Décryptage: la radio poursuit sa mue numérique

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Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Lentement mais sûrement, la transition numérique s’opère dans les habitudes d’écoute radiophonique des Belges. C’est ce qui ressort de la nouvelle enquête Ipsos/maRadio.be avec une belle progression du DAB+ au détriment de la FM. Décryptage.

Le paysage radiophonique est en pleine mutation. Certes, entre la bande FM, les webradios et le DAB+, les auditeurs y perdent parfois leur latin (lire l’encadré “Leçon de son” ci-dessous), mais une chose est d’ores et déjà certaine: la révolution numérique est en marche et la bonne vieille radio de papa ne sera “bientôt” plus qu’un lointain souvenir.

Les guillemets autour du mot “bientôt” ont toute leur importance. Car si la Belgique ne suivra pas de suite la Norvège qui a enterré sa bande FM en 2017, ni même la Suisse qui fera la même transition radicale vers le DAB+ en 2024, notre pays a toutefois déjà fait ses premiers pas sur le chemin de la radio numérique, en espérant la voir totalement triompher avant 2030, si tout va bien.

Pour atteindre cet objectif ambitieux qui garantira un confort d’écoute optimal aux auditeurs, le secteur radiophonique belge, tant public que privé, s’est rassemblé dès 2014 dans un projet coopératif baptisé maRadio.be. Unique au monde, cette alliance stratégique entre “partenaires concurrents” vise à développer non seulement l’usage du DAB+ sur notre territoire, mais entend promouvoir aussi une plateforme numérique 100% belge: Radioplayer.be et ses 250 stations made in Belgium à écouter sur un ordinateur, un smartphone, une tablette ou une enceinte connectée.

Leçon de son

Contrairement au système analogique de la bande FM, la radio numérique propose un son qui est d’abord numérisé puis compressé avant d’être transmis à l’auditeur, soit par le réseau internet, soit par la voie aérienne via des pylônes émetteurs. Dans ce deuxième cas de figure, on parle alors de “diffusion numérique hertzienne terrestre” sous la norme DAB+ (pour Digital Audio Broadcasting+). Cette option numérique présente une série d’avantages. D’abord, elle offre une meilleure qualité d’écoute (fini les interférences de la bande FM). Ensuite, la compression du signal permet de diffuser plusieurs radios sur la même fréquence, ce qui enrichit de facto l’offre radiophonique. Enfin, la numérisation du signal offre aux chaînes l’opportunité d’enrichir leurs contenus audio avec toute une série de données supplémentaires comme du texte et de l’image visibles sur l’écran des récepteurs DAB+.

Mais au-delà de ces avantages techniques, le DAB+ présente aussi deux autres atouts de taille en termes d’économie et d’indépendance. D’une part, cette technologie n’exige aucune connexion internet (qui est en revanche nécessaire pour les webradios) et donc aucun abonnement à un opérateur télécom (l’auditeur ne doit payer que son récepteur dont le prix de base démarre à 25 euros). D’autre part, le DAB+ permet aux radios belges de garder toute leur indépendance, tant éditoriale que publicitaire, par rapport aux géants de la tech qui contrôlent majoritairement le référencement des stations sur le web. Un luxe précieux.

Une notoriété grandissante

Histoire de prendre régulièrement le pouls de ces nouveaux canaux radiophoniques dans la vie des auditeurs, maRadio.be réalise depuis 2018 une vaste étude annuelle sur les habitudes d’écoute des Belges francophones, en collaboration avec l’institut de sondage Ipsos, auprès de 1.500 personnes âgées de 12 ans et plus. Les chiffres de la toute dernière enquête viennent de paraître et ils sont plutôt réjouissants pour les promoteurs du DAB+. En effet, la notoriété et la consommation de ce nouveau type de radio ne fait qu’augmenter au fil des années.

