La bataille du froid: le mega business pour climatiser un monde en surchauffe

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Muriel Lefevre

La climatisation pourrait bien être l’un des plus grands défis énergétiques du 21e siècle. De quoi faire exploser le secteur. Un big bang économique qui n’est pas sans conséquences ni innovations.

On estime qu’environ 2 milliards de climatiseurs sont en service dans le monde, la majorité étant des climatiseurs résidentiels. Et leur nombre ne cesse de grimper. Car il fera plus chaud, mais aussi parce que plus de gens pourront se payer un climatiseur.  Selon le rapport de l’AIE, la climatisation représente aujourd’hui environ 10 % de la demande mondiale d’électricité. Et dans les pays les plus chauds, elle peut entraîner une augmentation de la demande d’électricité de plus de 50 % pendant l’été.

Ce même rapport estime que la demande d’électricité liée à la climatisation triplera d’ici 2050, si rien n’est fait. Selon Our World in Data la consommation passerait ainsi de 2 000 TWh aujourd’hui à plus de 6 000 TWh d’ici 25 ans. Et d’ici 2035, la consommation d’électricité liée à la climatisation égalera celle de l’ensemble du Moyen-Orient aujourd’hui. La climatisation risque de prendre tellement de place à l’avenir que, dans les scénarios les plus extrêmes, les climatiseurs se montreront plus gourmands en électricité que les centres de données.

Il faut dire que dans beaucoup de pays, ce n’est plus simplement du confort, mais un outil indispensable pour fonctionner. On a parfois du mal à s’en rendre compte en Belgique, mais la chaleur peut rapidement se muer en véritable problème économique. Celle-ci affecte la capacité des gens à travailler, surtout pour ceux qui travaillent en extérieur.

Au fur et à mesure que les températures augmentent, le refroidissement actif deviendra de plus en plus crucial pour l’économie de certains pays. De quoi booster aussi le secteur de la climatisation. Morgan Stanley prévoit que le taux de croissance annuel du marché du refroidissement, qui vaut déjà 235 milliards de dollars par an aujourd’hui, pourrait plus que doubler d’ici 2030.

Les limites du refroidissement traditionnel

Mais pour que cela soit possible, il ne faudra rien de moins qu’une révolution des systèmes de refroidissement actuels. Car ceux-ci posent de sérieux problèmes. L’un d’eux est lié au réfrigérant — le fluide qui change d’état entre liquide et gaz pour transférer la chaleur. Les plus courants sont les hydrofluorocarbures (HFC), des gaz synthétiques qui réchauffent bien plus l’atmosphère que le dioxyde de carbone. Il existe des alternatives, mais celles-ci sont soit hautement inflammables (propane), toxiques (l’ammoniac), ou nécessitent une technologie à haute pression (le CO₂).

Pour réduire l’impact de la climatisation, on pourrait déjà imposer des seuils d’efficacité minimaux plus stricts pour les appareils neufs, comme cela a été fait pour les réfrigérateurs ou les ampoules. Les climatiseurs vendus aujourd’hui varient énormément en efficacité. Rien qu’en améliorant de 50 % l’efficacité moyenne des climatiseurs dans les pays émergents, cela permettrait, d’ici 2050, d’éviter une demande électrique annuelle équivalente à la consommation actuelle de la Chine pour les usages domestiques. De quoi doubler la consommation au lieu de la tripler.

Une autre piste est d’encourager la conception de bâtiments passifs par une meilleure isolation, orientation ou encore ventilation naturelle pour limiter le besoin de refroidissement actif. Voire inciter fiscalement au remplacement de climatiseurs énergivores par des solutions plus durables.

Les réfrigérants solides

La vraie solution pourrait venir de nouvelles techniques en cours de développement. En particulier de ce qu’on appelle les réfrigérants solides.
L’université de Cambridge étudie en ce moment une pâte molle faite de cristaux de plastique, qui a des propriétés prometteuses puisque sa température peut varier de 50 degrés sous la pression.

Un phénomène rendu possible par le mouvement de ces molécules capables de tourner sur elles-mêmes. Une fois pressées, elles se bloquent, « surchauffent » et dissipent la chaleur. Une fois relâchées, elles vont au contraire faire baisser la température alentour. Cette technique offre l’avantage de ne pas fuir et d’être potentiellement plus économe en énergie. Selon Breakthrough Energy, ces appareils ont le potentiel de réduire les émissions jusqu’à 75 % par rapport aux systèmes traditionnels.

La grosse contrainte est qu’elle devra aussi être compacte et peu bruyante si elle veut s’inviter dans les foyers et les appareils électroménagers. Barocal, la start-up de Cambridge qui produit le réfrigérant solide, espère lancer sur le marché un premier produit pour de grands espaces comme des écoles ou des centres commerciaux d’ici trois ans. Car c’est aussi la troisième condition pour s’assurer du succès de la technique. Il faut qu’elle reste abordable, afin qu’elle soit accessible à ceux qui en ont le plus besoin, et pas seulement aux grosses entreprises ou aux pays riches.

La start-up de Cambridge n’est pas la seule sur le terrain du refroidissement solide.

L’entreprise allemande Magnotherm utilise des champs magnétiques pour refroidir. Si la technologie magnétocalorique existe depuis longtemps, sa commercialisation est, elle, récente. Les aimants permanents sont la partie la plus coûteuse, mais ils ont l’avantage de ne jamais se casser. Durable, le procédé n’est cependant pas accessible à toutes les bourses.

La BBC revient aussi sur la technologie thermoélectrique de Phononic, qui transfère la chaleur d’un côté à l’autre d’un dispositif à l’aide d’un courant électrique. Leurs dispositifs, similaires à des puces électroniques, utilisent des matériaux semi-conducteurs pour transférer la chaleur. Cette technologie est déjà installée dans des millions de dispositifs, notamment dans des centres de données. Elle offre le gros avantage de pouvoir être activée à la demande et d’être silencieuse.

Enfin, il y a aussi le refroidissement élastocalorique avec SMACool. Ce mécanisme utilise la contrainte mécanique pour provoquer des variations de température dans des matériaux spécifiques, en alliages spéciaux. Pour l’instant, leur capacité de refroidissement manque encore d’efficacité, mais des améliorations notables sont en cours.

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