Loi de restauration de la nature : « Restaurer 90 % des milieux, c’est tout à fait irréaliste » (FWA)
Le Parlement européen a adopté à une courte majorité, mercredi en plénière, une position commune sur le projet controversé de restauration des écosystèmes naturels. Didier Vieuxtemps du département Conseil et Politique de la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA), nous donne son avis très critique sur le texte voté.
En l’état, la loi votée est encore trop floue, selon vous ?
Le monde agricole n’est pas du tout opposé au fait qu’il doit travailler à la restauration de la nature et porter une attention à la biodiversité, ce que les agriculteurs belges font au quotidien. C’est fondamental pour le rendement des cultures.
Mais, depuis le début, la Commission est restée assez floue. De nombreuses questions n’ont pas été abordées, le secteur agricole n’a pas été consulté alors que le règlement s’impose à lui, d’en haut.
Les objectifs de cette loi sont-ils réalistes ?
Dans la loi de restauration, l’objectif est de restaurer 30%, puis 60% et ensuite 90 % des milieux. On sait bien que c’est tout à fait irréaliste, voire même fantaisiste. On repart alors sur des situations d’habitats naturels très anciennes, qui prévalaient y a 70 ans. De nombreuses choses ont changé depuis, comme l’artificialisation des terres via l’urbanisation, le climat,…Il y a toute une série de milieux prioritaire pour la Commission, comme les tourbières qui ont besoin de beaucoup d’eau. Mais, on sait bien qu’on ne peut pas restaurer ces tourbières, car on a pas de l’eau en permanence pour qu’elles continuent à fonctionner. Ces habitats font partie du passé. On aurait donc aimé avoir des précisions sur les types d’habitats à restaurer. C’est une grosse lacune du texte. On ne sait pas mesurer l’impact sur l’agriculture, car on ne sait pas précisément ce qu’on doit restaurer.
Vous critiquez aussi le peu de nuances géographiques de la loi
Cette loi s’impose en effet à tous les Etats sans différence géographique, alors qu’il y a de fortes nuances parmi les différents Etats membres. On a une pression démographique plus élevée en Wallonie que dans d’autres régions d’Europe. C’est compliqué d’arriver à 90% des restaurations là où la densité de population est déjà très forte. Chaque Etat doit maintenant déposer un plan national pour apporter des précisions au texte. Ce plan doit être validé par la Commission et la restauration doit débuter en 2026.
Des efforts de restauration sont-ils déjà réalisés en Wallonie ?
Dans la politique des habitats mise en place au niveau européen, l’outil principal, c’est Natura 2000. On a quand même 13% du territoire wallon qui est repris en Natura 2000. Dans ces 13%, des efforts de restauration ont déjà été réalisés. Priorisons déjà tout ce travail de restauration avant de rajouter encore des surfaces complémentaires! Cela nous semble important avant d’étendre ces contraintes à d’autres territoires.
Cette loi est aussi plus contraignante ?
Au niveau agricole, on voit arriver toute une série de directives, au niveau des émissions de C02, de la biodiversité,… La PAC contient aussi tout un volet environnemental. On a l’impression qu’on ajoute des couches et des couches et que parfois, les intérêts se télescopent. Cela devient très complexe de suivre tout cela. Une directive européenne donne des objectifs et les Etats membres établissent leur feuille de route mais ici, le règlement est beaucoup plus contraignant. En général, nous préférons des actions sur base volontaire qu’un règlement imposé d’en haut. Il y a alors plus d’engagement que quand c’est contraint et forcé.
Quels sont les risques pour l’agriculture wallonne ?
On ne connait pas vraiment les conséquences économiques sur l’agriculture wallonne pour la simple raison qu’il n’y a pas eu d’étude sur les impacts économiques. Il y a beaucoup d’inconnues, d’où le climat de méfiance qui règne autour de cette loi.
Si l’on doit transformer certains milieux et passer de prairies à des tourbières, on va perdre des terrains. Cela mettra en péril des exploitations agricoles. La production agricole doit être concentrée sur moins de surfaces. Avec comme conséquence que le prix des terres déjà élevé en Région wallonne sera encore plus élevé.
Jusqu’à menacer, selon vous, la sécurité alimentaire en Europe ?
Avec la guerre en Ukraine, l’augmentation des prix des aliments et les pénuries, il faut faire très attention à ne pas être dépendants d’autres continents en matière d’approvisionnement. La souveraineté alimentaire est une arme en soi. Il faut veiller à garder des terres pour la production locale. En Europe, il y a des cahiers des charges très stricts pour la production agricole. Par contre, il n’y a aucun contrôle sur les normes environnementales lors de l’importation de produits d’autres pays, et notamment sur l’usage des pesticides, des hormones,…Il est aussi primordiale de garantir une sécurité de qualité. Un amendement a été voté en ce sens par l’eurodéputé Benoit Lutgen du Groupe du Parti populaire européen (PPE). Il prévoit des clauses pour monitorer l’impact de la loi sur la sécurité alimentaire et la flambée des prix, c’est une belle avancée.
Qui devra supporter le coût de cette loi ?
A la base, la Politique agricole commune (PAC) devait supporter les objectifs environnementaux alors qu’on diminue progressivement son budget. Il faut analyser tous les fonds européens pour que les efforts ne viennent pas seulement de la PAC. Il faut aussi prévoir un encadrement technique. L’amendement de Benoit Lutgen va dans ce sens en préservant les budgets de la PAC et en mettant en place un financement supplémentaire, dédié et structurel pour la restauration de la Nature.
En conclusion, vous n’auriez pas voté aujourd’hui le texte de la Commission ?
Je le répète, nous ne sommes pas contre le principe de faire attention à la biodiversité, mais la copie qui est sur la table aujourd’hui doit être revue et concertée avec le monde agricole en fonction des budgets disponibles. Il faut notamment qu’il y ait des compensations pour les agriculteurs qui perdraient des terres. Il subsiste trop de zones floues pour que le texte soit voté tel quel pour nous. La Commission doit davantage prendre le pouls du terrain et tenir compte des contextes locaux. Même avec les amendements votés qui répondent à certaines craintes et imprécisions, la Commission devrait pour nous revoir sa copie en profondeur en concertation avec le monde agricole et revenir avec une nouvelle mouture plus fouillée. A la première lecture, nous rejetons le texte, car nous ne savons vraiment pas à quelle sauce nous allons être mangés.
« Une menace pour l’agriculture » selon le Boerenbond
Le Boerenbond abonde dans le sens de la FWA. Pour l’organisation, la loi sur la restauration de la nature constitue une “menace” pour l’agriculture et l’horticulture en Europe.
Le syndicat agricole flamand souligne dans un communiqué qu’il est favorable à l’amélioration de la biodiversité, mais craint l’impact de la loi européenne sur la restauration de la nature.
“S’il faut créer de la nature supplémentaire, ce sera de toute façon au détriment des terres agricoles. La nature est importante, mais la loi sur la restauration de la nature, dans sa forme actuelle, constitue une menace pour l’agriculture et l’horticulture en Europe”, met en garde le Boerenbond.
« Un bourbier juridique »
Lode Ceyssens, président de Boerenbond, parle d’un “bourbier juridique” et d’une “grande incertitude” pour les agriculteurs. Il dénonce “l’absence d’une étude d’impact socio-économique et juridique approfondie”, ce qui fait que “l’impact concret sur l’agriculture et l’horticulture en Flandre et en Europe n’est toujours pas clair”. Le syndicat agricole flamand demande qu’une étude d’impact soit menée au niveau européen, de même qu’une coopération plus grande avec les agriculteurs.
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