Retour au beau fixe pour les banques belges ?

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Les banques se plaignent de l’environnement économique et financier qu’elles qualifient de difficile. Et pourtant elles réalisent à nouveau plusieurs milliards de bénéfices.

La saison des résultats annuels bat son plein. Et dans le secteur bancaire belge, les nouvelles sont plutôt bonnes. A l’heure où la planète bancaire est à nouveau chahutée, les patrons des principales enseignes du pays (Belfius, BNP Paribas Fortis, ING et KBC) peuvent avoir le sourire.

Les chiffres qu’ils ont publiés quant à l’année écoulée ont de quoi faire des envieux. Ensemble, les quatre leaders du marché affichent plus de 5 milliards d’euros de profits (avant impôt) en 2015. Est-ce pour autant le retour au temps béni pour les banquiers du royaume ? Réponse en cinq points.

1. Les chiffres sont plutôt bons

Largement dans le vert, les résultats 2015 de KBC font état d’un bénéfice net de 2,6 milliards d’euros, contre 1,7 milliard un an plus tôt (soit une hausse de 50 %). Comme le résume son CEO Johan Thijs, “tous les voyants sont au vert” pour le groupe bancaire flamand. Outre le fait d’avoir dégagé un bénéfice en nette croissance, KBC a en effet réussi dans le même temps à rembourser au gouvernement flamand la dernière tranche de l’aide publique d’un montant de 2 milliards d’euros dont il avait bénéficié pour éviter de tomber lors de la crise financière de 2008.

Les nouvelles sont tout aussi bonnes du côté de l’activité de banque de détail de BNP Paribas en Belgique (dont le gros de l’activité est reprise sous la bannière BNPP Fortis) qui a publié un résultat avant impôt de 936 millions d’euros, un peu en dessous du chiffre réalisé par ING Belgique (1.108 millions d’euros). Quant à Belfius, dernier groupe en date à avoir dévoilé ses chiffres, il termine l’année 2015 sur un bénéfice net de 506 millions d’euros. Un résultat qualifié d'”excellent ” et de “solide” par le CEO de Belfius Marc Raisière. C’est en effet la première fois, depuis son dernier sauvetage en 2011, que le groupe bancaire franchit la barre symbolique des 500 millions de bénéfice. Cerise sur le gâteau : il distribuera cette année un premier dividende (75 millions) à son actionnaire unique, l’Etat fédéral.

2. Peut-on dire qu’on a retrouvé les niveaux d’avant la crise ?

Pour mémoire, l’ancien groupe Fortis avait réussi à dégager à lui tout seul plus de 4 milliards de profits en 2006. A l’époque, KBC clôturait l’année sur un plantureux 3,4 milliards d’euros nets. La banque flamande devançait alors Dexia (2,7 milliards d’euros) tandis qu’ING Belgique dépassait tout juste le milliard.

Qu’en est-il huit ans après la crise ? Avec un profit (avant taxe) de 1.108 millions d’euros, ING Belgique engrange un résultat proche de celui réalisé en 2006. Pour ce qui est de KBC, on se rapproche de 2007. Mais un écart de plus ou moins 20 % subsiste. Ceci dit, le groupe bancaire flamand ne ressemble plus à ce qu’il était à l’époque : la taille de son bilan s’est sensiblement réduite (aussi de plus ou moins 20 %). Il a vendu plusieurs filiales, se séparant notamment de Centea en Belgique et de son réseau européen de banque privée (KBL European Private Bankers). “La baisse des bénéfices suit donc la taille du bilan”, note Arnaud Delaunay, analyste chez Leleux Associated Brokers. De sorte que la rentabilité des capitaux propres est quasiment similaire. Dans ce sens, on a donc retrouvé les niveaux d’avant crise.” Les choses sont plus difficilement comparables pour BNP Paribas Fortis qui n’est plus qu’une fraction du groupe Fortis auquel la banque appartenait avant 2008. Idem pour Belfius dont le périmètre n’est plus celui de l’ex-Dexia Banque. Ceci dit, les deux ont retrouvé la santé financière et un bon rythme de croisière en termes de capacités opérationnelles.

3. Pourtant les banques continuent à se plaindre de la météo économique et financière qu’elles jugent peu favorable

Le CEO de Belfius Marc Raisière n’a pas manqué de rappeler lors de la présentation des résultats de son institution : l’environnement reste challenging pour les banques. Challenging parce qu’elles sont soumises à diverses pressions. Pression du contexte économique (ralentissement chinois, chute du des matières premières, etc.). Pression réglementaire (le processus de renforcement des fonds propres n’est pas terminé). Pression technologique (révolution numérique). Et surtout pression financière (les taux très bas réduisent la marge sur le crédit). Il ne reste en effet plus que deux grandes banques centrales pour qui des taux négatifs demeurent un tabou : la banque d’Angleterre et la Fed (Réserve fédérale américaine). Partout ailleurs, de la Banque du Japon à la BCE en passant par la banque centrale du Danemark et la Riksbank suédoise, des taux négatifs sont appliqués aux réserves excédentaires des banques déposées auprès des banques centrales. Cette propagation des taux négatifs inquiète nos banquiers. Le taux minimum de 0,11 % applicable en Belgique sur les comptes d’épargne pourra-t-il être maintenu, se demandent Marc Raisière et Johan Thijs. Par ailleurs, il faut s’acquitter de taxes bancaires (pour constituer le fonds de garantie des dépôts notamment) : ING Belgique a ainsi payé en taxes 128 millions en 2013, 144 millions en 2014 et 170 millions en 2015. Cette augmentation ne fait pas plaisir à Rik Vandenberghe, le CEO d’ING Belgique, également président de Febelfin (la Fédération belge du secteur financier), qui dénonce régulièrement le poids de ces taxes bancaires. Il ajoute que, outre ces taxes propres au secteur bancaire, la banque a versé en 2015 quelque 355 millions d’euros au fisc à titre d’impôt des sociétés. Selon lui, ING Belgique fait partie des entreprises belges qui paient le plus d’impôts.

