Le pipeline Power of Siberia 2, un camouflet pour Trump ?

© Getty
Muriel Lefevre

La Russie et la Chine ont franchi une nouvelle étape dans leur rapprochement énergétique en annonçant, le 2 septembre, la mise en chantier du gazoduc Power of Siberia 2. Ce projet, imaginé il y a vingt ans, sort aujourd’hui de sa longue léthargie. Et il a tout d’un doigt d’honneur tendu vers l’Ouest.

Long de 6.700 kilomètres – dont 2.600 en territoire russe et près de 1.000 en Mongolie –, cet ouvrage doit relier les gisements de Sibérie occidentale aux grandes régions industrielles de l’est chinois. Présenté comme « le plus grand et le plus coûteux projet gazier du monde » par Alexeï Miller, directeur général de Gazprom, son coût est estimé à 12 milliards d’euros, selon Les Echos.

Pékin avance avec prudence

Ce mégaprojet illustre la volonté de Moscou de trouver des débouchés alternatifs après la perte du marché européen. La Russie, dont les hydrocarbures représentent encore environ 30 % du PIB et la moitié des recettes budgétaires selon la Banque mondiale, cherche désespérément à stabiliser ses flux d’exportation.

La Chine, premier importateur mondial d’énergie, apparaît dans cette optique comme un partenaire incontournable. Depuis 2019, elle reçoit déjà du gaz russe via Power of Siberia 1, d’une capacité annuelle de 38 milliards de m³, dont les capacités devraient être augmentées de 6 milliards de mètres cubes. Avec le nouveau gazoduc, Moscou pourrait livrer à son allié jusqu’à 50 milliards de mètres cubes par an, pendant trente ans.

À terme, ce sont 106 milliards de mètres cubes de gaz qui pourraient transiter entre les deux pays. Si l’on ajoute le gaz naturel liquéfié, cela représenterait 60 % des importations chinoises de gaz de l’an dernier.

Mais contrairement à Moscou, Pékin ne semble pas pressé. La croissance de sa consommation de gaz naturel ralentit. La transition énergétique engagée par les autorités chinoises, combinée au ralentissement économique, réduit l’urgence d’un nouvel approvisionnement massif.

De plus, la Chine a retenu la leçon européenne. Pékin cherche à diversifier ses sources – Qatar, Turkménistan, Australie, États-Unis – pour ne pas dépendre excessivement d’un seul fournisseur. La Chine, qui veille à ne jamais dépasser 50 % de dépendance vis-à-vis d’un pays, ne devrait donc pas utiliser le gazoduc à plein régime.

Le silence du communiqué officiel chinois, qui n’a pas relayé l’annonce avec le même enthousiasme que Moscou, reflète cette prudence.

Un projet vital pour la Russie

Pour la Russie, en revanche, Power of Siberia 2 est bien plus qu’un simple projet énergétique. Il a tout d’une bouée de sauvetage économique. Nord Stream 2, qui devait sécuriser les exportations vers l’Allemagne, n’a jamais été mis en service et a été partiellement détruit en 2022. Résultat : Gazprom, autrefois fleuron de l’économie russe, est aujourd’hui fragilisé. Son bénéfice net a chuté de près de 40 % en 2023 (selon Kommersant), tandis que ses exportations vers l’Europe se sont effondrées de 80 % en deux ans.

Le Kremlin espère que Power of Siberia 2 jouera un rôle de « nouvelle assurance-vie » pour son économie. Mais plusieurs inconnues demeurent. On ne sait pas qui financera ce projet pharaonique, ni le prix d’achat du gaz par la Chine. Des sources proches du dossier, citées par Bloomberg, indiquent que Pékin a obtenu un tarif nettement inférieur à celui payé autrefois par l’Europe.

Le tarif avancé tournerait autour de 3,50 dollars par MBtu, soit près de trois fois et demi inférieur aux prix actuellement pratiqués en Europe, et environ deux fois plus bas que ceux observés avant la fin des livraisons russes. Des marges russes fortement rognées ont, semble-t-il, été le prix à payer.

Ces prix s’expliqueraient par « des coûts de transport du gaz vers le marché chinois nettement inférieurs », selon Alexeï Miller, qui a précisé que les paiements se feraient à 50 % en roubles et à 50 % en yuans. Il n’empêche que ce sont là autant de signes du rapport de force asymétrique.

Une portée géopolitique assumée

L’intérêt des Chinois pour ce projet s’est quelque peu ravivé à la suite des tensions dans le détroit d’Ormuz, susceptibles de fragiliser ses importations en provenance du Qatar, et du conflit commercial avec Washington qui a, entre autres, conduit à l’arrêt total des livraisons de GNL américain vers la Chine.

Tout cela laisse penser que l’annonce relève avant tout de la géopolitique. C’est un signal adressé directement aux États-Unis et un test envoyé à Trump. S’il reste sans réaction, le triangle Chine–Russie–Inde pourrait renforcer son partenariat stratégique malgré les sanctions occidentales. New Delhi pourrait, à son tour, se tourner vers le gaz naturel liquéfié russe et menacer les projets américains de liquéfaction de gaz.

Pour autant, les marchés sont restés sceptiques. L’action Gazprom a reculé de 1,7 % à la Bourse de Moscou après l’annonce. Les investisseurs doutent de la capacité de l’entreprise à financer seule ce projet colossal.

Enfin, bien que le groupe énergétique chinois CNPC et le géant gazier russe Gazprom aient enfin reçu le feu vert officiel de leurs gouvernements respectifs, il faudra encore du temps avant que le robinet ne puisse être ouvert.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire