Comment un réseau électrique peut-il s’effondrer en cinq secondes?

© Getty

Les pannes électriques générales comme celle qui a touché lundi l’Espagne et le Portugal peuvent avoir des causes multiples, mais l’événement met déjà en lumière une certaine “vulnérabilité” du système régional de la péninsule ibérique.

Le gouvernement espagnol et la justice madrilène, qui va ouvrir une enquête sur un éventuel cyber-sabotage, vont rechercher les causes de la méga-panne électrique qui a privé lundi toute la péninsule ibérique électrique de courant pendant de nombreuses heures. Toutes “les mesures nécessaires seront prises pour que cela ne se reproduise pas”, a assuré mardi le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez lors d’une conférence de presse, annonçant la création d’une commission d’enquête chapeautée par le ministère de la Transition écologique.

Pourquoi la cause n’est pas encore clairement identifiée ?

Le réseau électrique est une colonne vertébrale qui comprend des milliers de composants interconnectés. “Les opérateurs du réseau doivent analyser avec soin d’énormes quantités de données en temps réel”, telles que les changements de fréquence, les défaillances de lignes, l’état des centrales de production, “afin de retracer la séquence des événements”, explique Pratheeksha Ramdas, analyste chez Rystad Energy.

Selon Pedro Sánchez,”les techniciens du réseau électrique continuent à réaliser une analyse de leur système. Nous attendons de recevoir leurs résultats préliminaires dans les prochaines heures ou prochains jours”, a-t-il expliqué. “Aucune hypothèse ne sera écartée tant que nous ne disposerons pas de ces résultats d’analyse”, a-t-il aussi déclaré.

Quasiment au même moment, un juge de l’Audience nationale, la juridiction madrilène en charge des affaires les plus graves, dont celles de terrorisme, a de son côté annoncé l’ouverture d’une enquête sur un éventuel “sabotage informatique”.L’objectif de ces investigations? “Déterminer si la panne de courant survenue hier dans le réseau électrique espagnol qui a affecté tout le pays, pourrait être un acte de cyber-sabotage contre des infrastructures critiques espagnoles et, si tel est le cas, pourrait être qualifiée de délit terroriste”, résume un communiqué.

A la mi-journée, la piste de la cyberattaque avait pourtant été écartée à ce stade par le gestionnaire du réseau électrique espagnol (REE). “Au vu des analyses que nous avons pu réaliser jusqu’à présent, nous pouvons écarter un incident de cybersécurité dans les installations du réseau électrique”, a assuré Eduardo Prieto, directeur des opérations du gestionnaire de REE.

Une piste également écartée par le gouvernement portugais: “A ce stade, personne ne peut dire quelle a été l’orgine mais il y a déjà assez d’éléments pour dire qu’il n’y a aucun indice d’une manipulation dans le cyberespace”, a déclaré le Premier ministre portugais Luis Montenegro.

Si aucune piste n’est encore officiellement avancée, l’écroulement a a été rapide. Très rapide. Mais comment un réseau électrique peut-il s’effondrer en cinq secondes?

Quelles sont les causes habituelles?

Les pannes sont souvent causées par l’arrêt soudain d’une centrale de production en raison d’un aléa technique ou d’une pénurie de combustible pour alimenter des centrales thermiques. Ces dernières années, des événements tels que tempêtes, tremblements de terre, incendies de forêt, chaleurs ou froids extrêmes, parfois intensifiés par le changement climatique, ont pu endommager les infrastructures ou créer des pics de demande pour le chauffage ou la climatisation.

Autres causes possibles: les surcharges sur les lignes à haute tension, qui obligent l’électricité excédentaire à se déplacer sur d’autres lignes, et les cyberattaques, une menace de plus en plus citée, du fait de réseaux de plus en plus numérisés. La justice espagnole a annoncé une enquête sur un éventuel “sabotage informatique”, le gouvernement Sanchez soulignant de son côté qu'”aucune hypothèse” n’est écartée.

