Paul Vacca

Complotisme: pourquoi le bon sens ne sert à rien

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Le bon sens est justement ce contre quoi se construit un argument complotiste. C’est la souche même de sa prolifération.

Pour infirmer les théories du complot, le bon sens voudrait qu’une arme soit efficace: le bon sens, justement. En effet, que dire de thèses aussi disparates que celle de la “Lune creuse”, la “5G dans les vaccins” ou le “Great Reset” (ce vaste complot des ultra-riches contre les pauvres pour faire accéder le monde à un nouvel ordre mondial qui serait à l’origine du coronavirus), sinon qu’elles sont toutes absurdes? Alors on se dit que plutôt que de penser à des dispositifs sophistiqués, distiller un peu de bon sens pourrait remettre de l’ordre dans tout cela et disqualifier ces thèses abracadabrantesques.

Le bon sens est justement ce contre quoi se construit un argument complotiste. C’est la souche même de sa prolifération.

Or, les choses ne sont pas si simples. Pour prendre une métaphore en vogue: le bon sens constitue un très mauvais vaccin contre le virus complotiste. Ses effets thérapeutiques sont inexistants, voire contre-productifs. D’abord parce que le bon sens est justement ce contre quoi se construit un argument complotiste. C’est la souche même de sa prolifération. Le bon sens, c’est en effet le sens commun ou plus exactement le sens du commun. Et l’amateur de complot s’imagine être un personnage hors du commun. Lui n’est pas dupe de ce qu’il appelle les “médias mainstream” tout juste bons pour les moutons qui avalent docilement ce qu’on leur raconte. En appeler au bon sens revient à rajouter une pièce dans le juke-box: redonner du crédit à sa thèse paranoïaque. Car pour un “platiste”, affirmer que la Terre est plate n’est pas tenir un propos d’ordre géologique, mais réfuter une vérité qu’il estime imposée, une charge contre le bon sens.

Ensuite, parce que la science elle-même, et donc ce que l’on pourrait appeler la vérité, met elle aussi le bon sens au défi. Affirmer que la Terre tourne autour du Soleil (et non l’inverse), cela va dans une certaine mesure à l’encontre de notre bon sens. De même que si l’on se fie uniquement à notre bon sens, il est plus facile de croire que la Terre est plate – c’est l’expérience que nous en avons au quotidien – que de nous imaginer la tête vers le bas dans le vide de l’univers, maintenus par l’attraction terrestre. On peut par ailleurs trouver bizarres ceux qui disent que la Lune est creuse, mais le fait que nous apercevions des étoiles qui sont mortes depuis des millions d’années ne l’est-il pas tout autant? Comme le fait que plus un thé est infusé moins il contient de théine active est un démenti au bon sens. Bref, si l’on ne se fie qu’à notre bon sens, les vérités scientifiques sont tout autant absurdes, ou contre-intuitives si l’on préfère, que les théories du complot.

Et enfin, parce le bon sens est tout aussi absurde. C’est juste une question de focale différente. Si le complotiste voit les choses en grand au niveau de la planète, voire de l’Univers, et ce jusqu’à en perdre le sens commun, le théoricien du bon sens, lui, opère dans un champ de vision réduit également jusqu’à l’absurde. Ainsi, quand un ministre affirme que “lorsqu’on a mal aux dents, on va chez le dentiste, et donc lorsque l’on est face au virus, on consulte les virologues”, il profère une affirmation de pur bon sens et, en tant que telle, irréfutable. Mais seulement si l’on reste dans le champ étroit dans lequel il s’inscrit. Or, le bon sens devient vite absurde. Car que fait-on si l’on a mal aux dents mais que notre maison brûle: on continue d’aller chez le dentiste ou on essaie d’éteindre l’incendie? En fait, comme le dit Philippe Noiret dans le film Les Ripoux, si le monde était guidé par le bon sens, “on irait tous mourir dans les cimetières”.

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