Rentable mais vulnérable, comprendre le paradoxe Ethias
Ethias serait un bon élève qui a fait voici longtemps une grosse bêtise et qui continue à en payer le prix. Pourquoi l’assureur liégeois, qui dégage de jolis profits et a un modèle bien plus adapté au futur que d’autres, est-il sous le feu des projecteurs ?
Depuis la rentrée, l’assureur liégeois Ethias fait régulièrement la manchette des pages économiques des quotidiens. Son CEO Bernard Thiry a démissionné le 7 septembre dernier, la faiblesse de son capital inquiète la Banque nationale et son bulletin à l’issue des derniers stress tests européens est mauvais. Pourtant, c’est sans doute un des assureurs les plus performants en Belgique, qui dégage de jolis résultats opérationnels. C’est aussi une des rares institutions financières basées en terre wallonne. Pourquoi ce paradoxe ? Le point en trois questions.
Quel est le problème d’Ethias ?
Fortement touché par la crise de 2008 et la faillite de Dexia dont il était un des actionnaires principaux, Ethias a été recapitalisé par l’Etat. Le fédéral, la Région flamande et la Région wallonne sont devenus chacun actionnaire à 25 % du groupe (les 25 % restants sont détenus par Ethias droit commun) et Ethias a été forcé par l’Europe de se retirer du métier de l’assurance-vie pour les particuliers.
L’assureur a depuis digéré sa perte sur Dexia, mais il reste fortement handicapé par un lourd héritage non soldé, celui de son compte First A. Il s’agit d’un ancien contrat d’assurance-vie qui offrait aux clients un rendement garanti à vie à un taux tournant toujours aujourd’hui aux alentours de 3,4 %. Ce contrat constitue une sérieuse épine dans le pied. Le rendement en baisse constante du portefeuille d’emprunts d’Ethias ne suffit plus à répondre aux trop généreuses promesses qui ont été faites aux assurés.
Certes, depuis des années, Ethias a travaillé ce problème et incite régulièrement les clients de First à sortir de ce contrat de manière anticipée. Un premier échange offrant en 2014 la possibilité de sortir en recevant une prime équivalent à quatre années d’intérêt avait été couronné de succès, puisque 1,8 milliard d’euros étaient ainsi ” sortis ” définitivement de First. Mais il reste encore 1,4 milliard. Une nouvelle opération destinée à convaincre à nouveau les clients à sortir de First moyennant un bonus serait prévue avant la fin de l’année. ” On y réfléchit effectivement “, confirme Benoît Rigo, le porte-parole d’Ethias. Mais ce ne sera pas suffisant.
Le compte First est LE problème de l’assureur. A part ça, Ethias se débrouille très bien ces dernières années en dégageant des résultats opérationnels compris entre 200 et 300 millions d’euros par an. Au premier semestre de cette année, l’assureur a ainsi dégagé un résultat opérationnel de 135 millions d’euros. De plus, Ethias présente un business model (pas d’agence, un canal de vente directe) beaucoup plus facile à adapter à la digitalisation que certains de ses concurrents.
Comment corriger un mauvais bulletin ?
D’ailleurs, le poids du compte First s’est encore fait sentir lors des stress tests que le gendarme européen des assureurs, l’EIOPA, a réalisés cet été. Selon la directive européenne Solvency II, un assureur doit avoir assez de capital pour subir un choc important mais qui a une très faible probabilité d’arriver (une fois sur deux siècles). Aujourd’hui, Ethias satisfait sans problème à cette règle puisque son ratio de solvabilité est de 125 % et que l’assureur compte rapidement le monter à 150 % grâce à ses bénéfices. Mais face aux scénarios plus noirs encore imaginés lors des stress tests de l’EIOPA, ce ratio tombe sous la barre fatidique des 100 % pour ne plus atteindre que 70 % environ.
Devant ce mauvais bulletin, la Banque nationale, gendarme des assureurs, a pris deux initiatives. La première est d’obliger Ethias à continuer à augmenter sa ” réserve clignotant “, qui est une provision exceptionnelle pour faire face à la baisse des taux. Par le passé, tous les assureurs belges devaient provisionner.
