L’intelligence artificielle, l’arme secrète des entreprises durables
Depuis l’émergence de l’intelligence artificielle générative, il y a environ un an et demi, avec le lancement de ChatGPT, l’accent a été mis sur les dangers potentiels de cette nouvelle technologie. On a ainsi perdu de vue la façon dont l’intelligence artificielle peut favoriser le changement, du recrutement à l’éducation en passant par le financement. Trois investisseuses à impact expliquent comment elles envisagent le potentiel de l’IA.
ChatGPT, Microsoft Copilot, Google Gemini ou Dall-E. Pour beaucoup d’entre nous, ils sont devenus des assistants numériques que nous utilisons presque quotidiennement. Lorsque vous leur posez une question, ces modèles de langage vous répondent par des phrases décousues. Ils ont montré le fantastique potentiel de l’intelligence artificielle (IA), une technologie qui imite les compétences humaines telles que l’apprentissage, la planification et le raisonnement.
Au début surtout, l’accent a été mis sur les dangers potentiels. Les humains ne perdraient-ils pas le contrôle ? Qu’en est-il de la transparence et de la crédibilité ? ChatGPT a régulièrement été pris en flagrant délit d’ “hallucinations”, c’est-à-dire en train de délivrer des informations absurdes dans une réponse. Qu’en est-il de la protection de la vie privée et de l’éventuelle manipulation d’images ?
Ces préoccupations sont légitimes, mais c’est ainsi que tout le bien que l’IA peut faire a été relégué au second plan. Trends-Tendances a demandé à trois investisseuses à impact – lesquelles ne se contentent pas d’entrer dans une entreprise pour faire des bénéfices, mais visent également à avoir un impact positif sur les personnes et l’environnement – comment elles considèrent l’IA.
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Yonca Braeckman et l’Allemande Alina Klarner dirigent Impact Shakers Ventures I, qui vise à s’attaquer aux problèmes sociaux et environnementaux par le biais d’un entrepreneuriat inclusif. Avant l’été, le fonds a procédé à une première clôture pour un montant de 20 millions d’euros et une deuxième clôture est prévue pour cet automne. Le fonds est en bonne voie avec six investissements : dans l’entreprise allemande Faircado de la cofondatrice belge Evoléna de Wilde d’Estmael, dans l’entreprise belge BitaGreen et dans des entreprises allant du Royaume-Uni à la Norvège.
Le fonds est lié à Impact Shakers, l’écosystème d’impact européen fondé par Yonca Braeckman il y a quelques années, après son retour des États-Unis. Outre le nouveau fonds, cet écosystème comprend un accélérateur, un micro-fonds, des prix et des événements. Alina Klarner, qui a travaillé auparavant chez PwC et Marlin Equity Ventures, est general partner d’Impact Shakers Ventures I.
Comme Alina Klarner, Melody Lang, titulaire d’un doctorat en ingénierie, a construit sa carrière à Londres et fait la navette entre le Royaume-Uni et la capitale belge. Melody Lang a notamment cofondé MindStone Learning à Londres, spécialisée dans les technologies de l’éducation – les edtechs dans le jargon des start-up. En 2019, elle a fondé MPA Capital avec son partenaire Benoît Daenen. Ce fonds se concentre sur les start-up edtech et compte aujourd’hui une douzaine d’entreprises dans son portefeuille. MPA Capital vise un fonds de 30 millions d’euros. Elle est encore en discussion avec des investisseurs pour compléter ce montant.
1. Plus d’inclusion
Le fait que l’IA puisse favoriser l’inclusion peut sembler surprenant à première vue, étant donné que des rapports antérieurs ont principalement été publiés dans les médias sur la façon dont les chatbots, tels que ChatGPT, avaient des préjugés négatifs à l’égard des femmes et des personnes de couleur, car les données utilisées pour former le modèle de langage adoptaient et renforçaient les préjugés dans la société. Cela a posé des problèmes, par exemple, lorsque la société américaine de commerce électronique Amazon a utilisé un outil de recrutement par IA pour synthétiser les C.V. des candidats à l’emploi. Mais elle avait apparemment intégré que les C.V. des candidats masculins étaient préférables à ceux des femmes.
“Avec toute technologie, il y a deux côtés à la médaille, mais je pense que l’IA peut réellement créer plus d’inclusion”, déclare Alina Klarner. Elle donne quelques exemples. “En Afrique, plus de 3.000 langues sont parlées. De nombreuses connaissances ne sont donc pas disponibles dans la langue parlée par les habitants. Grâce à l’IA, il est désormais possible de fournir des traductions (l’entreprise néerlandaise Batazia le fait déjà pour 20 langues africaines, ndlr). Un autre exemple est celui des soins de santé. Souvent, les personnes de couleur sont exclues des ensembles de données médicales, mais grâce à l’IA, de nouveaux ensembles de données entrent en scène – des données provenant de scanners, par exemple – qui peuvent rattraper le retard.
