Hydrotug: “C’est potentiellement un marché colossal”

L’HYDROTUG n’est qu’un premier coup de semonce.
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Alexander Saverys, CEO de CMB Tech, se félicite du baptême de l’Hydrotug au port d’Anvers-Bruges et entend bien partir à la conquête des 20.000 remorqueurs dans le monde. Une illustration de la stratégie belge pour l’hydrogène.

“Alors, vous avez été impressionné?” Le CEO de CMB Tech, Alexander Saverys, nous interpelle spontanément lorsque l’on évoque avec lui l’Hydrotug 1, premier remorqueur à hydrogène au monde. Comme un enfant émerveillé par son nouveau jouet. Impressionné ? Par la résonance de l’événement, oui: tout le gratin du monde maritime était réuni dans la Maison du Port d’Anvers-Bruges mardi 12 décem­bre pour célébrer le baptême d’un bateau opérationnel après des années de recherche. Comme une porte entrouverte vers un monde décarboné.

“Notre histoire avec l’hydrogène a commencé en 2017 avec Hydroville, le premier navire à hydrogène transportant des passagers, rappelle Alexander Saverys. Pour arriver à l’Hydrotug, on a augmenté la puissance de nos moteurs, pas à pas, après de nombreux tests. Nous démontrons qu’un remorqueur à hydrogène est possible. Il y a 20.000 remorqueurs dans le monde: cela prouve que c’est un énorme marché! Nous avons l’ambition d’amener des Hydrotug dans tous les ports de la planète.”

Pour la famille Saverys, une des plus riches de Belgique, la transformation de la flotte navale pour contribuer à un monde plus vert est une mission philosophique. C’est aussi un élément de survie pour ces armateurs qui viennent de reprendre Euronav, entreprise de transport maritime qui doit s’adapter à une nouvelle ère. Dans un secteur malmené, il convient d’anticiper.

Une énergie qui reste fragile

Sur le ponton de l’Hydrotug, l’énorme moteur à hydrogène occupe une place inédite. Dans les cales “moteur”, les tuyauteries rejoignent une matrice qui double le traditionnel diesel. Car le remorqueur est en réalité “dual”, il permettra d’économiser 65% du carburant utilisé traditionnellement, et donc de réduire les émissions de CO2 d’autant. Mais il n’est pas encore 100% décarboné.

“Cela permet d’assurer une autonomie pour un ou deux shifts de 24 heures, explique Marteen De Nolf, project manager chez CMB Tech, pas peu fier de faire visiter ce joyau. C’est important de le préciser: il a été construit dans le nord de l’Espagne mais de nombreux composants sont belges, notamment le moteur fabriqué par l’Anglo Belgian Corporation, une entreprise familiale gantoise qui existe depuis 100 ans. L’hydrogène reste une technologie complexe, qui n’est pas nécessairement bon marché: pour l’instant, on parle d’un facteur prix de quatre par rapport au diesel. De même, la disponibilité devra être garantie.” Bref, c’est un laboratoire qui a ses limites.

Nous avons l’ambition d’amener des Hydrotug dans tous les ports de la planète.” – Alexandre Saverys (CMB Tech)

Alexander Saverys en est cons­cient. “Nous allons atteindre le sommet des moteurs à hydrogène pour les gros navires, nous dit-il. Mais en ce qui concerne les moteurs plus puissants, pour les navires plus grands susceptibles de traverser les océans, on passera sur l’ammoniaque, une technologie plus adaptée. C’est déjà le cas pour 40 navires que nous avons en commande en Asie dès à présent. L’autonomie du navire doit être de trois jours à deux semaines. L’hydrogène a ses limites, dans ce cas, parce que cela prend trop de place.”

Quant au prix, il est assumé, avec l’ambition d’exportations visant tant l’Amérique que l’Asie ou l’Afrique. C’est un investissement pour le futur. “Cela a un coût, c’est évident, reconnaît le CEO de CMB Tech. Dans ce cas-ci, en plus, nous n’avons pas reçu de subsides pour un projet qui a pourtant nécessité beaucoup de recherche et développement. Le surcoût, nous l’absorbons avec le port pour prouver le concept.”

