Des millions de balles de tennis et de padel sont jetées chaque année après quelques parties seulement. Pour contrer ce désastre écologique, plusieurs initiatives belges tentent de leur donner une seconde vie. Des solutions innovantes existent, mais la filière reste fragmentée et les débouchés limités.
Fin de partie ! Elles ont seulement une dizaine de jeux à leur actif qu’elles volent déjà à la poubelle. Chaque année, trois millions de balles de tennis sont utilisées en Belgique, jusqu’à 400 millions à travers le monde en comptant celles de padel. Une balle met près de 400 ans à se décomposer et plus de 95% finissent à la décharge ou sont incinérées. Face à ce défi écologique, des initiatives de recyclage se mettent en place en Belgique. Nous avons remonté la filière… ou plutôt les différentes filières qui se partagent le terrain sans (trop) se disputer.
Recyclage : 3 procédés

Leur pression est différente, mais la matière d’une balle de tennis et de padel est identique. “Trois procédés existent pour leur recyclage, détaille Grégory Merguerian, cofondateur de la start-up belge Bounce. La granulation (production de granulés), la micronisation (réduction en poudre) et la vulcanisation (recréation d’un caoutchouc malléable)”.
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Créée en 2019 par trois amis mordus de ces sports de raquette, Bounce a lancé des tubes et des cuves de pressurisation – les “Bouncer pros” – qui promettent de prolonger la durée de vie des balles par trois. Plus de 20.000 tubes ont été vendus en un peu plus d’un an, pour un chiffre d’affaires de 500.000 euros en 2024, et l’objectif d’un million en 2025.
Des poubelles de tri sur les courts
En parallèle, pour éviter que les balles de tennis et de padel définitivement “mortes” ne finissent à la poubelle, la start-up a lancé le programme Bounce Circular. “Nous proposons des poubelles de tri aux clubs, installées directement sur les terrains. Jusqu’à 95% des balles sont collectées grâce à ce système, avance Grégory Merguerian. Les clubs peuvent acheter nos poubelles (675 euros pour les trois, ndlr) ou juste adhérer à notre programme. Nous assurons alors la collecte facturée selon le volume”, détaille l’entrepreneur.
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La démarche a déjà séduit une dizaine de clubs belges, dont le Parc à Louvain-la-Neuve. “L’initiative rentre dans notre politique de durabilité même si elle demande un petit effort financier, témoigne Xavier Descampe, son directeur opérationnel. Nos membres apprécient cette démarche qui renforce notre identité d’un club soucieux de l’environnement.”
Sols sportifs et parois isolantes
En 2024, Bounce a ainsi pu récupérer quelque 200.000 balles. “La feutrine est séparée du caoutchouc dans une usine partenaire en France. Le caoutchouc est ensuite transformé en granulés, utilisés pour fabriquer, entre autres, des sols sportifs, détaille son responsable. Aujourd’hui, c’est notre seule solution de downcycling qui permet d’évacuer les tonnes de balles collectées. Ces usages sont utiles, mais non recyclables à leur tour, bien loin de notre idéal d’économie circulaire. Nous avons des pistes concrètes pour créer des sols sportifs sans colle et additifs non écologiques 100% recyclés et recyclables qui répondront aux futures contraintes européennes”, annonce Grégory Merguerian.
Ces usages sont utiles, mais non recyclables à leur tour, bien loin de notre idéal d’économie circulaire.
Leur choix d’usine est cohérent d’un point de vue logistique. En effet, 85% des balles proviennent de clubs français, via l’opération Balle Jaune de la Fédération française de tennis (FFT). “En France, la collecte est financée par une écotaxe appliquée sur chaque tube de balles, en partenariat avec Ecologic, l’éco-organisme agréé par l’État. C’est un système pollueur-payeur très efficace qui n’existe pas en Belgique”, commente le CEO de Bounce.
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La Belgique à la pointe du recyclage
Inutile pourtant de traverser la frontière, la Belgique est à la pointe dans ce recyclage de niche. La société hainuyère RubberGreen a en effet développé un brevet unique de dévulcanisation thermomécanique du caoutchouc. “Notre technologie permet de transformer des balles de tennis en fin de vie en une matière première de haute performance, réutilisable dans la fabrication de nouvelles balles”, affirme Said Seghar, R&D & innovation manager.
Cette matière est exploitée en exclusivité par la société néerlandaise Renewaball pour confectionner ce qu’elle présente comme “la seule balle ‘circulaire’ au monde”, composée d’un feutre entièrement biologique, sans microplastiques. En vente dans quelques clubs belges, elles seront bientôt distribuées chez Decathlon.
Keytrade parie sur le padel
Les collectes organisées par Bounce et Renewaball cohabitent avec Second Serve. Une initiative similaire de valorisation de la petite balle jaune initiée, en 2024, par Keytrade Bank, sponsor exclusif de ce sport en plein essor. “Des bacs de collecte ont été installés gratuitement dans 46 clubs de Padel Wallonie-Bruxelles et 68 clubs de Padel Vlaanderen, soit environ un quart des clubs belges”, explique Louise Hubin, coordinatrice logistique du projet.
Les balles collectées régulièrement par des entreprises locales de travail adapté sont transformées en parois d’isolation pour des kots étudiants par l’entreprise flamande Cordeel. “Pour l’instant, c’est l’unique application concrète. Mais on réfléchit à d’autres pistes, comme des bancs ou des chaises pour les clubs. Cela demande des moules coûteux, donc il faut réfléchir à des solutions durables et à plus grande échelle”, poursuit Louise Hubin.
13 tonnes récupérées
“Depuis août 2024, un total de 213.300 balles, soit près de 13 tonnes, ont été récupérées, énumère cette dernière. Les bacs de collecte ont du succès. Les clubs sont très demandeurs”, commente Céline Guissard, padel manager au sein de Padel Wallonie-Bruxelles. “Nous voulons associer notre sponsoring à une démarche solidaire”, complète François Soubry, sponsoring & digital events manager chez Keytrade. Pour chaque balle collectée, cinq centimes sont reversés à des associations qui œuvrent pour l’accessibilité du padel pour tous. “Cet argent permettra notamment de financer le Championnat d’Europe de Padel pour sourds et malentendants. Celui-ci aura lieu à Bruxelles en 2026”, précise Louise Hubin.

