Six questions sur la crise des banques américaines
En l’espace de deux mois à peine, plusieurs (petites) banques américaines ont fait faillite. Pourquoi et comment? Décryptage d’une crise bancaire qui n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Après la Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature Bank et First Republic, c’est au tour de Pacific Western. Au moindre doute, à la moindre alerte, c’est la même mécanique qui se met en marche. Depuis le début de la crise bancaire en mars, les actionnaires paniquent.
Le cours de Bourse chute. Inquiets, les déposants fuient la banque et retirent leurs avoirs pour les confier à des établissements jugés plus solides, provoquant ainsi un bank run, et parfois la faillite. Jusqu’à précipiter First Republic dans les bras de JP Morgan et secouer le secteur bancaire américain.
1. Pourquoi le calme n’est pas totalement revenu, malgré le sauvetage de First Republic?
Certes, la nouvelle du rachat de First Republic pour seulement 10,6 milliards de dollars par le numéro 1 du secteur bancaire américain JP Morgan a été bien accueillie par les marchés au lendemain de son annonce. “Cependant, dit Michel Ernst, stratégiste actions auprès de la banque CBC, le cocktail toxique d’éléments qui ont ‘tué’ plusieurs banques régionales américaines est toujours présent. La crise de confiance qui mine ce secteur des banques régionales est encore bien exacerbée. Cette épée de Damoclès risque encore de faire partie des facteurs négatifs pesant sur les marchés financiers et boursiers à court et à moyen terme.”
La confiance que déposants et actionnaires placent en elle, c’est en effet avant tout de cela dont dépend une banque. “Cette confiance est un actif intangible que l’on gagne péniblement et qui peut s’évaporer extrêmement vite à l’heure où les retraits s’effectuent en quelques secondes”, rappelle Mikael Petitjean, économiste en chef auprès du gestionnaire d’actifs Waterloo Asset Management, ainsi que professeur à l’IESEG School of Management et à l’UCLouvain.
Il ajoute: “Dans ce contexte d’incertitude, les grandes banques systémiques américaines du type JP Morgan tirent actuellement plutôt leur épingle du jeu. Une crise bancaire systémique est donc très improbable et il n’y a plus d’autres banques de taille équivalente qui sont directement en ligne de mire, comme c’était encore le cas en mars, mais cela ne veut pas dire que d’autres faillites de plus petites banques ne pourraient pas avoir lieu. Les dépôts dans les banques de taille moyenne se stabilisent pour le moment mais ce sont surtout les actionnaires de ces banques régionales qu’il faut encore rassurer pour éviter de créer la panique chez les déposants”.
2. Quel pourrait être le prochain domino à tomber?
Outre Pacific Western (ou PacWest), basée à Los Angeles, qui a perdu 5 milliards de dollars de dépôts au cours des trois premiers mois de l’année, d’autres institutions sont également citées comme Valley National Bancorp dans le New Jersey, ou encore Western Alliance dans l’Arizona, dont le cours a fortement décroché à Wall Street juste après le sauvetage de First Republic Bank par JP Morgan. “C’est une sorte de jeu de dominos mortel où, une fois qu’une banque est tombée ou sauvée, le marché passe à la suivante, explique Michel Ernst. D’ailleurs, Moody’s, l’agence de notation bien connue, vient d’abaisser il y a quelques jours les notes de 11 banques régionales, parlant d’une détérioration de l’environnement opérationnel et des conditions de financement.” En fait, “on assiste clairement à un décrochage des petites capitalisations bancaires par rapport aux grandes, observe Mikael Petitjean. Depuis la fin mars, le marché fait la distinction entre les grandes banques systémiques et les banques régionales de plus petite taille, style PacWest. Par la force des choses, ce sont les institutions bancaires exposées à l’immobilier commercial et qui peuvent faire faillite sans provoquer de cataclysme, qui sont dans le collimateur du marché”.
Le cocktail toxique d’éléments qui ont “tué” plusieurs banques régionales US est toujours présent.” Michel Ernst (CBC)
3. D’où vient le problème?
La chute de First Republic et les malheurs plus récents de PacWest proviennent d’un enchaînement de circonstances similaires à celles qui ont fait tomber SVB et compagnie. “Jusqu’à présent, les banques régionales US qui ont souffert de graves problèmes ont, dans des proportions différentes mais convergentes, présenté les mêmes symptômes, explique Michel Ernst. Elles étaient d’abord trop concentrées sur des créneaux très spécifiques, très hype dirions-nous en langage moderne, à savoir en particulier le secteur des start-up ou celui des cryptomonnaies. Ensuite, il y a dans de nombreux cas un déséquilibre au niveau bilantaire: les dépôts à court terme des clients sont replacés dans des produits à plus long terme, comme des obligations d’Etat. Si la qualité de ces produits n’est pas remise en question, la forte remontée des taux ces derniers mois a dévalorisé les actifs obligataires. Et les banques ont réalisé des pertes importantes en devant vendre ces obligations lorsque les clients retiraient massivement leurs dépôts.” La remontée des taux ne bénéficie-t-elle pourtant pas généralement aux banques? Oui, mais, “ce sera néanmoins plus compliqué pour les plus petites enseignes aux Etats-Unis qui vont devoir réduire leur marge nette d’intérêt pour conserver leur base de déposants”, avertit Mikael Petitjean.