Alors que près d’un sondé sur deux (49%) avait déjà entendu parler du DAB+ en 2019, ce chiffre est passé à 56% en 2020, puis à 64% en 2021, ce qui représente quasiment deux personnes sur trois. Ce pourcentage de “notoriété spontanée” grimpe toutefois encore de quelques pour cent quand on bascule dans le concept d’une “notoriété aidée”, c’est-à-dire lorsque le sondeur donne une définition exacte du DAB+ et demande aux personnes sollicitées si elles connaissent ou non ce mode de diffusion. Dans ce deuxième scénario, 73% des Belges francophones répondent par la positive (soit près de trois sondés sur quatre), un pourcentage qui passe même à 86% quand l’enquête se limite uniquement aux consommateurs réels du média radio (et ne porte donc plus sur la population entière).

La FM recule peu à peu

Si le DAB+ doit encore creuser son trou dans les habitudes d’écoute des Belges francophones (seuls 17% d’entre eux disposent d’un récepteur ad hoc), il n’en reste pas moins que la radio numérique sous toutes ses formes (sur internet, via la télévision ou en DAB+) grignote un peu plus chaque année des parts de marché à la bande FM. De 78% en 2019, le volume d’écoute en FM est en effet tombé à 66% l’année suivante pour atteindre 62% en 2021. Autrement dit, selon l’enquête Ipsos/maRadio.be, 38% de l’écoute radio en Belgique francophone se fait aujourd’hui par voie numérique, avec une prédilection pour le DAB+ qui s’offre la moitié de ce volume (19%).

“Dans cette baisse de la consommation FM, la migration des auditeurs se fait principalement vers le DAB+ et, en petite partie, vers internet, commente Francis Goffin, président de maRadio.be. On note que 81% des personnes qui ont déserté la FM ont en effet choisi le DAB+ contre 19% seulement pour une écoute sur le web. Le DAB+ est donc en train de prendre doucement le relais de la FM et notre challenge consiste justement à convertir à terme les auditeurs de la FM vers le DAB+.”

Dans cette baisse de la consommation FM, la migration des auditeurs se fait principalement vers le DAB+ et, en petite partie, vers internet.

Francis Goffin, président de maRadio.be

Ne pas “switcher” trop vite

Les principales intéressées, à savoir les radios belges présentes sur les différents canaux, sont-elles pour autant prêtes à enterrer la FM pour passer rapidement, comme la Norvège et bientôt la Suisse, en full DAB+”? “Je ne suis pas du tout pressé, répond d’emblée Erwin Lapraille, directeur général des radios de RTL Belgique (Bel RTL, Contact, Mint). Nous sommes actuellement présents sur tous les canaux – FM, DAB+ et internet – et je suis favorable à ce que cela dure le plus longtemps possible pour ne pas priver de radio la grande majorité des gens qui ne sont pas encore concernés par cette migration numérique.”

Du côté de N-Group (Nostalgie, NRJ, Chérie), le CEO semble être sur la même longueur d’onde, en soulignant toutefois l’importance d’accompagner un changement devenu inéluctable: “La FM, le DAB+ et internet représentent aujourd’hui un triptyque gagnant, souligne Marc Vossen. Bien sûr, l’histoire veut que la FM disparaisse à terme et je ne m’oppose pas au progrès technique, mais il ne faut pas accélérer à tout prix cette transition vers le numérique. Avant de basculer dans le DAB+, il faut d’abord avoir une sécurisation de l’audience – au minimum 80% selon moi – et une couverture satisfaisante au niveau technique, ce qui n’est pas encore le cas. Mais il faut surtout convaincre les annonceurs d’être davantage présents sur le numérique car, aujourd’hui, le DAB+ et le web ne sont pas encore des leviers de gains.”

