De nouvelles alliances se forment
Les politiques expansionnistes de la Turquie et de l’Iran dans la région ont rapproché de nombreux pays arabes d’Israël et redessiné les alliances autour d’un axe anti-islamiste.
Israël a attendu 31 ans pour que l’Egypte devienne le premier pays arabe à faire la paix avec lui. Quinze autres années se sont écoulées avant que la Jordanie ne soit le deuxième. Et plus d’un quart de siècle après, en 2020, ce sont les Emirats arabes unis (EAU) qui sont devenus le troisième. Mais aujourd’hui, le processus est plus rapide. Bahreïn et le Soudan ont très vite emboîté le pas aux EAU et ils ont été applaudis par d’autres dirigeants pour qui la cause palestinienne est dépassée. Dans les années qui viennent, d’autres pays reconnaîtront Israël, peut-être même la très conservatrice Arabie saoudite.
Ce fléchissement du climat d’hostilité entre les pays arabes et Israël n’est que l’un des changements intervenus au Moyen-Orient, et peut-être pas le plus important. De nouveaux conflits apparaissent avec le retrait de vieilles puissances de la région, l’arrivée de nouvelles et l’influence grandissante d’acteurs locaux. Ces changements s’accéléreront en 2021 et perdureront bien au-delà.
L’Iran demeure l’axe principal autour duquel se positionnent les pays de la région. Les préoccupations suscitées par son discours menaçant, son aventurisme à l’étranger et son activité nucléaire ont favorisé le rapprochement entre Israël et les pays arabes. Le conflit opposant ces derniers à l’Iran a fortement marqué la décennie qui vient de s’écouler, alimentant des guerres en Irak, en Syrie et au Yémen, et amplifiant le chaos ailleurs. Joe Biden souhaite apaiser les tensions, mais les Etats-Unis sont moins actifs que par le passé. L’avenir de la région pourrait être façonné par un conflit d’un genre différent, dans lequel des alliés et des puissances étrangères seraient également impliqués.
Une leçon à tirer de tous les accords conclus avec Israël: les plus grands ennemis ne sont pas voués à le rester éternellement.
La Petite Sparte
A commencer par les Emirats arabes unis. La ” Petite Sparte “, comme on les surnomme parfois, a longtemps été éclipsée par son plus grand voisin et allié, l’Arabie saoudite. Les Emirats ont pourtant une plus grande influence. Leur pouvoir s’exerce en douceur, en vantant le ” modèle de Dubaï ” (de bonne gouvernance et de dynamisme économique) et en déversant des pétrodollars dans les capitales européennes. Ils considèrent l’Iran comme un pays problématique, mais aussi comme un partenaire (des entreprises iraniennes ont des bureaux à Dubaï), d’où leurs efforts pour tenter de réduire les tensions avec les mollahs.
Mais les EAU peuvent aussi se montrer plus radicaux. Mohammed ben Zayed, qui est leur dirigeant de facto, est animé par son opposition à l’islam politique qu’il perçoit comme une menace. Depuis qu’un gouvernement islamiste a été brièvement porté au pouvoir en Egypte par le Printemps arabe et que les Etats-Unis ont laissé faire, le prince Mohammed a joué un rôle plus actif dans la région. Il a puisé dans les énormes ressources du pays pour repousser les groupes islamistes, en finançant notamment un soulèvement populaire contre le gouvernement islamiste égyptien et en soutenant la prise du pouvoir par l’armée.
L’axe Turquie-Qatar
Ce positionnement oppose donc le prince Mohammed à Recep Tayyip Erdogan, l’homme fort de la Turquie, qui défend les islamistes. L’antagonisme entre les deux hommes est très grand. Istamboul est devenu un repaire de dissidents arabes. Les EAU accusent la Turquie de s’être alliée avec le Qatar pour renforcer l’islam politique dans la région, les Turcs fournissant les forces nécessaires et le Qatar, les fonds. Depuis 2017, ce petit émirat est soumis au blocus d’une coalition menée par les EAU en raison, notamment, de son soutien à des groupes islamistes. La Turquie s’est portée à son secours. En 2019, elle a achevé la construction au Qatar d’une base militaire pouvant accueillir 5.000 soldats turcs.
M. Erdogan a également envoyé des militaires (ainsi que des armes et des mercenaires) pour soutenir le gouvernement libyen livré à lui-même et qui a réussi à s’assurer la collaboration de milices islamistes. Le pays a pu ainsi repousser une offensive de Khalifa Haftar, seigneur de guerre rebelle et anti-islamiste convaincu qui est soutenu par les EAU, l’Egypte et la Russie. La crise est en train de s’étendre en Méditerranée orientale, où la Turquie a revendiqué le droit de forer au large d’îles grecques en vertu d’un accord bilatéral avec la Libye. Les Grecs, bien évidemment, s’y opposent. En août, ils ont mené des exercices militaires auxquels les Emirats arabes unis ont pris part.
Erdogan, une force malfaisante?
La plupart des Etats arabes ne voient pas dans la Turquie une menace aussi grande que dans l’Iran. Mais des pays comme l’Arabie saoudite et l’Egypte sont de plus en plus préoccupés par son aventurisme dans leur voisinage. M. Erdogan a occupé des zones situées dans le nord de la Syrie et lancé des frappes aériennes à l’intérieur de l’Irak, des opérations menées contre les forces kurdes que la Turquie considère comme des terroristes. En Occident aussi, des dirigeants voient M. Erdogan comme une force malfaisante qu’il importe de maîtriser, même si son pays est toujours membre de l’Otan.
Alors que la Turquie s’éloigne de l’Occident et se rapproche de l’Iran et de la Russie, certains considèrent ces trois pays comme un bloc hostile à tout rapprochement avec Israël. Ils ont des intérêts et, plus important encore peut-être, des ennemis communs. Mais ils sont en désaccord sur certaines questions, notamment celle du camp à soutenir en Libye et en Syrie. Leur alliance reste donc fragile.
L’opposition entre la Turquie et les Emirats arabes unis va toutefois perdurer, ce qui va contribuer à envenimer la situation. Les dirigeants du Moyen-Orient devraient tirer au moins une leçon de tous les accords conclus avec Israël: les plus grands ennemis ne sont pas voués à le rester éternellement.
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