Alors que la Belgique suffoque sous la canicule, les prix de l’électricité flambent à des niveaux jamais vus en été. Derrière ce phénomène inattendu, un coupable bien identifié : la climatisation.
L’image a de quoi surprendre : en pleine canicule, alors que le soleil écrase les villes de sa lumière brûlante, la Belgique enregistre… des pics inédits du prix de l’électricité, dignes d’un soir d’hiver. Ce mardi 1er juillet, entre 20h et 21h, le mégawattheure s’est échangé à 517,57 euros sur le marché de gros. Soit six fois plus que la moyenne. C’est un record absolu pour une période estivale. Pour les experts, le constat est clair : l’effet “airco” est en marche.
Un réseau sous tension en plein été
“Nous avons assisté à une situation exceptionnelle”, confirme à Trends Z Patrick Claessens, ingénieur civil de l’ULB et expert en stratégie énergétique. “C’est du jamais vu pour un mois d’été.” Cette envolée s’explique par la forte demande en climatisation et en ventilation, combinée à une centrale nucléaire de Doel 4 à l’arrêt pour maintenance et à une production d’énergie renouvelable en berne.
Le marché de l’électricité en Belgique fonctionne selon le principe du merit order : on mobilise d’abord les sources les moins chères (éolien, solaire), puis le nucléaire, et enfin le gaz si besoin. Mais lorsque le soleil se couche et que le vent tombe, seules les centrales à gaz peuvent répondre à la demande immédiate. Des centrales coûteuses à démarrer.
Tout cela a fait que, mardi soir, la Belgique a connu l’heure la plus chère sur le marché européen de l’électricité. Elle affichait des prix bien supérieurs à ceux observés en France (200–250 €/MWh) ou en Allemagne (470 €/MWh).
Les consommateurs ne devront pourtant pas en sentir de gros effets dans leur facture. Pour ceux qui ont un tarif dynamique, la hausse a été compensée par les bas prix en journée. Pour ceux qui ont un contrat variable, le pic n’aura duré que deux heures et n’aura donc qu’un effet négligeable.
Par contre, lors des pointes de ces derniers jours, les centrales à gaz ont représenté jusqu’à 8 % du mix électrique en Belgique. Cela a fait bondir l’intensité carbone du kilowattheure : jusqu’à 55 g CO₂/kWh, contre une moyenne annuelle de 21,7 g. Ce chiffre, bien que faible comparé à d’autres pays européens, montre que la “propreté” de notre électricité peut vite basculer en cas de tension sur le réseau.
Un cercle vicieux énergétique
Partout, les systèmes de refroidissement ont tourné à plein régime. Dans les supermarchés, les bureaux, les entreprises et à la maison.
Mais, ce que les climatiseurs résolvent à court terme, soit un certain confort thermique, ils le compliquent à moyen terme : chaque degré de plus se traduit par une demande électrique qui explose. C’est le “cercle vicieux du confort”. Ainsi en France, qui vient de subir un dôme de chaleur, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français RTE estime que chaque degré supplémentaire entraîne désormais une hausse de 700 à 1 100 MW de consommation en période de pointe.

La climatisation illustre en ce sens un paradoxe énergétique contemporain : en cherchant à se protéger des effets du réchauffement, nous risquons bel et bien d’aggraver le problème.
10 % de la demande mondiale d’électricité
Le phénomène n’est pas uniquement belge ou français. Il s’observe à l’échelle mondiale. Selon le rapport de l’AIE, la climatisation représente aujourd’hui environ 10 % de la demande mondiale d’électricité. Et dans les pays les plus chauds, elle peut entraîner une augmentation de la demande d’électricité de plus de 50 % pendant l’été.
On estime qu’environ 2 milliards de climatiseurs sont en service dans le monde, la majorité étant des climatiseurs résidentiels. Et leur nombre ne cesse de grimper. Car il fera plus chaud, mais aussi parce que plus de gens pourront se payer un climatiseur. Si rien n’est fait, la demande d’électricité liée à la climatisation triplera d’ici 2050. Selon Our World in Data la consommation passerait ainsi de 2 000 TWh aujourd’hui à plus de 6 000 TWh d’ici 25 ans. Et d’ici 2035, la consommation mondiale d’électricité liée à la climatisation égalera celle de l’ensemble du Moyen-Orient aujourd’hui.
La climatisation risque de prendre tellement de place à l’avenir que, dans les scénarios les plus extrêmes, les climatiseurs se montreront même plus gourmands en électricité que les centres de données.
La clim’ crée aussi des îlots de chaleur
Et si certains défendent la climatisation en affirmant qu’elle ne rejette “que de l’air chaud”, l’analyse complète est moins indulgente : fuites de fluides frigorigènes, fabrication énergivore, transport, maintenance et recyclage posent de réels enjeux climatiques. L’empreinte carbone de la climatisation ne s’arrête don pas à l’usage.
À cela s’ajoute un effet localement pervers : les climatiseurs rejettent de l’air chaud vers l’extérieur, accentuant les îlots de chaleur urbains. Résultat : ceux qui n’ont pas les moyens de s’équiper sont doublement pénalisés. Non seulement leur logement reste invivable, mais leur quartier se réchauffe encore plus.
Vers une sobriété du confort ?
Faut-il renoncer à la climatisation ? Pas nécessairement. Mais une utilisation plus raisonnée est indispensable. Maintenir une température de 26°C plutôt que 20°C permet de réduire fortement la consommation tout en apportant un vrai soulagement thermique. Comme pour le chauffage en hiver, la sobriété ne signifie pas l’inconfort. Elle implique surtout de repenser nos standards et de mieux adapter nos bâtiments.
Un levier d’innovation : le stockage
Néanmoins tous les signaux ne sont pas au rouge. Ce genre de crise met aussi en lumière le besoin — et l’opportunité — d’accélérer le déploiement du stockage. En Californie, les pics du soir sont déjà en partie absorbés par des systèmes de batteries à grande échelle. En Belgique, ces technologies pourraient lisser les pointes, en stockant le surplus solaire de la journée pour le restituer le soir venu. Si notre pays commence à explorer cette voie, les investissements restent modestes.