souligne mercredi un rapport: les projets restent peu nombreux et encore quasi-exclusivement menés par la Chine et la Russie.
Au 1er semestre 2023, 407 réacteurs étaient en service totalisant une puissance de 365 GW dans 32 pays, soit quatre unités de moins qu’en 2022 et 31 de moins qu’au pic atteint en 2002, souligne le 23e “rapport annuel sur l’état de l’industrie nucléaire mondiale” (WNISR), produit par un groupe d’experts à partir de sources ouvertes. La production a atteint 2.546 TWh en 2022, en baisse de 4%, soit le niveau de l’année pandémique 2020, et la part du nucléaire dans la production d’électricité commerciale mondiale est tombée à 9,2%, “la plus basse depuis quatre décennies”, selon ce rapport.
Concernant les constructions, entre décembre 2019 et jusqu’à mi-2023, “les travaux ont commencé sur 28 réacteurs, dont 17 en Chine et 11 autres mis en œuvre” par le russe Rosatom dans “divers pays”. Au 1er juillet, sur 58 réacteurs en construction, 23 l’étaient en Chine, tandis que la Russie édifiait 24 réacteurs (dont 19 en Egypte, Chine, Inde, Turquie, Bangladesh, Iran et Slovaquie). Leur mise en chantier s’est étalée du début des années 2000 à 2022 pour l’Egypte. “Malgré la guerre, la Russie continue d’occuper la première place sur le marché des vendeurs”, soulignent les auteurs du rapport, coordonné par Mycle Schneider.
En dehors de ces deux acteurs, les constructions arrivent au compte-gouttes, une en France (l’EPR de Flamanville), deux au Royaume-Uni, une aux Etats-Unis, une aux Emirats arabes unis, une en Argentine…
On n’a pourtant jamais autant parlé de nucléaire. Tombé en disgrâce après l’accident de Fukushima en 2011, il fait depuis quelques années un retour en force spectaculaire dans la panoplie des solutions pour réduire la dépendance aux énergies fossiles. Il s’est même offert une vitrine inédite à la COP28, où une vingtaine de pays dont les États-Unis, la France, le Japon et les Émirats arabes unis, ont appelé à tripler ses capacités dans le monde d’ici 2050. En l’absence toutefois des maîtres du jeu, la Chine et Russie, qui n’ont pas signé la déclaration commune.
Pour les auteurs du rapport, “l’engagement de tripler la production d’énergie nucléaire d’ici 2050 – compte tenu des longs délais de construction des centrales nucléaires – semble très irréaliste”. Symbole des difficultés du nucléaire, l’EPR de Flamanville, en Normandie, est attendu au 1er semestre 2024, avec 12 ans de retard.
“Aucun progrès” sur les SMR
Certains réacteurs dans le monde devant progressivement fermer, “le rythme de construction des nouveaux devrait doubler d’ici 2050, juste pour maintenir” le niveau, a dit M. Schneider mercredi. “Alors tout engagement à tripler ne semble pas compatible avec la réalité industrielle, en tout cas telle qu’elle existe aujourd’hui.”
En 549 pages, le rapport dépeint “un secteur économique qui lutte pour maintenir des flottes vieillissantes, accumule des retards et des dépassements de coûts importants dans les projets de construction, et ne parvient pas à développer en temps voulu de nouvelles conceptions compétitives”.
“Trois nouveaux pays potentiels” ont certes fait leur entrée dans le cercle fermé de l’atome: le Bangladesh, l’Égypte et la Turquie, qui avaient à la mi-2023 des projets de conception russe en construction. D’autres pays (Kazakhstan, Nigeria, Arabie saoudite, Ouzbékistan) ont des projets “plus ou moins avancés, mais aucun n’a encore choisi un modèle ni réuni les fonds nécessaires”, note le WNISR. D’autres encore (Indonésie, Jordanie, Thaïlande, Vietnam) ont suspendu ou annulé des projets antérieurs.
Le rapport relativise par ailleurs l’engouement pour les petits réacteurs modulaires (SMR) au coeur d’une course à l’innovation dans le monde, les auteurs estimant qu’il n’y a “aucun progrès significatif sur le terrain, du moins pas en dehors de la Chine et de la Russie”.
A Paris la semaine dernière, devant des représentants de l’industrie nucléaire, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi, qui soutient une relance de l’atome pour le civil, a reconnu le chemin restant à faire pour concrétiser une renaissance: six réacteurs ont été mis en service dans le monde en 2022, quatre à ce stade en 2023.