4. L’histoire repasse-t-elle les plats de 2008?
Pour certains d’entre eux, oui. “En s’emparant de First Republic, JP Morgan a saisi l’occasion de renforcer son positionnement auprès d’une clientèle haut de gamme, relève Mikael Petitjean. Son cours de Bourse a d’ailleurs plutôt bien réagi suite à l’annonce de la nouvelle. C’est le scénario classique d’un acteur privé qui en absorbe un autre. On se souviendra que la banque avait acquis Washington Mutual pour 2 milliards de dollars en septembre 2008, lors de la faillite de Lehman Brothers. Quinze ans plus tard, il saisit à nouveau l’occasion de renforcer sa position sur le marché américain. Pour une banque systémique, les occasions de grandir par croissance externe sont rares et Jamie Dimon, qui est le PDG de JP Morgan depuis 2005, le sait pertinemment bien. Le plus important est que l’intervention des autorités publiques a été minime et que le contribuable n’a pas été appelé à la rescousse comme ce fut le cas en 2008-2009 lorsque plus personne ne voulait prendre de risque.” Le président de la Fed, Jerome Powell, a d’ailleurs estimé que la reprise de First Republic était “une étape importante” vers la fin de la crise.
5. D’aucuns alertent sur les dangers de l’immobilier commercial: ont-ils raison?
“C’est un risque de correction financière lié à la remontée extrêmement rapide des taux qui a profondément déstabilisé le secteur de l’immobilier commercial et qui pourrait entraîner une récession plus profonde qu’on ne l’anticipe actuellement”, confirme Mikael Petitjean. Michel Ernst abonde dans le même sens: “L’immobilier commercial est un danger potentiel supplémentaire car les banques régionales américaines sont très exposées à ce secteur, en perte de vitesse suite à l’émergence façon ‘rouleau compresseur’ du commerce internet, phénomène accentué lors de la pandémie quand les gens étaient confinés et les commerces fermés. Donc, l’immobilier commercial a clairement perdu de la valeur ces dernières années. Début avril, un tweet de Kobeissi Letter, spécialiste de l’immobilier, alertait ainsi sur le fait qu’au cours des cinq prochaines années, plus de 2.500 milliards de dollars de dettes immobilières commerciales arriveront à échéance. Or, les taux ont plus que doublé et l’immobilier commercial n’est occupé qu’à 60-70%. Le refinancement de ces prêts coûtera très cher et pourrait conduire à la prochaine crise majeure”… Et par ailleurs, selon Goldman Sachs, les banques de moins de 250 milliards de dollars d’actifs représentent environ 80% des prêts immobiliers commerciaux”, souligne l’expert de CBC.
Une crise bancaire systémique est très improbable.” – Mikael Petitjean (Waterloo Asset Management)
6. Quid d’une contagion au système bancaire européen?
Mi-mars, on se souviendra que la tempête s’était propagée en Europe avec la vente en urgence de Credit Suisse à son grand rival UBS. L’histoire va-t-elle ici aussi se répéter? En principe non, estime Michel Ernst: “Les établissements bancaires européens ont des secteurs d’activité très diversifiés par rapport aux banques régionales de l’Oncle Sam. Ils n’ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier, il y a plus de stabilité. Et elles sont très peu exposées aux start-up, quasiment pas à la cryptosphère, etc. Par ailleurs, on a constaté, lors de la faillite des banques américaines, que le secteur là-bas était moins régulé – on pourrait même dire plus laxiste – qu’en Europe. Par exemple, trop faiblement régulées, les banques régionales ont minimisé leurs moins-values latentes sur obligations, achetées avant la hausse fulgurante des taux d’intérêt. Elles en ont en effet comptabilisé la plupart comme devant être conservées jusqu’à leur lointaine échéance et non pas comme disponibles à la vente. Et donc, les moins-values latentes n’amputaient pas les fonds propres affichés officiellement… Enfin, en Europe, l’extrême majorité des banques répondent aux critères – voire souvent les dépassent – édictés par Bâle III et qui visaient, après la crise financière de 2008, à renforcer la solidité du secteur.”
Se voulant également rassurant, Mikael Petitjean estime que les répercussions sont minimes, comme en témoignent d’ailleurs les excellents résultats enregistrés au premier trimestre par les deux géants bancaires de la zone euro que sont BNP Paribas et Deutsche Bank. “On ne peut jamais exclure des corrections brusques liées à des mouvements de forte nervosité sur les marchés mais les banques régionales américaines n’ont quasiment aucun lien direct avec les banques européennes. Ce sont les banques centrales qui doivent désormais bien réfléchir au niveau des taux d’intérêt qu’elles souhaitent atteindre, sachant que les banques commerciales détiennent beaucoup d’obligations gouvernementales et qu’elles risquent de pâtir d’un retournement brutal de la conjoncture.” Bref, si pour le moment l’Europe résiste, le secteur bancaire américain, lui, est bel et bien sous pression.
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