Déséquilibre entre offre et demande?

En Espagne, lundi soir, le gestionnaire du réseau REE a évoqué “une forte oscillation des flux de puissance, accompagnée d’une perte de production très importante”. En Europe, la fréquence électrique sur le réseau est calibrée au standard de 50 hertz (Hz).

Une fréquence inférieure à ce niveau signifie qu’il n’y a pas assez d’électricité produite par rapport à la demande; au-dessus, cela signifie qu’il faut produire moins de courant. C’est le travail des opérateurs de commander en temps réel aux centrales de produire plus ou moins, selon la demande, et de conserver la fréquence. “Le maintien de cette fréquence est une question d’équilibre”, dit à l’AFP Michael Hogan, conseiller pour l’organisation Regulatory Assistance Project (RAP).

Si la fréquence s’éloigne de 50 Hz, des systèmes de protection automatisés se déclenchent pour couper des parties du réseau afin d’éviter d’endommager les équipements. Des déconnexions en chaîne qui ont conduit à la panne généralisée. “Une fois que les centrales électriques commencent à s’arrêter pour se protéger, la situation peut rapidement devenir incontrôlable. Mais il est très rare que cela atteigne le stade” observé lundi, souligne Michael Hogan.

Comment tout cela a-t-il commencé? Difficile à dire.

“L’un des facteurs qui a très probablement contribué à l’instabilité est la faible interconnexion entre la péninsule et le reste du réseau d’Europe occidentale, ce qui signifie qu’il n’y avait pas beaucoup d’inertie dans cette partie du réseau pour amortir les oscillations” côté espagnol, selon Michael Hogan. Mais il s’agit d’un facteur possible et non de la cause primaire. “Il s’agira probablement de la défaillance d’une ou deux installations de transmission majeures, qui s’est ensuite propagée à d’autres parties connectées du réseau, mais la cause de cette défaillance initiale reste à déterminer”, ajoute-t-il.

Quel impact des énergies renouvelables?

En Espagne environ 40% de l’électricité produite est d’origine solaire et éolienne. A midi lundi, c’était même autour de 70%, à un moment de faible demande. Or, contrairement aux centrales au gaz qui “ont besoin de quelques minutes pour démarrer”, “la production solaire et éolienne ne peut pas être contrôlée à la demande et doit souvent être réduite”, souligne-t-on chez Rystad Energy. Le regroupement des gestionnaires européens de réseaux de transport d’électricité, ENTSO-E, avait averti le 18 avril des risques de surproduction solaire à l’approche des beaux jours.

La panne de lundi est un “avertissement”, pour Rystad: “sans résilience plus forte au niveau national et sans meilleure coordination régionale, les futures pannes de réseau pourraient avoir des conséquences encore plus graves”. “Sans mesure de flexibilité suffisantes, telles que le stockage, les centrales à démarrage rapide ou des interconnexions solides, les fortes variations de la production d’énergie renouvelable peuvent déstabiliser le réseau”, explique l’analyste Pratheeksha Ramdas.

Des critiques des énergies renouvelables ont immédiatement été diffusées sur les réseaux sociaux après la panne, mais  Michael Hogan rappelle que les coupures géantes de ce type, dans le passé, ont “presque toujours” été provoquées par des problèmes de transmission, et non de production.

Lion Hirth, professeur de politique énergétique à la Hertie School à Berlin, estime toutefois “probable” qu'”un système avec très peu de production +conventionnelle+ (nucléaire, gaz, charbon, hydroélectricité) ait moins d’inertie d’amortissement, c’est-à-dire qu’il soit plus enclin à ce que de telles oscillations deviennent incontrôlables”.

Tout en restant prudent, il estime “que le fait que le système ibérique fonctionnait principalement à l’énergie éolienne et solaire lundi midi n’a pas aidé”.

Partner Content