Renewaball crée des balles roses pour Big Against Cancer
Renewaball a fourni, en exclusivité, des balles de padel roses pour Big Against Cancer dans le cadre d’Octobre Rose, mois international de sensibilisation au cancer du sein. Les balles ont été utilisées lors des « marathons de padel » organisés par l’association en collaboration avec Patronum, société spécialisée dans l’accompagnement philanthropique. “L’idée était de surfer sur la vague du padel tout en marquant les esprits avec des balles roses personnalisées qui n’existaient pas encore sur le marché,” explique Nicolas Jadot de Patronum. “Au-delà de leur aspect visuel symbolisant Pink October, ces balles présentent un double avantage : elles sont fabriquées à partir de matériaux recyclés et répondent aux normes officielles du padel”. Lors des tournois organisés à Limelette et au club Garrincha de Diegem, les 350 tubes de balles vendus au profit de Big Against Cancer sont partis comme des petits pains.
Trois collectes parallèles
Il existe cependant un bémol : le programme Second Serve vise exclusivement les balles de padel. Résultat : des clubs doivent gérer plusieurs collectes parallèles. Un éparpillement qui s’explique en partie par le poids des sponsors exclusifs : BNP Paribas soutient la fédération de tennis jusque fin 2025, tandis que Keytrade Bank a verrouillé ses droits sur le padel pour trois ans. La fédé reconnaît cette incohérence. “Tennis Wallonie-Bruxelles et Padel Wallonie-Bruxelles ont leur identité propre, avec chacun leur sponsor. Parfois c’est un avantage, parfois un inconvénient”, admet Céline Guissard, qui n’exclut pas des pistes de mutualisation et de co-branding. “Les clubs mixtes qui ont un bac de collecte Keytrade peuvent bien sûr s’en servir pour collecter les deux sortes de balles”, ajoute-t-elle.
Hélène Hoogeboom, CEO de Renewaball, est du même avis. “Cela va à l’encontre de la durabilité de multiplier les trajets de collecte. Il ne devrait pas y avoir de concurrence, il faut collaborer”, juge-t-elle. De son côté, Grégory Merguerian défend son approche. “On ne peut pas vraiment parler de doublon ou de concurrence, mais plutôt de finalités différentes”.
“Tennis Solidaire”, un projet pionnier
Avant que Bounce et Keytrade n’entrent dans la danse, le projet pionnier Tennis Solidaire, lancé en 2017 par l’ex-AFT, visait déjà à collecter gratuitement balles et tubes usagés dans 200 clubs partenaires. Faute de refinancement par les pouvoirs publics, l’initiative s’est essoufflée. “Elle coûtait environ 100.000 euros par an dont quelques dizaines de milliers alloués par la Région, impossible à financer sur fonds propres”, regrette Samuel Deflandre, secrétaire général de Tennis Wallonie-Bruxelles.