Des annonceurs aux aguets

Dans le chef des marques, justement, les mentalités semblent évoluer. “On sent très clairement un nouvel intérêt des annonceurs pour la radio numérique, témoigne Denis Masquelier, directeur général d’IP Belgium, la régie publicitaire de RTL Belgique. Depuis longtemps, notre objectif est de créer un marché du digital audio et on sent que ça bouge enfin du côté des annonceurs puisque, entre 2020 et 2021, nous avons multiplié par 2,5 nos revenus dans le numérique qui, chez nous, sont encore sous la barre des 5% de nos revenus globaux. Donc, on y croit et IP veut d’ailleurs être un grand acteur à ce niveau avec des offres couplées FM et numérique, même si l’on ne veut pas précipiter les choses, étant donné que le marché de la FM fonctionne encore très bien aujourd’hui.”

Du côté de la concurrence, on confirme cet intérêt grandissant des agences et des annonceurs pour le format radio numérique, en ajoutant cette fois une dimension de séduction inédite qui pourrait accélérer le mouvement: “Il faut rappeler que le DAB+ est un format audio augmenté, ce qui peut être à terme très intéressant pour les annonceurs, explique Yves Gérard, CEO de RMB, la régie publicitaire de la RTBF. C’est un format qui, dans le futur, donnera une exposition inédite aux marques en couplant l’audio et le visuel sur l’écran des récepteurs DAB+. Il y aura une réelle interactivité puisque l’auditeur pourra toucher l’image pour avoir par exemple accès à une plateforme, ce qui ouvre la porte à de nouvelles opportunités publicitaires. Nous n’en sommes donc aujourd’hui qu’aux balbutiements de l’offre.”

38% de l'écoute radio en Belgique francophone se fait aujourd'hui par voie numérique.
38% de l’écoute radio en Belgique francophone se fait aujourd’hui par voie numérique.© pg

Se méfier des géants de la tech

Outre la promotion du DAB+, l’association maRadio.be encourage également la migration numérique des auditeurs à travers cette autre initiative sur le web qu’est la plateforme d’écoute 100% belge Radioplayer.be, avec toutefois ce petit bémol sur le contexte général mis en exergue par son président: “Le DAB+ apporte une fidélité des auditeurs proche de celle acquise en FM, tandis que l’écoute sur les plateformes digitales implique un autre comportement de l’auditeur qui y consomme moins de radios, constate Francis Goffin. C’est une des difficultés de la distribution de la radio sur internet aujourd’hui, mais c’est loin d’être la seule, avec la nouvelle concurrence des plateformes de distribution musicale qui commencent à supplanter la radio dans son rôle historique de prescripteur de musique et qui sont aussi des plateformes de distribution de podcasts dont les contenus ne sont pas régulés.”

Embrasser la devise nationale L’Union fait la force semble donc essentielle pour réussir à terme cette migration numérique du média radio en Belgique, comme le souligne d’ailleurs l’administrateur général de la RTBF: “Sur internet, la bataille est rude avec les géants de la tech non régulés et à tendance hégémonique qui envahissent aussi le secteur de la radio et de l’audio, commente Jean-Paul Philippot. C’est la raison pour laquelle la RTBF soutient la plateforme commune Radioplayer.be et préfère que ses contenus ne soient pas distribués sur des agrégateurs commerciaux tiers avec lesquels elle n’a pas d’accord (comme le géant américain Tune In, Ndlr). Cette stratégie de distribution est rejointe de plus en plus par d’autres diffuseurs comme Radio France il y a quelque temps déjà et, tout récemment, le groupe de radios privées britannique Bauer UK.”

Un allié à quatre roues

Doucement enclenchée, la migration numérique du média radio prendra donc encore quelques années avant que la bonne vieille FM de papa ne soit définitivement enterrée sur notre territoire. Mais le DAB+ peut d’ores et déjà compter sur un solide allié pour asseoir définitivement sa notoriété. Depuis le 20 décembre 2020, le Code des communications électroniques européens impose en effet aux constructeurs automobiles d’équiper toutes les voitures neuves, vendues ou louées dans l’Union européenne, d’un récepteur DAB+. Un précieux coup de pouce qui devrait à coup sûr booster les bons résultats de consommation du DAB+ dans les futures enquêtes Ipsos/maRadio.be.

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