“Le bitcoin reste un puissant outil démocratique”
En décidant de percevoir son salaire en cryptomonnaies durant un an, Christophe De Beukelaer (Les Engagés) a mis en jeu sa crédibilité pour démontrer l’utilité sociétale du bitcoin. Malgré les krachs et le climat d’aversion, le député du Parlement bruxellois affirme qu’il poursuivra son action
Audace ou témérité? Il s’agissait en tout cas d’une première en Europe: convertir l’entièreté de ses émoluments en bitcoin durant un an. Douze mois se sont écoulés depuis que le parlementaire régional a posé cet acte politique. Cela lui a notamment valu le titre de “député crypto”. Mais Christophe De Beukelaer préfère qu’on le considère comme le député de la finance juste. C’est dans cet esprit que le centriste bruxellois a voulu explorer le monde parallèle des monnaies numériques, pour percer le “brouillard de la spéculation” et vérifier si ces nouvelles technologies pouvaient rendre service à la société. Car pour le mandataire Les Engagés, les fondamentaux du bitcoin apportent des réponses à nos défis majeurs: la liberté financière face aux dérives monétaires des Etats et des banques centrales, l’équilibre mathématique face à un modèle insoutenable de croissance infinie, la souveraineté économique face aux géants industriels américains et chinois. Un enthousiasme crypto indiscutable?
TRENDS-TENDANCES. Le bitcoin s’échangeait à 46.000 dollars lorsque vous avez entamé vos conversions de salaire. Fin décembre, le taux de change devrait osciller autour de 18.000 dollars. Une dévalorisation de 60%. C’était le prix à payer pour démontrer vos convictions?
CHRISTOPHE DE BEUKELAER. Exactement. Si on n’a pas l’audace de ses convictions, autant ne pas faire de politique. Dans ce périple, je sors déjà riche d’un premier enseignement financier (sourire). Je n’ai pas acheté tous mes bitcoins à 46.000 dollars. J’ai lissé mon investissement sur toute l’année, convertissant mensuellement. Or, ce type de placement, il faut le prévoir sur le long terme. Puis, tout dépend de votre point de référence. Depuis sa création, la jeune monnaie qu’est l’euro a perdu 85% de sa valeur par rapport à l’or. Celui qui perçoit son salaire en euro devrait aussi se poser des questions.
Vous n’auriez pas pu choisir pire moment pour vos prétentions salariales, l’univers crypto ayant essuyé plusieurs chocs systémiques, avec Terra ou FTX, par exemple. Ces catastrophes plombent votre évangélisation ou vous offrent-elles des preuves de résilience?
Toutes les 10 minutes, un bloc a bien été créé sur le réseau bitcoin. La technologie n’a pas failli. Sans intermédiaire officiel, sans interventionnisme, c’est resté le réseau informatique le plus solide au monde, un exploit technologique incomparable. Les fondamentaux sont là. On a assisté à un grand nettoyage d’acteurs usurpant les valeurs cryptos. Ces chocs sont les faillites d’acteurs centralisés qui s’interposent entre les utilisateurs et ces nouveaux outils technologiques facilement accessibles mais complexes à maîtriser. Ces acteurs promettaient de gérer les cryptos pour autrui mais abusaient de la confiance.
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Ces abuseurs profitaient de surcroît des failles réglementaires…
Oui. C’est pour cela que j’appelle à une réglementation forte des acteurs centralisés de la crypto. Ce grand nettoyage n’est pas terminé. Il faudra crever l’abcès comme quand la bulle internet a été percée, quand des faillites en masse de sociétés qui surfaient sur la vague ont émergé des prestataires de services sérieux. J’estime que mon acte politique en ressort d’autant plus pertinent.
La finance décentralisée, “blockchainisée”, programmable et automatisée, est-ce alors ce qui se rapproche le plus de votre idéal de finance juste?
En partie, oui. Si j’avais une chose à refaire, je n’aurais converti que la moitié de mon salaire en bitcoin. Non pas à cause de quelconque déconvenue financière mais pour bien montrer que l’idéal serait la cohabitation équilibrée entre la finance décentralisé et la “centralisée”, le système financier traditionnel. Je ne suis pas un maximaliste, j’appelle à la coexistence.
Je suis effaré du manque d’efforts consentis par des hommes et femmes politiques pour aller au-delà des préjugés.
Vous avez été le premier député payé en bitcoin en Europe. Mais personne n’a suivi votre impulsion…
L’écosystème crypto est fort. Des entrepreneurs aux citoyens le composant, cet écosystème me l’a bien rendu, avec un vrai soutien. Je ne me suis pas senti seul dans la société. Dans le monde politique, en revanche, je me suis senti isolé. Et c’est ce que je dénonce: les enjeux publics liés à la crypto ne sont jamais débattus. Par manque de conscience, de connaissances. Mais j’estime, à mon niveau, avoir participé à placer ces enjeux à l’agenda politique. Ces thèmes vont mûrir, je l’espère.
Ne risquez-vous pas de vous égarer dans un “don-quichottisme crypto”?
Des convictions fortes nous exposent aux détracteurs, mais c’est la politique. Je suis cependant effaré du manque d’efforts consentis par des hommes et femmes politiques pour aller au-delà des préjugés. J’estime être allé jusqu’à la moelle de ce sujet du bitcoin. Or, ce que je crains et déplore, c’est que tous ces porte-drapeaux anti-cryptos, en fait, n’ont pas pris le temps de réellement étudier les enjeux politiques et sociétaux des fondements technologiques. Ils s’arrêtent à la spéculation qui n’est qu’un écran de fumée cachant les vertus de l’innovation.
L’adoption crypto prendra plus de temps que je ne le pensais. Mais je refuse de me résigner.”
L’ampleur des obstacles à surmonter en termes de persuasion, de réglementation, d’adoption, ne vous décourage pas?
Je reste totalement confiant. Mais au fil des rencontres que cet acte politique a suscitées, j’ai pris la mesure des développements encore nécessaires. Je dois reconnaître que l’adoption crypto prendra plus de temps que je ne le pensais. Je refuse cependant de me résigner à ce que la Belgique, et même plus largement l’Europe, reste à la traîne sur un secteur économique qui participera à la prospérité de demain. Nous abritons pourtant des pépites cryptos: des Keyrock, NGRAVE, SettleMint, pour ne citer qu’elles. Des entreprises prometteuses dont les fondateurs s’inquiètent de la politique tech en Belgique. Ou plutôt de l’absence de vision politique pour la belgian tech.
Vous allez donc poursuivre votre défense des enjeux et acteurs cryptos au-delà de votre dernière transaction symbolique…
Oui, au travers de propositions concrètes l’année prochaine, en cherchant, malgré une législation belge n’offrant pas énormément de leviers, à promouvoir le secteur et donner une place à cette finance décentralisée. Puis la nouvelle édition de la Brussels Blockchain Week, que nous avons créée entre “convaincus” de l’utilité sociale de ces technologies, pour offrir de la visibilité aux joueurs belges et aux vrais enjeux. L’événement sera engagé autour de la liberté financière, de la durabilité, de la souveraineté industrielle, et axé régulation, qui est la condition nécessaire à l’innovation et l’adoption. D’ici-là, je continuerai d’attirer l’attention sur le bitcoin comme puissant outil démocratique et tenterai de convaincre les dirigeants d’employer ces technologies à bon escient.
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