Construire une nouvelle centrale nucléaire en Belgique, est-ce bien réaliste ?

© Getty Images

Construire une nouvelle centrale nucléaire en Belgique est bien plus vite dit que fait.

L’accord du gouvernement vise la “stratégie 4+4” pour le nucléaire. Soit 4 GW de nucléaire existant et 4 GW de nouvelles capacités nucléaire dans le mix électrique. Mais avec un axe budgétaire déplacé vers la défense, ce projet est-il encore réaliste ?

Très cher et très long 

Construire une centrale nucléaire n’est pas une mince affaire. Sa construction prend entre dix et quinze ans – période durant laquelle elle ne rapporte rien – et exige de très gros investissements. Ce sont donc des besoins en capital énorme avec des retours sur investissement qui s’étalent sur 30 à 60 ans. Ainsi, les plans belges visant à construire 4 GW de capacité nucléaire supplémentaire nécessiterait un investissement d’environ 40 milliards d’euros, selon De Standaard. Une estimation basse, car cela risque d’être beaucoup plus selon le quotidien. Ce genre de projets voit ses budgets et ses délais systématiquement dépassés. Certains tablent davantage sur 60 milliards.

Quel type de centrale ?

Pour avoir quatre gigawatts il faut quatre réacteurs du type Doel 4 ou plus d’une dizaine de petits réacteurs modulaires (SMR). Sauf que ces derniers sont encore en développement et que leurs coûts réels et les délais de construction sont flous.  Cette réalité fait que, comme aux Pays-Bas, la majorité fédérale en Belgique semble plutôt pencher vers la première option. Soit de grands réacteurs qui seront ensuite éventuellement « complétés » avec des SMR.

Qui pour la construire ?

En Europe, seuls deux acteurs sont capables de construire de grande centrale : EDF (France) et Westinghouse (États-Unis). Il serait aussi possible de faire appel aux entreprises russes Rosatom ou chinoises CNNC, mais vu le contexte géopolitique cela semble peu probable.  

On est donc face à un duopole dans un contexte ou en plus l’offre est inférieure à la demande. Beaucoup de pays redécouvrent en effet le nucléaire et ce ne sont pas les clients qui manquent. France, Royaume-Uni, Pologne, Suède, Finlande, Italie, Slovaquie, Tchéquie, Hongrie, Slovénie, Bulgarie et Roumanie sont autant de pays qui envisagent de construire de nouvelle centrale.

De quoi assurément faire grimper les prix. D’autant plus que les deux constructeurs sont devenus frileux face aux risques financiers suite à quelques déconvenues. Il est donc possible qu’ils refusent certains projets, s’ils n’obtiennent pas certaines garanties.

Un avantage pour l’option SMR, puisqu’il y a beaucoup plus de concurrence et d’acteurs émergents dans ce secteur. Mais, comme déjà dit, il reste aussi encore beaucoup d’incertitudes. Ce ne serait qu’en 2050 que les SMR permettraient de réduire les coûts par rapport aux grands réacteurs.

Ou installer une telle centrale ?

Plus que le financement, le plus gros problème est peut-être là.

Sur le site même de la centrale de Doel, il existe toujours un terrain destiné à accueillir un réacteur de 1 400 mégawatts, appelé Doel 5.  De quoi gagner du temps, car cela évite de devoir modifier le plan régional ce qui peut prendre une décennie. Mais cela ne va pas suffire pour l’objectif de 4 gigawatts.

De toute façon, construire tous les nouveaux réacteurs nucléaires à Doel et Tihange ne sera pas possible puisque Engie est propriétaire des terrains et ne veut plus investir dans le nucléaire.

Il faudra donc trouver d’autres sites avec beaucoup d’eau disponible pour le refroidissement, et ce dans un pays densément construit. À cela s’ajoutent de nombreux critères comme les risques sismiques, d’incendie ou d’accidents industriels. Il y a aussi les effets potentiels sur la population et sur la nature une fois la centrale installée, mais aussi pendant les travaux. Une telle construction, c’est 500 à 600 camions supplémentaires par jour dans la région. Enfin, il y a toutes sortes de probables recours juridiques qui ne manqueront pas de fleurir contre un tel projet.  Un véritable casse-tête donc.

Et ça, c’est si c’est si les différents gouvernements ne changent pas à nouveau d’avis sur le nucléaire, comme cela a été le cas ces dernières années. Un flou honni par les éventuels investisseurs.

Y a-t-il des candidats ?

Autant dire que même si on lançait un marché public pour construire une telle centrale, il n’est pas certain que les candidats se pousseraient au portillon.

Pour motiver les troupes, certains pays qui ont relancé le nucléaire ont dû trouver des solutions créatives pour réduire les risques financiers. Ainsi le gouvernement néerlandais a choisi de créer une entreprise publique pour assumer le risque financier. En Tchéquie, l’État accorde un prêt sans intérêt. Une option qu’envisage également sérieusement la France.

Sauf qu’en Belgique de telles options risquent de plomber encore davantage les finances publiques. Un budget de 40 milliards pour une centrale augmenterait la dette publique de plus de 7%.

Si une dette supplémentaire est envisageable en cas d’investissement rentable, rien n’indique que ce soit le cas pour de grandes centrales. Et n’oublions pas non plus qu’il s’agit d’une source d’ «appoint », bonne pour seulement 15 à 17 % de la consommation en 2050.

Dans les plans énergétiques du gouvernement, le cœur de la stratégie reste en effet centré sur les énergies renouvelables, car la Belgique devra faire face à une hausse de 33 % de la demande d’électricité d’ici 2040. De là à songer que cet argent ferait mieux d’être investi dans des technologies incontournables et surtout moins chères comme l’éolien ou le solaire, il n’y a qu’un pas.

Quoi qu’il en soit il faudra décider vite et avec un gouvernement en mode char d’assaut comme elle le fait actuellement avec la défense. Ce qui n’est, semble-t-il, pas vraiment le cas. Et même en admettant que la décision soit prise demain, une mise en service pour 2040 semble déjà très optimiste. Un peu tard donc.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content