Mais ce n’est plus le cas : ceux qui réussissent les stress tests européens sont exemptés. ” Les nouvelles règles de solvabilité (Solvency II) et les stress tests nous donnent en effet une meilleure visibilité “, souligne Pierre Wunsch, vice-gouverneur de la BNB. Mais comme Ethias a raté l’examen, il devra continuer à ” mettre au pot “. On ignore encore combien Ethias a dû provisionner en 2016 mais ce montant s’élevait à 166 millions en 2015. Idem en 2014…
Et puis, la BNB a aussi demandé à l’assureur de renforcer son plan financier et voudrait avoir cette nouvelle copie pour le 30 novembre. De combien Ethias devrait renforcer ses fonds propres ? ” Certains ont évoqué la somme de 600 millions d’euros, mais ce devrait être moins “, confie une source proche du dossier. Comment ? En sollicitant les actionnaires ? Difficile de demander à la Flandre ou à l’Etat fédéral de délier encore les cordons de la bourse. En refilant le risque de taux sur First à un réassureur ? C’est à l’étude mais convaincre un réassureur de reprendre la patate chaude n’est pas évident. En cédant certains actifs ? C’est aussi une possibilité. On cite en premier lieu la participation de plus de 60 % d’Ethias dans la société de service informatique NRB, qui emploie 2.000 personnes.
L’emploi est-il menacé ?
Pas directement. Quelques jours après sa prise de fonction, fin septembre, Benoît Verwilghen, le nouveau patron (ad interim) d’Ethias, s’est voulu rassurant : les mesures auxquelles travaille le groupe ” n’auront pas de nouveaux impacts directs ni sur les employés, ni sur le business plan de la société “, a-t-il souligné. A priori donc pas de scénario à la Axa ou P&V qui ont annoncé à la rentrée des réductions d’emplois massives. Toutefois, le plan d’économie de 2015 se poursuit toujours. L’objectif annoncé alors était de réduire les effectifs de 120 équivalents temps plein pour les ramener de 1.724 en 2015 à 1.600 en 2017. Or il y a encore aujourd’hui 1.650 ETP. Il reste donc un (petit) effort à faire.
Mais autre chose inquiète les syndicats. Imaginons que le nouveau plan ne convainque pas la BNB. On pourrait alors pousser l’assureur à s’adosser à un autre groupe. Allianz, Baloise, etc. Plusieurs candidats étrangers auraient d’ailleurs déjà marqué leur intérêt. Mais les prétendants les plus sérieux sont belges : Ageas et Belfius. Ce dernier ne contredit pas, et dit ” analyser la situation de tous les assureurs qui auraient des problèmes d’ALM (c’est-à-dire des problèmes pour réconcilier leurs engagements avec leurs actifs, ce qui est exactement le problème d’Ethias) “. La compagnie liégeoise Intégrale, qui vient d’être rachetée par l’ambitieux groupe Nethys, est aussi en embuscade. Elle projette de se développer dans l’assurance non-vie, qui est aujourd’hui le principal métier d’Ethias. Mais les projets sont loin d’être accueillis avec bienveillance. ” Un plan de fusion avec Belfius déclencherait un bain de sang social “, s’insurge Egidio Di Panfilo, secrétaire général du Setca Liège (syndicat socialiste). Le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt abonde : ” Si vous mettez deux personnes qui font le même métier à l’heure du numérique, il y en a une qui saute “, a-t-il affirmé devant le Parlement wallon.
Ethias vendu ? Rastreins, valet ! Ce n’est encore qu’un plan B voire C dans l’esprit du management. Mais dans ce dossier, nombreux, en interne, comprennent mal la sévérité de la Banque nationale. ” La BNB a continué à jouer un rôle de déstabilisation “, estime ainsi Egidio Di Panfilo. Certains du côté du management et des administrateurs ne comprennent pas non plus que l’on fragilise un assureur qui fonctionne bien opérationnellement. Ils craignent qu’un plan d’économies trop sévère ne détruise finalement la valeur d’Ethias en l’empêchant de continuer à investir là où il faut (dans l’informatique notamment) ou ne le pousse dans des bras étrangers. Avec la conséquence que l’on sait, ajoute un proche du dossier : ” regardez ce qu’ING a fait avec les emplois de la BBL… “.
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