De Caterpillar à Legoland, la victoire de l’industrie touristique
Le numéro 2 mondial des parcs d’attractions ouvrira en 2027 un Legoland sur l’ancien site de Caterpillar. Cet investissement de près de 400 millions d’euros doit créer 800 emplois directs.
Le 2 septembre 2016, le groupe Caterpillar annonçait la fermeture de son usine de fabrication d’engins de génie civil à Gosselies. Six ans plus tard, quasiment jour pour jour, le groupe britannique Merlin Entertainments a officialisé au cours d’une conférence de presse son intention de construire, sur ce vaste site industriel, le quatrième parc d’attractions Legoland en Europe, après ceux du Danemark, du Royaume-Uni et d’Allemagne (Bavière). Cet investissement estimé entre 370 et 400 millions d’euros sera réalisé en partenariat avec les acteurs publics belges (la Sogepa, propriétaire du site, apporte 100 millions d’euros et la SFPI, bras financier de l’Etat fédéral, devrait y ajouter 30 millions). Si tout se déroule comme prévu, le parc ouvrira ses portes au printemps 2027.
Le tourisme de moyenne distance va se développer. La Wallonie aura une belle carte à jouer, avec une offre aussi attractive que Legoland.” Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la Relance (PS)
L’idée de départ n’était pas de se tourner vers un acteur du divertissement mais bien de démarcher des acteurs manufacturiers prêts à reprendre l’intégralité de ce site de 110 hectares, très bien situé à proximité de l’autoroute et de l’aéroport. Un candidat a rapidement semblé tenir la corde: la start-up chinoise Thunder Power et son projet de création d’une toute nouvelle marque de voiture électrique. Ses dirigeants sont même venus à Charleroi, en 2018, pour signer un engagement avec le gouvernement wallon. Cette jeune entreprise, qui n’avait jamais construit le moindre véhicule, s’est toutefois révélée incapable de concrétiser le projet.
La piste des voitures électriques n’a pas été abandonnée pour autant. Le site de Caterpillar figurait en effet dans la short list de Tesla pour l’implantation de sa gigafactory européenne (finalement localisée à Berlin). Il a par ailleurs été très sérieusement étudié par Amazon, à la recherche d’un hub logistique. Au total, plus de 200 groupes internationaux ont été approchés. Mais, aujourd’hui, le projet Legoland est le seul à émerger. “Les terrains d’une telle taille ne correspondent plus aux besoins industriels actuels, constate Thomas Dermine, qui était la cheville ouvrière de
la stratégie industrielle post- Caterpillar à Charleroi (plan Catch) avant de devenir secrétaire d’Etat à la Relance. La nouvelle usine BMW au Mexique, leur plus grande sur le continent américain, c’est 45 ha. Et Tesla en Allemagne, c’est 70 ha.”
Refus de morceler le site
La question devenait alors: faut-il morceler le terrain, à l’image de ce qui avait été fait à l’époque pour le site Ford Genk, ou trouver une nouvelle affectation ayant un impact intéressant pour la région? Les autorités wallonnes ont jugé, d’une part, que l’offre de petites parcelles destinées à l’accueil d’entreprises était suffisante (et ce sera encore plus vrai après la reconversion du site de Carsid à Charleroi) et, d’autre part, que le projet de Legoland pouvait apporter une impulsion structurante pour l’industrie touristique wallonne.
