L’UE lance un outil censé réveiller le marché de l’hydrogène vert: “Les doubles discours font mal au secteur, notamment en Belgique”

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Selon le Pr Francesco Contino (UCL), les discours politiques amenant de l'incertitude sont responsables des difficultés que traverse la filiale de l'hydrogène vert. © Bernd Weißbrod/dpa, UCLouvain
Baptiste Lambert

Mercredi, la Commission européenne a lancé son premier “appel à manifestation d’intérêt” autour de l’hydrogène vert. Une initiative qui doit permettre de mieux se faire rencontrer producteurs et acheteurs et “contribuer à atténuer l’incertitude du marché”. Suffisant pour stimuler un secteur à la peine ? Analyse avec Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UCLouvain.

Créer une plateforme qui doit aider l’offre et la demande à se trouver, c’est un nouveau signe de la mauvaise période que traverse l’hydrogène vert depuis plus d’un an ?

Francesco Contino : Ce n’est pas si anormal. Lorsqu’on est dans un système dominé par les énergies fossiles — vis-à-vis desquelles on ne tient pas compte de nombreuses externalités —, il faut soutenir les nouvelles solutions en favorisant leur accès au marché. Cela a été la même chose pour l’éolien, le photovoltaïque, les véhicules électriques ou encore les pompes à chaleur. Bien sûr, ces technologies ont (eu) des obstacles spécifiques à franchir. Mais elles ont aussi (eu) besoin du soutien des autorités publiques pour se développer. Le problème, pour l’hydrogène renouvelable, c’est qu’une série d’annonces ont plongé dans l’incertitude ceux qui songeaient à l’utiliser.

Lesquelles, par exemple ?

Il ne faut pas regarder bien loin : on a eu un très mauvais signal en Belgique il y a quelques mois. Le gouvernement fédéral a choisi de supprimer 246 millions d’euros de subsides prévus pour soutenir la création d’un vaste réseau de transport d’hydrogène dans tout le pays. Une telle décision jette un froid auprès des acheteurs, qui se demandent comment ils pourront acheminer l’hydrogène aux portes de leur usine… On justifie ce type de mesure par le fait qu’il n’y aurait pas suffisamment de demande. Mais on joue à la question de l’œuf ou la poule. Il n’y a pas de demande parce qu’il y a énormément d’incertitude, notamment au niveau des infrastructures.

Sur quelles autres questions l’incertitude nuit-elle au réel déploiement d’un marché de l’hydrogène vert en Europe ?

En plus des infrastructures, il y a le problème du prix. Comparativement au mètre étalon qu’est le gaz, l’hydrogène propre est évidemment bien plus cher. Tant qu’il n’y aura pas suffisamment d’incitants vers des alternatives au fossile, il n’y a pas de raison que les industriels changent de cap. Malheureusement, le prix du gaz n’est pas assez cher aujourd’hui. Il y a quelques années, lors de la crise énergétique liée au début de la guerre en Ukraine, on parlait beaucoup plus sérieusement de l’hydrogène vert. Maintenant que la crise est passée, les discours sont différents.

Lancer un “appel à manifestation d’intérêt” peut-il contribuer à rassurer le secteur ou est-ce une solution de façade ?

C’est très difficile à dire, car le diable se cache dans les détails. Je suis surtout perplexe face aux doubles discours que l’on entend depuis quelques mois. Je ne parviens pas à comprendre comment on peut continuer d’affirmer qu’on a des ambitions climatiques élevées tout en envisageant, par exemple, de maintenir l’exonération fiscale sur les carburants fossiles dans les secteurs de l’aviation, du maritime et de la pêche. En réalité, c’est surtout ça qui m’inquiète. Si l’hydrogène propre peinait à décoller car on choisissait la voie de la sobriété, ce ne serait pas un problème. Mais l’alternative actuelle, c’est de continuer à brûler des combustibles fossiles. On ne se donne pas les moyens de ses ambitions.

Pour en revenir à l’hydrogène vert, selon vous, quels secteurs pourraient le plus facilement et le plus rapidement se tourner vers cette solution en vue d’enfin lancement son déploiement ?

Dans un premier temps, je pense aux industries qui utilisent actuellement de l’hydrogène fossile. À savoir, entre autres, les fabricants de plastiques et d’engrais. Passer à de l’hydrogène renouvelable ne leur demanderait pas de grands efforts en matière d’infrastructures. Dans un second temps, les industries qui fonctionnent beaucoup au gaz pourraient suivre : acier, verre, ciment, etc. Il faut éviter qu’elles se tournent vers la capture de carbone, qui n’est pas forcément aussi efficace. À un troisième niveau, l’hydrogène et ses dérivés (ammoniac, méthane synthétique) pourraient être utilisés dans des systèmes électriques fortement renouvelables. Ils serviraient notamment au stockage de long terme, avant d’être mobilisés pour produire de l’électricité dans des centrales à cycle combiné adaptées. Cependant, cela nécessite des modifications techniques mais aussi un cadre réglementaire adéquat. Il faudrait des mécanismes permettant de rémunérer ces centrales, alors qu’elles ne fonctionneront que ponctuellement. C’est en partie l’objectif du Mécanisme de Rémunération de Capacité (CRM) en Belgique. Mais celui-ci n’est pas encore suffisamment attractif pour rendre ce type de projet rentable. Enfin, de grosses modifications sont nécessaires dans le transport aérien et maritime. Mais là, les obstacles sont encore nombreux…

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