Des drones survolent nos centrales nucléaires et personne ne semble s’en émouvoir: “S’ils ne voient pas qu’il y a un gros problème, c’est de la folie”

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Des drones ont été aperçus au-dessus de la centrale nucléaire de Doel dimanche soir. © Belga Images, Nicolas TUCAT / AFP

Après les aéroports et les bases militaires, les centrales nucléaires. Dimanche soir, cinq drones ont été aperçus dans le ciel de Doel. Du côté des autorités compétentes, c’est le calme plat. Aucune catastrophe nucléaire n’est à craindre, effectivement. En revanche, pour l’approvisionnement électrique, le risque est réel, alerte Damien Ernst (ULiège).

“Actuellement, il n’y a pas de risque pour la sûreté nucléaire”. C’est à peu près le seul message martelé par Lut Vande Velde, porte-parole de l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN), lorsqu’on lui demande si les survols de drones à Doel sont inquiétants. Elle rappelle que les centrales belges répondent à de critères de robustesse internationaux. “Elles doivent pouvoir résister à une collision avec un avion. Il s’agit de gabarits bien plus importants que pour les drones”, rappelle-t-elle.

Concernant d’autres risques potentiels, la porte-parole de l’AFCN prend des pincettes. “Nous ne disposons pas encore de tous les paramètres pour pouvoir livrer une analyse complète de la situation. On ne sait notamment pas de quels équipements ces drones étaient munis. On suit le dossier au jour le jour avec les autorités compétentes. Des mesures de sécurité supplémentaires seront prises le cas échéant, mais à ce stade, il n’y a pas de risque pour la sûreté nucléaire”, indique-t-elle.

Chez Engie, on se tait dans toutes les langues. “En tant qu’exploitants, nous avons signalé les drones aux autorités, qui ont pris le contrôle des opérations. Nous pouvons simplement indiquer que ce survol n’a pas affecté les activités du site”, commente Hellen Smeets, sa porte-parole.

Du côté du gouvernement, silence radio. Seul Theo Francken s’est exprimé ce lundi… pour rappeler que la Défense n’a la main ni sur la police ni sur la brigade anti-drones — qui, dit-elle, n’agit pas parce qu’elle n’est pas appelée.

Les transformateurs, cible critique

Le professeur et spécialiste de l’énergie Damien Ernst (ULiège) espère qu’il s’agit de discours de façade. “À mon avis, ils visent surtout à rassurer le grand public. Car s’ils ne se rendent pas compte qu’il y a un gros problème, c’est de la folie”, s’exclame-t-il.

S’il confirme qu’un drone, même équipé de lourdes charges explosives, ne peut pas faire exploser une centrale, il alerte sur les risques relatifs aux transformateurs situés dans les sous-stations. Là, un drone “même simplement équipé d’un bidon d’essence” pourrait causer de sérieux dégâts. Concrètement, il distingue deux dangers liés à une attaque sur les transformateurs. “D’une part, la centrale ne pourrait plus évacuer de la puissance électrique, ce qui pose un problème en termes d’approvisionnement. D’autre part, cette électricité permet d’alimenter les pompes pour refroidir les réacteurs. Bien sûr, il y a des générateurs de secours. Mais ce n’est quand même pas l’idéal de perdre une ligne de défense. Et ça, c’est tout de même une question de sûreté nucléaire”, estime Damien Ernst

Une telle attaque serait d’autant plus problématique qu’elle mettrait la centrale hors circuit pour de nombreux mois. “Ces pièces sont extrêmement difficiles à remplacer. Les listes d’attente sont très longues. Ce n’est pas pour rien que les Russes frappent les sous-stations ukrainiennes et que les Ukrainiens font la même chose en Russie”, souligne-t-il.

Quelles solutions ?

Damien Ernst est d’autant plus excédé que les potentielles attaques de drones sur les transformateurs de centrales nucléaires ne sont pas un sujet neuf. “On en débattait déjà il y a plus de dix ans. Et maintenant on dit qu’on va encore en discuter… alors qu’on est en retard. C’est pathétique”, déplore-t-il.

Pourtant, les solutions existent : murs et filets autour des sous-stations, brouilleurs de communications, etc. “On peut s’inspirer des mesures de protection des Ukrainiens. Ce n’est pas si compliqué à mettre en œuvre et ça peut vraiment aller rapidement. Encore faut-il que les autorités s’activent”, conclut le professeur.

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