La fédération dit explorer de nouvelles pistes, notamment avec des acteurs privés. Une collecte payante a été écartée, car elle représente un obstacle financier pour les plus petites ASBL sportives.
La finalité de “Tennis Solidaire” était de recycler les balles en terrains sportifs. Jugé trop coûteux, le projet a été abandonné. Les 200.000 balles récupérées ont finalement trouvé refuge auprès de la bio-designer bruxelloise Mathilde Wittock (MWODesign), formée en innovation durable et en design acoustique à Central Saint Martins de Londres.
Sound Bounce, du mobilier en balles de tennis
La jeune femme de 27 ans, elle aussi passionnée de tennis, leur a offert une seconde vie ingénieuse, grâce à son projet artisanal Sound Bounce. “Chaque balle est découpée en deux. Elles sont ensuite teintées grâce à une solution écologique non toxique développée pas des experts belges. J’assemble alors les pièces sans colle, ce qui les rend démontables et lavables, pour une matière circulaire et réutilisable”, détaille-t-elle. En un an, elle a déjà recyclé plus de 70.000 vieilles balles de tennis.
Ses panneaux acoustiques s’intègrent dans les open spaces et les restaurants. Tandis que son mobilier – tabourets, chaises, tables basses – séduit entreprises et particuliers. Ses créations sur mesure sont vendues entre 400 et 3.000 euros selon la pièce et les quantités demandées.
Partenaire de Wimbledon et de l’European Open

Mathilde Wittock s’impose sur la scène internationale. L’année dernière, le prestigieux tournoi de Wimbledon lui a confié 2.000 balles. “Je les ai transformées en deux panneaux acoustiques ronds avec un dégradé de vert à mauve aux couleurs du tournoi. Ils sont été installés dans le nouveau restaurant The Cavendish”, relate-t-elle avec enthousiasme.
Son travail a aussi tapé dans l’œil des organisateurs de l’European Open. Elle a conçu deux bancs, chacun constitué de 650 balles entières, installés sur le court central. Ils sont pensés pour offrir un confort optimal aux joueurs du tournoi ATP 250 qui se déroule jusqu’au 19 octobre à Brussels Expo.
Une écotaxe, la solution ?
Si les débouchés se multiplient, ils restent peu nombreux. Et ils se heurtent aux mêmes limites : l’absence de coordination et de mutualisation pour une filière unique de recyclage.
“Selon nos estimations, une écotaxe de 20 centimes par tube, soit 0,05 cent par balle, suffirait à financer de manière pérenne le recyclage en Belgique et à sélectionner les bons acteurs”, plaide Grégory Merguerian.
“Une écotaxe de 20 centimes par tube de balle suffirait à financer de manière pérenne le recyclage en Belgique.” – Grégory Merguerian (Bounce)
Avec l’essor croissant du padel et du tennis dans notre pays – environ 140.000 joueurs de padel et 400.000 de tennis à ce jour – le volume de balles ne cesse de croître. La mise en place d’un système de recyclage efficace devient donc urgent.

Des bancs en balles de tennis recyclées à l’European Open
Le BNP Paribas Fortis European Open (ATP Tour 250) a collaboré en exclusivité avec la designer Mathilde Wittock. «Quand nous avons découvert son travail, nous avons eu un coup de cœur et nous avons pensé immédiatement à lui demander de créer des bancs pour les joueurs de notre tournoi de tennis», raconte Ilse Van Parijs, Event Director de la société Tennium qui organise le tournoi.« Immédiatement, on a pensé à BNP Paribas, parce que ce sponsor représentait la culture, la durabilité et le tennis, trois piliers importants pour eux », ajoute-t-elle. « Cette collaboration est aussi symbolique, commente Ilse Van Parijs. C’est un perfect match: Mathilde Wittock est bruxelloise, jeune, talentueuse, et apporte une dimension artistique et durable unique à l’événement».
Des bancs pensés pour le confort et l’écologie
Avec son mari Dick Norman, ex-joueur belge de haut niveau et directeur de tournoi, ils se sont rendus plusieurs fois dans l’atelier de la designer pour discuter de la conception et de l’aspect pratique des bancs disposés sur le court central. « Pour un banc, j’ai recyclé 650 balles entières», détaille la designer.Les bancs sont conçus pour une praticité optimale. « Dick (ndlr: Norman) connaît le confort dont doit disposer un joueur de tennis en match. Il s’est assuré que tout était pratique et confortable et ergonomique pour les joueurs. Il fallait par exemple, absolument, que le banc soit plat pour poser une bouteille d’eau », explique Ilse Van Parijs.
Un tournoi en pleine expansion
Le tournoi se tient pour sa dixième édition jusqu’au 19 octobre à Brussels Expo après plusieurs années à Anvers. L’évènement sportif mise sur la durabilité. Toutes les balles utilisées – près de 5000 – sont données à des écoles de tennis pour réutilisation. « L’an prochain, notre ambition est de recycler davantage de balles », annonce Ilse Van Parijs.