4. Comment font-elles dès lors, malgré ces freins, pour dégager des bénéfices par milliards ?

En comprimant les coûts au maximum. Chez Belfius par exemple, les dépenses opérationnelles sont en baisse de 3,5 % (à 1.384 millions). Dans le cadre d’un plan d’économies mis en route en 2013, la banque a diminué l’ensemble des salaires de 5 % et les commissions de ses agents indépendants de 10 millions d’euros par an. A l’image de BNP qui va se séparer de 1.500 équivalents temps plein, elle réduit aussi ses effectifs : environ 1.000 personnes ont quitté Belfius au cours des quatre dernières années. La banque a également fortement coupé dans ses budgets sponsoring, etc. Résultat des courses : le ratio cost-income (rapport coûts-revenus) passe pour la première fois sous la barre des 60 %. Belfius est parvenu à ramener ce ratio d’un niveau de 79 % en 2012 à 59,6 % l’an dernier. Qui dit moins de personnel dit aussi moins d’agences. A titre d’exemple, il est question d’en supprimer une cinquantaine chez ING. Globalement, toutes les banques de la place cherchent à alléger leur réseau d’agences, dont le nombre ne cesse de diminuer. On en comptait encore près de 4.000 en 2010, il en restait 3.607 en 2014 (hors agences indépendantes).

D’un autre côté, les revenus progressent légèrement. Merci l’augmentation des frais, sur les comptes à vue notamment (augmentation des forfaits, augmentation du coût de l’envoi postal des extraits, etc.). Merci aussi les crédits hypothécaires. Vu les taux bas, les particuliers refinancent en masse leur crédit-logement. Ce qui qui vient gonfler les indemnités de remploi perçues par les banques. Quant à l’amélioration de la santé économique durant 2015, “elle a conduit à une diminution des pertes de crédits chez KBC, notamment en Irlande (150 millions d’euros)”, illustre Arnaud Delaunay. Et puis, “malgré la volatilité sur les marchés dès le troisième trimestre, les avoirs en gestion s’élevaient à 209 milliards d’euros, ce qui correspond à une hausse de 12 % en rythme annuel, dont 8 % attribuables aux entrées nettes et 4 % à l’évolution des prix, ce qui s’est traduit par une augmentation des revenus nets de commissions de 7 %”, précise l’analyste de Leleux.

5. Et pour 2016 ?

Tous les observateurs le disent : 2016 ne sera pas une année facile pour les banquiers. L’avenir est, comme le clame Arnaud Delaunay, incertain pour le secteur : “On peut s’inquiéter de l’effet prolongé des taux faibles (voire négatifs, pour un quart des obligations d’Etat dans le monde) et de la volatilité sur les classes d’actifs risqués, dit-il. Sans oublier le passage du bail-out (renflouement externe) au bail-in (renflouement interne) dont l’entrée en vigueur le 1er janvier de cette année, rend les titres émis par les banques (dettes junior, senior, covered bonds, ou encore actions) plus risqués. Ce qui en cas d’incertitude sur la croissance économique pousse à la hausse les primes de risque du secteur bancaire et donc le financement des banques.” A cette pression sur les créanciers, récemment mis à contribution en Italie et au Portugal pour combler les pertes de plusieurs petites banques, vient s’ajouter le questionnement sur la rentabilité dans un contexte de taux bas. “Même si les banques européennes ont significativement amélioré leurs ratios de solvabilité, les défis demeurent, explique Loïc Ferry, président de Chenavari IM dans les colonnes de L’Agefi. Les taux bas les obligent à adapter leurs modèles économiques, en réduisant la voilure dans la banque d’investissement, en passant d’un modèle de marges d’intérêt à un modèle de commissions et en investissant dans la gestion d’actifs moins gourmande en capital, et toutes ne réussiront pas cette mutation.” A ce propos, les chiffres de Belfius et consorts tranchent avec les lourdes pertes annoncées par certaines consoeurs européennes comme Credit Suisse (2,9 milliards) ou Deutsche Bank (6,8 milliards). Massacrée en Bourse depuis le début de l’année, la grande banque allemande a perdu autant d’argent en 2015 que ce que les quatre grandes banques belges réunies ont gagné durant l’année écoulée. Preuve précisément que nos banques se sont adaptées plus rapidement que certaines de leurs consoeurs européennes à la nouvelle donne du jeu bancaire.

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