Melody Lang souligne la distinction importante entre l’IA générative pour toute une série de tâches – les chatbots comme ChatGPT, par exemple – et ce que l’on appelle narrow AI ou IA étroite. “Il s’agit d’ensembles de données isolés qui font l’objet d’une analyse très approfondie. L’IA de ces ensembles de données est sûre, elle n’est pas biaisée”, explique Melody Lang. La reconnaissance d’images dans le domaine de la santé pour détecter les maladies est un exemple d’IA étroite.
Mais l’IA générative peut également contrer les préjugés, ajoute Melody Lang. “Par exemple, l’IA est maintenant utilisée pour établir des diagnostics sur le bien-être mental. Vous seriez surpris des résultats. Même un thérapeute a des préjugés. InsideOut, l’une des entreprises de notre portefeuille, a mis au point un coach IA, Remi, qui adapte les plans de soins sur la base de données provenant de objets connectés, de dispositifs d’autodiagnostic et d’analyses de la prosodie (l’inflexion, le ton, la tonalité, l’intonation, l’accent, la modulation que nous imprimons à notre langage oral, ndlr). Remi réduit les biais et raccourcit les délais d’attente pour les personnes qui ont besoin d’un thérapeute humain.”
2. Solutions climatiques
Les récentes informations sur la façon dont l’IA fait exploser la consommation d’énergie – les entreprises technologiques américaines investissent dans l’énergie nucléaire pour avoir suffisamment d’énergie – ne doivent pas occulter le fait que l’IA peut contribuer à apporter des solutions en matière de climat.
Alina Klarner donne l’exemple de la société belge BitaGreen, l’une des entreprises du portefeuille d’Impact Shakers Ventures I : “BitaGreen analyse les risques climatiques pour les villes – il suffit de penser aux inondations, aux vagues de chaleur et aux incendies de forêt que nous avons vus récemment dans toute l’Europe. BitaGreen utilise des données satellitaires, y associe des données locales et utilise l’intelligence artificielle pour analyser les endroits où les risques d’inondation, de canicule ou de perte de biodiversité sont les plus importants.””La technologie élabore également des scénarios pour y remédier, ajoute-t-elle. Par exemple, elle montre ce qui se passe si l’on plante des arbres quelque part ou si l’on élimine le béton en transformant les parkings en espaces verts. Le calcul de tels scénarios est très complexe et n’est possible qu’avec d’énormes quantités de données. Sans l’IA, c’était tout simplement irréalisable.”
3. Apprentissage personnalisé
Melody Lang, qui a elle-même précédemment fondé une start-up spécialisée dans les technologies de l’éducation, fait référence à des recherches montrant que les élèves qui bénéficient d’un enseignement personnalisé apprennent beaucoup mieux que les enfants des classes traditionnelles, comptant parfois 30 élèves encadrés par un seul enseignant. “Donner à chaque élève un professeur particulier n’est pas réaliste, mais grâce à l’IA, cela devient faisable”, explique-t-elle. “Par exemple, l’application allemande ubiMaster aide les élèves à faire leurs devoirs après l’école. Vous pouvez l’utiliser pour préparer des examens et confier d’autres tâches pour lesquelles vous avez besoin d’aide. Vous vous connectez, vous conversez avec le chatbot d’IA et, en quelques minutes, vous êtes jumelé avec un enseignant humain qui peut vous aider et qui utilise des outils collaboratifs.”
Selon Melody Lang, l’application est une étape intermédiaire: “À l’avenir, vous pourrez être aidé dans l’application par un professeur privé IA. Ce dernier pourra personnaliser votre apprentissage à l’extrême, en identifiant vos forces et vos faiblesses et en s’adaptant à votre style d’apprentissage et à vos préférences. À ce professeur IA, vous pouvez ajouter un thérapeute IA, qui tient compte de votre degré de motivation, de dépression ou de stress, ou de la mesure dans laquelle votre famille encourage l’apprentissage.”
“Pour les personnes souffrant de troubles de l’apprentissage, d’autisme ou de TDAH en particulier (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr), ajoute Alina Klarner, l’apprentissage personnalisé grâce à l’IA peut faire la différence. Et pas seulement en proposant des cours individuels. L’IA peut également créer des contenus d’apprentissage personnalisés, qui doivent ensuite être contrôlés par un humain.”
L’apprentissage personnalisé grâce à l’IA peut faire la différence, en particulier pour les personnes souffrant de troubles de l’apprentissage, d’autisme ou de TDAH.
