Dans les Alpes, la crise climatique fait naître un marché en plein essor : la surveillance high-tech des glaciers, devenue un enjeu stratégique et économique.
Le 28 mai 2025, le village alpin de Blatten a littéralement disparu en quelques minutes, enseveli sous des millions de mètres cubes de roches, de glace et de boue. Les causes sont multiples : fonte du permafrost, surcharge du glacier par les chutes de blocs, pente raide, et glissement profond de la montagne. L’incident de Blatten confirme néanmoins ce que les scientifiques observent depuis plusieurs années : le changement climatique ne se contente pas de faire fondre les glaciers, il réactive des menaces géologiques qu’on croyait dormantes. Il y a ainsi pas moins de 100 sites jugés à « haute instabilité potentielle » dans les Alpes occidentales selon les nouvelles cartes de risque (Office fédéral de l’environnement, 2024). La carte est à trouver en cliquant ici.
Plus concrètement 10 glaciers sont sous surveillance renforcée dans le massif du Mont-Blanc (Tête-Rousse (le plus sensible), Taconnaz, Bossons, Grandes Jorasses…) et 3 sites ont été évacués ou partiellement fermés depuis 2022 : refuge de la Pilatte (Écrins), vallée du Val Ferret dans le massif du Mont-Blanc (Italie sous le glacier de Planpincieux) et l’accès Bossons/Chamonix. Enfin, 30 lacs glaciaires sont également identifiés comme potentiellement dangereux dans les Alpes françaises, mais certains comme celui des Bossons où de Rosolin sont régulièrement vidangé pour diminuer les risques. Le programme européen RiskNat, qui alimente le réseau transfrontalier dédié à la gestion des risques naturels de haute montagne, liste les sites où des travaux ont été réalisés.
Un monitoring ultra-performant
Malgré la violence de la catastrophe de Blatten, s’il n’y a aucune victime à déplorer, c’est grâce à un monitoring ultra-performant, composé de caméras, radars, GPS, capteurs de mouvement, modélisation 3D et surveillance thermique. Cette « vigie alpine » a permis d’anticiper la catastrophe, d’évacuer les habitants à temps et de couper les routes stratégiques. Avec une conséquence directe : un marché de la haute surveillance alpine en pleine expansion. Rien qu’en Suisse, plus de 600 glaciers font l’objet d’un suivi actif. Le glacier de Birch, dont l’effondrement a provoqué la catastrophe de Blatten, était lui-même surveillé depuis 1993.
Un secteur en plein boom
Pour les PME de la tech de montagne, les opportunités explosent. “C’est un secteur en plein boom : la sécurité climatique devient un facteur d’investissement dans les régions alpines”, analyse Nathalie Meignan, économiste de l’environnement dans 20 minutes. Drones topographiques, micro-capteurs embarqués, IA prédictive appliquée aux glissements rocheux : de jeunes entreprises comme AlpSensor, GlacioTrack ou MontData se positionnent sur un marché stratégique en croissance. Les collectivités, quant à elles, misent sur les start-up pour installer des systèmes de monitoring dans les zones non couvertes.

L’industrie de la géosurveillance est aussi portée par des PME spécialisées comme Geopraevent ou Geoazimut, basées à Zurich et Sion. Ces sociétés collaborent étroitement avec les cantons, les instituts scientifiques (comme l’Université de Lausanne ou l’ETH Zurich), et les autorités fédérales pour développer des solutions de plus en plus précises et automatisées. Les acteurs français, autrichiens et italiens cherchent eux aussi à se positionner. La société française Altitude Technologies, par exemple, équipe les Alpes françaises avec des capteurs connectés et développe une IA de prédiction d’éboulements en partenariat avec le CNRS.
Un marché à plus de 250 millions d’euros
En 2023, le marché suisse de la surveillance géologique représentait environ 120 millions de francs suisses, selon une estimation du think tank Alpine Risk Monitor. D’ici 2030, il pourrait dépasser les 200 millions, porté par les investissements publics, les assurances, et les fonds européens dédiés au climat. À l’échelle alpine, ce marché pourrait atteindre plus de 250 millions d’euros d’ici 2030, selon une projection de l’institut montagnard ClimaTerra.
Les assureurs, les transporteurs alpins (câbles, tunnels, routes) et les opérateurs touristiques deviennent de plus en plus demandeurs de solutions prédictives. La tech climatique en permettant d’anticiper par les données se mue en un investissement stratégique, dans une région où chaque aléa peut paralyser des infrastructures vitales.
Jusqu’où faut-il investir ?
L’effondrement du Birch relance également une question de fond. Jusqu’où faut-il investir dans des zones de haute montagne vouées à changer drastiquement ? Et qui paie la facture : les collectivités locales, les États, ou les assureurs ? Ne serait-il pas plus économiquement pertinent de, à terme, déserter les versants instables ? Car surveiller des pans entiers est très coûteux et n’empêche, dans le meilleur des cas, que les pertes humaines. Empêcher les changements profonds qu’impose à la nature le changement climatique est illusoire.

Smart Mountains
La question n’étant pas encore tranchée, la haute technologie est donc désormais la première ligne de défense face à la crise climatique en montagne. Et elle transforme progressivement les Alpes en smart mountains. Les Alpes sont donc désormais truffées de capteurs et les glaciers modélisés en temps réel. Le Réseau Suisse d’Observation du Permafrost (PERMOS) enregistre depuis 2000 l’évolution thermique des sols gelés à travers 25 stations. En France, un plan d’action interministériel face aux risques d’origine glaciaire et périglaciaire, le PAPROG a été lancé en 2024.

Grâce à l’intelligence artificielle, l’idée est aujourd’hui d’aller encore plus en croisant les données glaciaires, géologiques, thermiques, météorologiques et satellites pour établir des modèles prédictifs plus robustes. Nourris par des décennies d’archives, ces modèles pourraient bientôt anticiper les effondrements de parois ou les accélérations de glaciers. Grâce à l’apprentissage automatique, certaines plateformes commencent à détecter des « signatures » annonçant des effondrements. Les géologues parlent désormais de cartographie dynamique des risques alpins, en évolution constante.
En ce sens la catastrophe de Blatten pourrait bien se muer en un cas d’école au croisement de la transition climatique, de la prévention des risques et de l’innovation technologique. Un laboratoire grandeur nature pour tester les technologies d’adaptation au changement climatique. Illustrant aussi ce que sera peut-être la montagne de demain : un territoire à la fois vulnérable et monitoré, fragile mais connecté.
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