Marc Buelens
“Votre emploi aussi est menacé, à moins que vous ne soyez coiffeur ou chanteur d’opéra”
Selon Marc Buelens, professeur émérite à la Vlerick Business School, la question n’est pas: la bulle va-t-elle éclater, mais bien: quand éclatera-t-elle ?
Dans les années nonante, un nouveau mantra a fait son entrée dans les sciences du management: une entreprise doit créer de la valeur pour les actionnaires. La valeur boursière est un critère sans faille pour la qualité d’une entreprise. Les erreurs de management sont impitoyablement sanctionnées sur le marché boursier tandis que le génie et le travail acharné du management y sont récompensés. La meilleure méthode de management est de lier la rémunération de la direction aux performances boursières. Depuis lors, je suis avec intérêt les marchés financiers, avec leurs produits exotiques, leurs mégas bonus pour les banquiers d’investissement et – tout comme dans le football et l’athlétisme – les grandes magouilles dans les coulisses.
Je ne dois pas écrire de journaux sur les investissements et ma santé financière ne dépend pas directement de la bourse. Je ne suis pas intéressé par le buzz du jour, la prévision de la semaine ou le conseil du mois. Je ne me préoccupe pas des fluctuations. Que se passera-t-il au cours des prochains mois ? Personne ne le sait, et celui qui prétend le savoir avec certitude est un charlatan. Mais jamais je n’ai, en un si court laps de temps, lu autant d’analyses si négatives. C’est le bon moment pour prêter attention aux principes fondamentaux. Vous en tirerez ensuite vos conclusions.
La Bourse n’aime pas l’incertitude. Le vieillissement de la population est le type d’incertitude qu’elle peut parfaitement gérer. Les entreprises qui produisent des langes pour personnes âgées auront du succès, l’avenir des personnes qui investissent dans les logements kangourou s’annonce favorable et le marché pour les grandes voitures familiales connaîtra des difficultés en Occident. Mais, les millions de réfugiés, l’augmentation du nombre de tempêtes du fait des changements climatiques et la violence du fondamentalisme islamique, ça, les bourses n’aiment pas. Un éventuel Brexit sera aussi la source d’une incertitude presque insupportable pendant des mois, maintenant. Le gouvernement Cameron n’a même pas de plan au cas où cela devait aller aussi loin.
Votre emploi aussi est menacé, à moins que vous ne soyez coiffeur ou chanteur d’opéra.
Les marchés compensent sans problème et avec efficacité les petits déficits et les petits excédents, mais ils se remettent rarement de manière élégante des déficits structurels. Ces derniers supposent aussi des changements politiques ou culturels et sont régis par un horizon temporel différent. C’est ainsi que naissent les déséquilibres majeurs, par exemple sous la forme de bulles. Les marchés ont même tendance à encore renforcer les déséquilibres structurels à court terme. Les corrections sont ensuite d’autant plus spectaculaires.
J’habite actuellement au milieu d’une telle bulle. De l’autre côté de la rue, au nord-ouest de Londres, il y a une grande maison avec un petit jardin à vendre. Vous pouvez y créer quatre appartements spacieux. Vous n’avez toutefois pas de garage, vous devez vous garer dans la rue moyennant paiement. Le prix demandé est de 5,5 millions de livres sterling. Disons que la valeur de marché s’élève à 5 millions de livres sterling. Dans le même temps, il y a une grande controverse au sujet du Garden Bridge, un projet de construction unique autour d’un pont spectaculaire au-dessus de la Tamise – une attraction touristique comme il y en a peu au monde. Le financement est presque finalisé. Le cout? 175 millions de livres sterling. Ce qui, si on compte bien, équivaut à 35 maisons sans garage. Quand on parle de déséquilibre… Les ménages à double revenu se voient contraints de partager leur appartement avec d’autres. Vous lisez des titres comme ‘Les Londoniens consacrent jusqu’à deux tiers de leurs revenus au loyer’. La question n’est donc pas: la bulle va-t-elle éclater ? mais bien: quand va-t-elle éclater? La probabilité que le monde arabe vienne à la rescousse diminue d’heure en heure.
Et enfin, les marchés financiers reflètent toujours à long terme les forces fondamentales à l’oeuvre dans l’économie réelle. Le Business Book of the Year du Financial Times (The Rise of the Robots de Martin Ford, ndlr) aborde cette année le rôle des robots et la constatation remarquable que les avancées technologiques n’entraîneront cette fois pas avec elles de croissance des opportunités d’emploi – certainement à moyen terme. Votre emploi aussi, cher lecteur, est menacé, à moins que vous ne soyez coiffeur ou chanteur d’opéra. On prévoit une destruction des emplois à une échelle jamais vue. Est-ce bon pour l’économie réelle? Ce type de message de Nouvel An n’est pas précisément une littérature rassurante. La seule consolation est bien sûr que les marchés ont toujours raison. Beaucoup d’indicateurs montrent que les marchés financiers ont un peu exagéré, ces dernières années. Dirigez-vous donc tous vers la sortie, s’il vous plaît. Ne vous pressez pas trop et ne piétinez pas les autres. Tenez-vous prêts et comme dit le dicton: “don’t try to catch a falling knife”. Et encore plus, si vous tenez à vos doigts.
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