Melody Lang
MPA Capital
Yonca Braeckman détaille : “Darius Namdaran a développé avec VVi une application qui réfléchit avec une personne dyslexique d’une toute nouvelle manière et peut prendre des notes compatibles avec le mode de fonctionnement spécifique du cerveau des personnes dyslexiques”.
4. Finie la pénurie d’enseignants
Alors que nous nous dirigeons vers des expériences d’apprentissage personnalisées grâce à l’IA, la question se pose de savoir quel sera encore le rôle de l’enseignant. Melody Lang insiste sur le fait que les enseignants restent indispensables.
“Nous manquons d’enseignants et beaucoup d’entre eux sont surchargés de travail. L’IA aidera les enseignants, tout comme la technologie les aide déjà à planifier leurs cours et à créer des contenus d’apprentissage. Si l’IA donne aux enseignants plus d’informations sur l’état d’avancement de l’élève dans le processus d’apprentissage, ils pourront intervenir en classe de manière plus ciblée. Nous ne mettons donc pas les enseignants sur la touche, mais nous leur facilitons la vie. Nous veillons à ce qu’ils puissent travailler beaucoup plus efficacement et se concentrer sur ce qui compte le plus : le lien humain avec leurs élèves.”
5. Des chaînes de valeur durables
“Si vous deviez superviser tout ce qui doit être fait pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, nos cerveaux seraient tout simplement court-circuités, déclare Alina Klarner. Grâce à l’IA, nous disposons d’un outil qui nous aide à obtenir les bonnes données pour arriver à des résultats, afin de prendre de meilleures décisions dans nos entreprises et de construire des processus plus durables. Il suffit d’imaginer le nombre de produits et de personnes qu’il faut pour produire un sachet de thé. Si vous voulez rendre cette chaîne de valeur circulaire, vous avez besoin de dizaines, de centaines, de milliers d’acteurs qui travaillent ensemble.”
“La façon dont tous ces acteurs peuvent s’unir est quelque chose que l’on peut déjà observer dans le secteur de l’énergie. Nous regardons où l’énergie est consommée, quand il y a des pics et quand nous pouvons utiliser les énergies renouvelables de la manière la plus efficace, poursuit-elle. Cela se produit également dans d’autres secteurs de la technologie climatique, par exemple dans celui des eaux usées. L’IA n’est pas un modèle d’entreprise, mais un outil pour les grands entrepreneurs. Ceux-ci devront toujours concevoir eux-mêmes un modèle d’entreprise intelligent et comprendre parfaitement le marché et les utilisateurs. Mais grâce à l’IA, ils seront en mesure de créer leur entreprise plus rapidement et plus efficacement, et de manière plus inclusive.”
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6. Un recrutement équitable
L’une des entreprises du portefeuille d’Impact Shakers Ventures est Earlybird, basée à Londres, qui développe des logiciels vocaux d’IA pour soutenir les services de recrutement.
“Claudine Adeyemi-Adams et Boris Bambo ciblent ainsi tous ceux qui ne travaillent pas derrière un écran, comme le personnel de l’hôtellerie ou des hôpitaux, explique Yonca Braeckman. Ils veulent transformer les demandeurs d’emploi et les travailleurs issus des groupes les plus vulnérables grâce à leur assistant IA basé sur la technologie vocale, qui permet à ces travailleurs de parler comme ils parlent à leurs amis. Les entreprises peuvent ainsi mieux comprendre les sensibilités et les antécédents des travailleurs et ce qu’ils attendent d’un emploi. Dans le monde du recrutement, il n’y a pas assez de personnes capables d’assumer cette tâche. Le logiciel est également disponible en 15 langues. La technologie peut également permettre à moins de personnes d’abandonner lorsqu’elles doivent remplir des documents en ligne en vue d’un emploi, parce qu’elles peuvent parler au logiciel vocal pendant qu’elles remplissent le formulaire. Nous commencerons à voir des outils de ce type partout.”
Melody Lang fait le lien avec l’éducation: “Avec MPA Capital, nous nous intéressons également de près à ce domaine. L’IA peut aider à évaluer les compétences et les connaissances des gens, qu’il s’agisse de soft ou de hard skills. Cela les aide non seulement pendant leurs études, mais aussi à les orienter dans leur recherche d’emploi. Nous nous dirigeons vers un recrutement basé sur les compétences. Votre capacité d’adaptation et la rapidité avec laquelle vous assimilez de nouvelles connaissances sont des compétences qui deviendront très importantes dans un monde où l’automatisation signifie que les gens devront acquérir de nouvelles compétences plus souvent. On s’intéressera moins à l’université que vous avez fréquentée qu’à votre personnalité et à vos aptitudes, afin d’obtenir un profil d’apprentissage holistique de la personne. VyreUp révolutionne le recrutement grâce à une solution d’IA qui permet des entretiens d’embauche transparents et éthiques, sans parti pris, en évaluant automatiquement la façon dont un candidat répond aux questions en fonction des attentes du recruteur.”
