Pourquoi une condamnation somme toute modeste – un peu plus de 20 millions de dollars pour un groupe dont le bénéfice net a atteint 12 milliards d’euros l’an dernier – fait-elle tanguer BNP Paribas ?
Voici quelques jours, le 17 octobre, un tribunal new-yorkais a déclaré BNP Paribas coupable de s’être rendu complice des exactions perpétrées par la dictature soudanaise et se voit ainsi contrainte à payer une indemnité à trois réfugiés soudanais. La nouvelle a été très mal prise par les marchés, qui ont durement sanctionné le titre, passé de 77,9 euros jeudi dernier (le 16 octobre) à 68,5 euros ce mardi. Une dégringolade de 12 %, donc. Pour enrayer la chute, le directeur financier de BNP Paribas, Lars Machenil, a d’ailleurs dû tenir une conférence avec les analystes ce mardi après-midi.
Mais pourquoi ce procès modeste a-t-il de telles répercussions ?
Retour du dossier soudanais
Pour essentiellement deux raisons. La première est émotionnelle : c’est le retour du dossier soudanais qui avait déjà fait très mal à la banque française. Souvenez-vous, en 2014, BNP, qui avait violé l’embargo américain sur plusieurs pays (l’Iran, Cuba, le Soudan) en continuant à financer ces régimes via sa filiale de Genève, avait fait l’objet de poursuites du Département de la Justice américain. Pour éviter une plus lourde sanction encore, la banque avait plaidé coupable et avait dû s’acquitter d’une amende de 9 milliards de dollars. Au passage, le CEO du groupe, Baudouin Prot, avait dû céder sa place.
Pourquoi ce dossier soudanais rejaillit aujourd’hui ? Parce que depuis une dizaine d’années, des réfugiés soudanais estiment qu’en finançant le régime du dictateur Omar Al-Bachir, BNP Paribas s’est rendue complice des exactions qu’il a perpétrées. Trois réfugiés avaient donc porté l’affaire devant la justice new-yorkaise et un jury populaire leur a donné raison. La banque a été condamnée à payer 20,75 millions de dollars aux plaignants.
Or, cette condamnation, contre laquelle BNP Paribas va faire appel, pourrait ouvrir la boite de Pandore. Aux États-Unis, il y aurait environ 25.000 réfugiés soudanais susceptibles de demander, eux aussi, une indemnisation. Ils avaient d’ailleurs tenté une “class action”, mais ils n’avaient pas réussi. Cette victoire judiciaire pourrait les inciter à retenter la procédure. Et même sans cela, on peut penser que le montant de l’indemnisation obtenue pourrait inciter d’autres réfugiés à porter leur cas devant les juges.
Résultat manifestement erroné
Dans un communiqué, la banque française a toutefois réfuté ce scénario. Elle a “très clairement exprimé sa ferme intention de faire appel” et fait part de sa volonté d’utiliser, pour se défendre, tous les recours à sa disposition, ajoutant “croire fermement que ce verdict doit être annulé en appel”.
“Une fois de plus, BNP Paribas réaffirme que ce résultat est manifestement erroné et ignore des éléments de preuve importants que la banque n’a pas été autorisée à présenter. Nous allons emprunter toutes les voies de recours possibles pour contester ce jugement. Par ailleurs, nous rappelons que ce verdict concerne uniquement ces trois plaignants et ne doit pas avoir de portée plus large. Toute tentative d’extrapolation est nécessairement erronée, tout comme toute spéculation concernant un éventuel ‘settlement'”, note la banque.
On comprend l’insistance du groupe à vouloir empêcher toute contagion. Dans Les Échos, Elliot Stein, analyste chez Bloomberg, estime certes que “la banque a des arguments valables qu’elle peut soulever dans les requêtes postérieures et en appel”. Mais il ajoute que “la pression pour parvenir à un règlement va augmenter. Et pour des montants bien supérieurs aux 20 à 110 millions de dollars que nous avions estimés. Nous ne pouvons pas exclure un règlement possible allant jusqu’à 10 milliards de dollars”, dit-il.