Olivier Mouton
Climat: des Etats stratèges et des entreprises engagées
Nous avons plus que jamais besoin de visionnaires publics courageux et de pragmatiques privés, déterminés à atteindre des objectifs ambitieux en y mettant les moyens.
Les vagues de chaleur se suivent et se ressemblent durant ce nouvel été de tous les records. Et ce n’est qu’un début: les experts du Giec rappellent que leurs rapports prévoient des températures de 50 °C en Europe et la multiplication de phénomènes extrêmes d’ici la moitié du siècle. Or, nos sociétés ne sont pas prêtes: elles peinent à réaliser les efforts nécessaires pour diminuer l’impact du changement annoncé mais elles sont également en retard pour adapter l’environnement à la révolution qui s’annonce, que ce soit dans l’aménagement du territoire, la construction des bâtiments, l’alimentation ou la modification de l’organisation du travail.
“Le capitalisme néolibéral n’est pas compatible avec le défi climatique”. Dans la torpeur de ces journées sèches, l’économiste Bruno Colmant rédige son prochain livre, marqué par ce drame annoncé. Le fil conducteur parachève le “coming out” de l’ancien penseur libéral, qui avait imaginé les intérêts notionnels auprès du ministre MR Didier Reynders: il s’oriente désormais vers une pensée “écosocialiste”. Selon lui, seul un Etat stratège pourra induire les adaptations nécessaires.
Le titre de son livre, “Avec une brûlante inquiétude”, s’inspire d’une encyclique du pape Pie XI, méconnue et diffusée dans les églises allemandes en 1937 pour mettre en garde contre l’inhumanité du régime nazi et l’horreur intégrale à venir. “J’ai choisi ce titre parce que plus ma réflexion avance, plus j’en arrive à la conclusion que l’économie de marché néolibérale aspire le futur, aspire les hommes et mène à des logiques militaires, prédatrices, qui sacrifient la nature, nous disait-il dans un entretien publié sur notre site ce 1er aout. C’est pour cela que l’on doit absolument réhabiliter les Etats qui, depuis 40 ans, ont été dépossédés de leurs attributs régaliens…” Le tout alors que tant la pandémie que les crises ukrainiennes et taïwanaises témoignent du péril qui nous guette.
Mais les Etats ne pourront à eux seuls apporter la réponse. Leurs budgets sont exsangues. Leur crédibilité plombée. Les populismes grondent aux quatre coins de l’Europe. Les rivalités empêchent les collaborations, comme en témoigne la rupture climatique entre la Chine et les Etats-Unis.
Paradoxalement, c’est un penseur venu de la gauche, François Gemenne, directeur de The Hugo Observatory, qui croit désormais davantage en l’économie pour gagner ce combat. “Les entreprises ont une plus forte conscience que le changement climatique menace leurs intérêts immédiats, nous dit-il. Beaucoup se rendent compte que si l’entreprise ne devient pas durable aujourd’hui, elle ne sera pas non plus profitable demain. Les entreprises ont d’immenses leviers d’action et peuvent aussi peser sur la décision politique. Je suis frappé du nombre de personnes dans les entreprises qui me disent ne pas comprendre pourquoi le politique est aussi timide. Elles sont en demande d’un cadre de long terme qui puisse mettre en place les règles du jeu d’un marché équitable.”
La réponse se trouve certainement au milieu de ces deux constats forts, dans un partenariat renouvelé entre la politique et l’économie, débarrassé de leurs préjugés. Dans ce monde toujours plus incertain, nous avons plus que jamais besoin de visionnaires publics courageux qui osent penser à long terme et de pragmatiques privés déterminés à atteindre des objectifs ambitieux en y mettant les moyens. Le cocktail gagnant réside dans ces partenariats publics-privés, qui voient certes le jour au niveau européen, mais dont l’urgence nécessite qu’ils deviennent une priorité massive.
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