On s’intéressera moins à l’université que vous avez fréquentée qu’à votre personnalité et à vos compétences.
Melody Lang
MPA Capital
7. Financement alternatif
L’entreprise belge Neotex a développé avec Halisi un algorithme de reconnaissance faciale qu’elle applique aux vaches. En Afrique, le bétail est utilisé comme garantie pour les microcrédits. Grâce à cette technologie, les petits exploitants agricoles qui n’auraient pas pu obtenir un prêt, un crédit ou une assurance peuvent tout de même obtenir un financement.
“Dans le cadre de notre programme Raise, notre fondatrice Jenny Ambukiyenyi Onya et nous-mêmes recherchons les bons investisseurs qui s’intéressent aux applications IA et à la plateforme AI for Good”, explique Yonca Braeckman.
BioFirst Group et Bosaq se distinguent aux Trends Impact Awards
Le 23 octobre, les Trends Impact Awards – organisés par Trends et Trends-Tendances en collaboration avec PwC Belgium et l’Antwerp Management School (AMS) – ont été décernés pour la troisième fois. Cette compétition vise à récompenser des entreprises belges ayant mis en place, durant l’année écoulée, des stratégies durables et ayant de l’impact. Il y a 12 gagnants répartis dans huit catégories.
Le Global Impact Award, qui récompense les entreprises qui obtiennent de bons résultats dans plusieurs catégories (et qui sont donc les plus systémiques), est décerné à BioFirst Group parmi les grandes entreprises et à Bosaq parmi les PME.
BioFirst Group, qui a commencé par cultiver des bourdons, est devenu un fournisseur d’une gamme complète de solutions pour l’horticulture et les cultures de plein champ. L’entreprise a pour objectif de devenir l’un des 10 premiers acteurs de l’agriculture durable.
Outre le Global Impact Award, BioFirst Group a également été récompensé dans la catégorie Écologie parmi les grandes entreprises. Il est intéressant de noter que, dans la même catégorie, le prix pour les PME a également été décerné à une entreprise travaillant avec des insectes. BeeOdiversity a suscité l’enthousiasme du jury avec son projet BeeOmetrics, qui utilise la présence d’abeilles sauvages comme bio-indicateur pour mesurer la biodiversité et la pollution.
Le prix Trends Global Impact pour les PME a été décerné à Bosaq. Cette entreprise a mis au point une solution innovante pour l’approvisionnement en eau potable, qui peut également être utilisée dans des zones reculées. L’entreprise fait tout son possible pour que les communautés locales soient en mesure d’entretenir et de réparer elles-mêmes ces appareils. L’accès facilité à l’eau potable fait toute la différence, en particulier pour le développement des femmes et des enfants. Il y a une cascade d’impacts positifs sur l’égalité des sexes, l’éducation, l’environnement et la santé. Bosaq a également gagné dans la catégorie Résilience.
Les dix autres entreprises primées dans leur catégorie sont Out of Use, Aurubis Olen, Greenomy, Give a Day, Funds for Good, RGF Staffing Belgium, Railtrip.travel, Gorilla, Aurubis et Cofinimmo.
Vous pouvez lire les portraits de ces 12 lauréats et des 23 autres finalistes dans le guide des Trends Impact Awards. Le guide comprend également une interview sur la résilience avec la star du hockey Aisling D’Hooghe, les 10 étapes durables du groupe Colruyt et de nombreux articles et chroniques d’experts en développement durable.
Les Trends Impact Awards récompensent les entreprises belges qui, au cours de l’année écoulée, ont traduit leur stratégie de développement durable en un projet ayant un impact positif sur la société. Parce que nous voulons mettre en lumière de nombreux modèles inspirants dans la transition d’une économie linéaire à une économie circulaire, les Trends Impact Awards fonctionnent avec huit catégories, basées sur la recherche de l’Antwerp Management School. En fonction du nombre de finalistes dans chaque catégorie, une division a été établie entre les grandes entreprises et les PME.
Plus de 130 entreprises se sont inscrites à la troisième édition. Le jury était composé d’experts de PwC et de l’AMS, de journalistes de Trends et Trends-Tendances et de spécialistes externes du développement durable, dont plusieurs anciens lauréats. Les 72 entreprises retenues après les premières étapes du processus de sélection ont ainsi pu présenter leur projet au jury en septembre.
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