“Il y a un écosystème ‘tourisme’ avec, pas très loin, le parc Pairi Daiza ou les Lacs de l’Eau d’Heure, expliquait le président du comité de direction de la Sogepa, Sébastien Durieux, au printemps dernier dans Trends-Tendances. Il faut capitaliser là-dessus, d’autant que les vacances de proximité sont sans doute l’avenir.” “Le tourisme de moyenne distance, à trois ou quatre heures de route, va se développer, ajoute Thomas Dermine. La Wallonie a une belle carte à jouer. Elle constitue un îlot de verdure dans une zone très urbanisée et industrialisée. Mais nous n’avons pas d’attraction vraiment exceptionnelle. Avec le Legoland, nous aurons ce phare qui va attirer des familles pour des séjours en Wallonie, où ils iront aussi à Pairi Daiza, en Ardenne et ailleurs. C’est un peu comme l’effet Primark, l’enseigne qui attire les chalands dans un centre commercial.” Pour la petite histoire, il nous revient qu’une rencontre avec Eric Domb, CEO et fondateur de Pairi Daiza, a contribué à convaincre les dirigeants du groupe Merlin du potentiel touristique du Hainaut.
A la Sogepa, on rappelle par ailleurs que la marque Lego est aussi très active dans le digital (Lego digital designer) et que sa présence à Charleroi, même via un parc d’attractions, peut à terme aider à structurer l’écosystème naissant du gaming en Wallonie.
Enfin, ce type de parc présente un autre avantage: il a besoin d’une main-d’oeuvre peu qualifiée, ce qui correspond au bassin d’emploi de Charleroi. Une usine de fabrication de batteries aurait peut-être buté sur des difficultés de recrutement de profils qualifiés tandis que les projets logistiques sont, eux, peu intensifs en personnel. Le projet Legoland annonce la création de 800 emplois directs et 640 indirects (horeca, services, etc.) dès l’ouverture.
A ce stade, c’est toujours un “projet”…
Vous l’aurez noté, à ce stade, on ne parle toujours que d’un “projet”. Certes suffisamment avancé pour que le COO de Merlin Entertainments, John Jakobsen, tienne à venir lui-même le présenter à la presse, entouré d’un joli parterre de ministres, mais toujours à l’état de projet et avec encore des portes de sortie prévues dans le protocole d’accord signé par le gouvernement wallon. Ce protocole est “non contraignant”, les deux parties se réservant le droit d’abandonner le projet si les coûts estimés devaient continuer à grimper (en quelques mois, il est déjà passé de 300 à 400 millions). “Nous devrions arriver à un accord liant d’ici la fin de l’année, après de dernières études techniques”, assure le ministre de l’Economie, Willy Borsus (MR). En restant dans la fourchette actuelle, cela ferait le deuxième plus gros investissement en Wallonie ces 10 dernières années, après ceux opérés par Google aussi en Hainaut.
Les risques d’échec existent donc mais ils semblent nettement plus mesurés qu’avec Thunder Power. Merlin Entertainements possède déjà quelque 140 sites touristiques à travers le monde (les parcs Legoland mais aussi Madame Tussaud, les parcs Sea Life, etc.) et est le numéro 2 mondial du secteur, après Disney, avec un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros. C’est en théorie plus costaud qu’une start-up chinoise qui n’avait jamais construit le moindre véhicule… Le groupe est contrôlé par le holding de la famille fondatrice de Lego, donc un actionnaire solide, a priori.
Tout cela fait que, du côté wallon, on s’apprête à investir en confiance. L’apport régional serait de 100 millions, via une société immobilière commune au groupe Merlin et aux outils financiers publics belges (50/50). Cette JV Legoland Belgium serait propriétaire du site, qu’elle mettrait à disposition (moyennant rétribution) au groupe Merlin, en charge de l’exploitation et de la gestion du parc. De quoi amortir l’apport public initial. Les investissements à venir pour la maintenance et la modernisation du parc seront du ressort de l’exploitant. En moyenne, Merlin réinvestit 10% du chiffre d’affaires des parcs dans leur rénovation.
Une expansion est d’ores et déjà envisagée. Le projet actuel laisse en effet une réserve de 20 ha pour une seconde phase de développement, en fonction de l’évolution du nombre de visiteurs (les projections tablent sur 1,5 million d’entrées au début et 2 millions à terme). Cela permettrait, selon les promoteurs, de revoir les chiffres de création d’emplois “significativement à la hausse”.
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