Refroidir la Terre en pulvérisant de l’acide dans la stratosphère ?

© Getty

Le chercheur canadien David Keith est à la tête d’un projet de géo-ingénierie qui fascine autant qu’il inquiète. Il souhaite pulvériser un nuage de particules d’acide sulfurique dans la stratosphère afin de refroidir la planète.

La géo-ingénierie, soit le fait de modifier intentionnellement le climat de la Terre, est souvent considérée avec suspicion. Des scientifiques mènent ainsi des expériences pour rendre les nuages plus brillants et tentent de développer des méthodes pour permettre aux océans et aux plantes d’absorber davantage de dioxyde de carbone. Mais celle qui suscite le plus d’espoir est la géo-ingénierie solaire stratosphérique. Pour preuve, l’université de Harvard dispose d’un programme qui a déjà reçu des subventions de Bill Gates, de la Fondation Alfred P. Sloan et de la Fondation William et Flora Hewlett. L’idée est même étudiée par le Fonds de défense de l’environnement et le Programme mondial de recherche sur le climat.

Un nuage de particule d’acide

Pour ses partisans, c’est un moyen relativement peu coûteux et rapide de réduire la température. Le chercheur canadien David Keith, l’une de ses figures de proue, en est convaincu. En pulvérisant un nuage de particules d’acide sulfurique dans la stratosphère, il est possible de faire revenir la planète à son état préindustriel, le tout sans obscurcir sensiblement la luminosité. Si le projet peut sembler fou, il ne vient pas vraiment d’un illuminé. David Keith est professeur des sciences géophysiques de l’université de Chicago et ancien professeur de physique appliquée à Harvard (il a quitté de son propre fait l’université l’année dernière).

Le Mont Pinatubo comme inspiration

L’idée lui vient en 1991, aux Philippines. Il est alors étudiant et assiste à l’éruption du Mont Pinatubo qui libère dix-sept millions de tonnes de dioxyde de soufre. L’année qui suit, les températures moyennes dans l’hémisphère nord vont diminuer d’environ un degré Fahrenheit selon le New York Times. Depuis c’est devenu l’obsession de David Keith. En libérant intentionnellement un tel nuage de particules d’acide sulfurique dans la stratosphère, on pourrait freiner le réchauffement climatique. Par de la géo-ingénierie solaire on pourrait recréer les conditions de vie qui existaient avant que de grandes quantités de dioxyde de carbone soient libérées l’atmosphère.

S’il reconnaît qu’il y a quelques incertitudes concernant la méthode, celles-ci ne pèseraient pas face aux avantages. Un avis pas tout à fait partagé par ses collègues. Source d’espoir, la géo-ingénierie n’est en effet pas exempt de reproche. On l’accuse souvent de jouer à l’apprenti sorcier. Et le projet de Keith ne fait pas exception à la règle.

“Dangereux”, “arrogant” et “simpliste”

Ainsi, parmi le corps scientifique, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une folie, tant ce genre de technologies puissantes peuvent avoir des conséquences imprévues. La technique serait utilisée dans la stratosphère et ne se limiterait pas à une région spécifique. Et une fois lancée, elle risque d’être difficile à arrêter. Ainsi pour l’écologiste canadien David Suzuki, dans The New York Times, “L’idée même de pulvériser des composés soufrés pour réfléchir la lumière du soleil est arrogante et simpliste.”  D’autre craignent que cela perturbe profondément le système climatique, modifie les cycles hydrologiques et intensifie l’instabilité climatique. Sans parler des conséquences sur la santé humaine puisque le dioxyde de soufre peut provoquer des problèmes respiratoire et irrite la peau, les yeux, le nez et la gorge. Sans parler du fait que certains pourraient trouver le moyen de transformer la technique en arme.

Pour ses détracteurs, plutôt que de se lancer dans de tels projets avec des fonds colossaux – notamment via Bill Gates (voir encadré)- on ferait mieux de s’attaquer à principale cause du réchauffement climatique qui est l’utilisation des combustibles fossiles. Selon Raymond Pierrehumbert, physicien de l’atmosphère à l’université d’Oxford “faire des recherches sur ce sujet est non seulement un gaspillage d’argent, mais aussi un danger réel”, précise encore le New York Times.

Car ce genre de tour de passe-passe, s’ils se révèlent efficaces ne s’attaquent pas au fond du problème. Plutôt que de s’attaquer à la nature, le vrai problème reste les hommes et leur comportement. Or avec de telles solutions, cela pourrait donner l’impression d’une carte blanche pour polluer. Hors un arrêt brutal des efforts pour ralentir le réchauffement climatique entraînerait une hausse soudaine des températures particulièrement dramatique. Un phénomène connu sous le nom de « choc final ».

En 2009, Keith a fondé Carbon Engineering, une entreprise qui a mis au point un procédé permettant d’éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Parmi les investisseurs figurent Gates, Chevron et N. Murray Edwards, qui a gagné des milliards en pompant le pétrole des sables bitumineux du Canada. L’année dernière, Carbon Engineering a été rachetée pour 1,1 milliard de dollars (environ 1 milliard d’euros) par Occidental Petroleum, un important producteur de pétrole et de gaz du Texas. La vente a rapporté à Keith 72 millions de dollars (environ 66 millions d’euros).

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