Eviter une désindustria­li­sation du pays

Calculer le prix exact n’est guère chose aisée (“secret défense”, nous rétorque-t-on) mais on évo­que un surcoût d’un tiers environ par rapport à un remorqueur “normal”. Outre la volonté de prouver la capacité de l’entreprise, CMB mise sur le futur, ces navires ayant une durée de vie longue, de 30 à 40 ans, avec les amortissements calculés sur cette période. La programmation du remplacement de la vingtaine de remorqueurs du port d’Anvers-­Bruges doit être envisagée dès à présent. L’Hydrotug n’est qu’un premier coup de semonce.

Ce sera certainement le remorqueur le plus visité au monde.” – Jacques Vandermeiren (Port d’Anvers-Bruges)

Jacques Vandermeiren, CEO du Port d’Anvers-Bruges, rappelle que le Premier ministre Alexander De Croo était précisément venu dans la métropole pour présenter la stratégie hydrogène des autorités fédérales, sur laquelle elles misent beaucoup. “Nous devons faire le choix de l’hydrogène, pour éviter une désindustrialisation de notre pays”, avait déclaré le libéral flamand en octobre 2022. L’objectif consiste à faire de la Belgique un carrefour de l’énergie décarbonée. Outre l’hydrogène, le gouvernement fédéral investit massi­vement dans l’éolien offshore avec la volonté de faire de la mer du Nord la principale centrale électrique du continent, en partenariat avec les autres pays qui la jouxtent.

Anvers occupe une place centrale dans cette vision zéro carbone. “Il s’agit désormais de concrétiser cette stratégie, souligne Jacques Vandermeiren. Le baptême de l’Hydrotug est, à cet égard, une étape significative pour le secteur maritime dans sa volonté de faire face au changement climatique. Nous avons 22.000 tâches de remorquage par an dans ce port, soit 60 par jour. Nous avons de quoi tester. Cela jouera certainement un rôle majeur dans notre volonté de devenir un port neutre en carbone à l’horizon 2050. Nous souhaitons être une source d’inspiration pour d’autres dans cette voie.” Une étape de transition dans la réduction des émissions de 40 à 50% annoncée pour 2030/2035.

L’industrie maritime est une des plus polluantes au monde et son basculement n’est pas une sinécure. En se promenant dans les eaux du port d’Anvers à bord d’un bateau de la compagnie Wind Cat (à hydrogène comme il se doit), l’évolution du paysage est saisissante, témoignant de la révolution énergétique en cours. D’autres navires hybrides à l’électricité circu­lent, en attendant des expériences au méthanol. Les tuyaux de gaz liquide garantissent le présent. Les chantiers sont innombrables.

Un partenariat gagnant

“Nous voyons le port d’Anvers comme un partenaire, insiste Alexander Saverys. Nous avons des navires qui viennent ici en tant que clients. Nous sommes désormais fournisseurs. La vision du Port d’Anvers correspond à la nôtre sur le plan de la transition énergétique.”

Un partenariat gagnant. “L’Hydrotug, c’est le special one, répond en retour Jacques Vandermeiren. Beaucoup de gens vont venir dans les prochaines semaines, mois et années pour le voir. Ce sera certainement le remorqueur le plus visité au monde.”

Sur le quai, devant l’Hydrotug, du beau monde s’est rassemblé pour briser la traditionnelle bouteille de champagne. Cette fois, la N-VA est à la manœuvre avec Annick De Ridder, bras droit du bourgmestre Bart De Wever et présidente du conseil d’administration du port, pour mener la cérémonie. “Le port d’Anvers-Bruges a pour objectif de se positionner sur la scène européenne en tant que point d’accès aux énergies vertes, en mettant l‘accent sur l’hydrogène comme source de carburant durable pour les navires”, se félicite-t-elle. Quand même les nationalistes flamands se mettent à plébisciter la stratégie belge…

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