Paul Vacca
Comment trouver un problème à sa solution
Les start-up ne sont-elles pas la plupart du temps valorisées pour une solution à un problème qui n’a pas encore été identifié?
C’est la version feelgood du sparadrap du capitaine Haddock. Cette histoire, Spencer Silver, qui vient de mourir le 8 mai dernier à l’âge 80 ans, l’a racontée des milliers de fois durant sa vie. Celle de la genèse miraculeuse d’un produit devenu universel: le Post-it.
En 1968, le jeune Dr Silver travaille au laboratoire central de recherche de 3M pour développer des adhésifs. Il cherche à développer une colle ultra-puissante pour la construction d’avions. Echec sur toute la ligne. Mais au cours de ses expériences, il donne naissance à quelque chose de radicalement différent: une “colle pas trop collante”, à savoir un à-plat adhésif qui s’attache aux surfaces mais qui peut être facilement décollé et réutilisé.
Génial, mais que faire de ça? Silver est embarrassé avec ce qui est, selon ses propres dires, “la solution en quête d’un problème”. Pourtant, il sent qu’il tient quelque chose et donne des séminaires chez 3M dans l’espoir de susciter une idée chez les développeurs de produits. Avec une telle obstination qu’elle lui vaut le surnom euphémistique de “Mr. Persistent”.
Il faudra quelques années pour que quelqu’un chez 3M s’y intéresse sérieusement: Art Fry, ingénieur chimiste à la recherche de nouveaux produits. C’est au deuxième trou du parcours de golf chez 3M que celui-ci entend parler pour la première fois de l’invention de Silver et décide alors de participer à l’un des séminaires.
Séduit par le concept, Fry n’entrevoit pour autant pas d’application à cette invention. Jusqu’au jour où, alors qu’il répète avec la chorale de son église, il rencontre un problème que l’invention de Silver pourrait résoudre: ses marques-pages pour sélectionner les chansons de son recueil de cantiques tombent sans arrêt… Fry envoie alors un rapport à son supérieur avec un mot inscrit sur le recto du marque-page adhésif jaune pâle (c’était la seule couleur disponible en papier brouillon au laboratoire). Et celui-ci lui répond “OK” sur le verso repositionné sur le document. C’est le “moment eurêka “d’une intensité si forte que Fry confesse en ressentir l’excitation encore 40 ans plus tard.
Les start-up ne sont-elles pas la plupart du temps valorisées pour une solution à un problème qui n’a pas encore été identifié?
Le Press’n Peel fait pourtant un flop lors de son lancement en 1977. Mais relancé en 1980 sous le nom de Post-it, à grand renfort d’échantillons gratuits pour amorcer la pompe, il décolle immédiatement. Effet magique, le produit assure tout seul sa promotion: passant de dossiers en dossiers, on le regarde, le décolle et le recolle, puis on achète un bloc-notes en recréant une nouvelle chaîne. La viralité d’un réseau social avant les réseaux sociaux.
Comme on le sait, il se vendra des milliards de Post-it chaque année d’abord sous la forme de petits blocs jaune canari puis dans d’autres teintes et tailles et même en virtuel avec les Virtual Post-it dans les ordinateurs. Actuellement, on dénombre plus de 3.000 produits de la marque Post-it.
Une success story édifiante tout à la fois ode au hasard et à la sérendipité: éloge du travail en équipe et aux échanges en entreprise (pas sûr que l’on eût développé ce produit avec Zoom) et apologie de la patience et de la persévérance (12 ans se sont écoulés entre l’invention de Silver et la commercialisation du premier Post-it).
Cependant, on imagine aisément que les start-up préféreront sauter directement au happy end. Ne sont-elles pas la plupart du temps valorisées pour une solution à un problème qui n’a pas encore été identifié? Or, peut-être faut-il leur rappeler que la réalité se révèle souvent “beckettienne”. Comme Godot qui ne pointe jamais son nez, on peut très bien détenir la solution à un problème qui n’arrivera jamais.
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