Pour Hugo Lasat, nouveau CEO de Degroof Petercam, “la gestion de portefeuille est le moteur du private banking”
Fraîchement nommé CEO de Degroof Petercam, Hugo Lasat nous détaille sa vision pour l’avenir de la première banque privée et d’affaires indépendante du pays.
Depuis le 21 octobre, Hugo Lasat est le nouveau patron de Degroof Petercam, première banque privée et d’affaires indépendante du pays (80 milliards d’euros de fonds sous gestion ; 1.400 membres du personnel). A ce poste de CEO, il remplace Bruno Colmant qui, après une mission de deux ans à la tête de la maison pour la remettre sur les rails, se concentre désormais sur la gestion du pôle private banking. Pour la première fois de son histoire, la vénérable institution, qui fête cette année son 150e anniversaire, sera donc dirigée par un néerlandophone, affichant une expérience professionnelle de plus de 30 ans dans l’asset management.
Profil
- Né en 1964
- Maîtrise en économie et maîtrise post-universitaire en finance de la KU Leuven Campus Brussel
- 1986: commence sa carrière chez Arthur Andersen et ensuite comme gestionnaire de portefeuille à la Bacob
- 1992 – 1995: senior portfolio manager chez AG Asset Management
- 1995 – 1998:head of AM chez Banque Paribas Belgique et head of Paribas AM Northern Europe
- 1998 – 2001: CEO de Cordius Asset Management
- 2001 – 2006: CEO de Dexia Asset Management (aujourd’hui Candriam)
- 2007 – 2008: membre du management board de Dexia
- 2009 – 2010: CEO du fonds de pension Amonis
- 2011 – 2021: CEO de DPAM (Degroof Petercam Asset Management)
- Depuis le 21 octobre 2021, CEO de Degroof Petercam
TRENDS-TENDANCES. Vous avez été en charge des activités de gestion institutionnelle chez Petercam avant de diriger l’entité de gestion d’actifs (DPAM, pour Degroof Petercam Asset Management) suite à la fusion des deux groupes en 2015. En vous désignant CEO, la maison a-t-elle opté pour une solution en interne qui garantit surtout la stabilité?
HUGO LASAT. Chaque CEO a ses compétences, son propre track record et sa vision. Ma nomination résulte d’une combinaison d’éléments. D’une part, la décision de Bruno de se consacrer à plein temps au private banking. D’autre part, l’arrivée d’un nouveau président du conseil en la personne de Gilles Samyn (l’ancien lieutenant d’Albert Frère, Ndlr) avec qui j’ai eu l’occasion de partager ma vision et mes convictions. Pour l’anecdote, je connais Bruno depuis longtemps. Nous nous sommes rencontrés en 1986 à la machine à café chez Arthur Andersen. J’étais tout jeune consultant, lui était déjà senior. Nous sommes toujours restés en contact depuis, avant de nous retrouver voici quelques années chez Degroof Petercam. Nous avons toujours entretenu une belle relation et nous apprécions mutuellement. Quant à DPAM, l’entité est maintenant pilotée par Peter De Coensel et dispose d’une équipe très solide.
DPAM est un magnifique produit d’exportation.
Est-ce à dire aussi que les problèmes qui ont valu à la banque de se retrouver dans le collimateur des autorités de contrôle (BNB) pour cause de faiblesses en matière de contrôle anti- blanchiment sont résolus?
Le gros du travail lié à ce qu’on appelle la “remédiation administrative” dans le cadre des procédures anti-blanchiment, c’est-à-dire la documentation des comptes, est derrière nous. Tous les dossiers sont quasiment en ordre. Il est normal de respecter à tout moment l’environnement réglementaire. J’ajouterais qu’il est important que celui-ci soit le même pour l’ensemble des acteurs de l’industrie. Je ne vois pas pourquoi une fintech, qui n’est pas une banque mais qui est active dans notre secteur, ne devrait pas respecter les mêmes contraintes. Je trouve logique d’avoir un level playing field en fonction de l’activité exercée et pas en fonction du statut.
Plus concrètement, quelle mission les actionnaires vous ont-ils confiée?
La force d’une maison comme Degroof Petercam réside dans l’interconnexion entre ses quatre métiers. Le private banking renforce l’ asset management (DPAM) et vice versa, le corporate finance renforce le private banking et vice versa, tandis que l’ asset services et DPAM se renforcent mutuellement. C’est une sorte de Rubik’s Cube d’expertises que nos clients peuvent utiliser selon leurs besoins spécifiques. Ma mission consiste à gérer et à développer cet écosystème très difficile à copier.
Qu’entendez-vous par développer?
Malgré la très forte concurrence, DPAM est devenu un acteur de référence sur le marché européen de la gestion d’actifs. C’est un magnifique produit d’exportation, dont le succès est sans doute trop peu connu en Belgique. Nous avons une présence commerciale avec des bureaux dans huit pays (à Madrid, Francfort, Milan, Genève, etc.) et des clients présents dans plus de 20 pays. Nous avons enregistré une croissance à deux chiffres au cours des dernières années. L’objectif est de la maintenir, tout en tenant compte de la complémentarité avec nos autres métiers. Pour ce qui est du private banking, le développement passera par une augmentation de notre visibilité tant au nord qu’au sud du pays. C’est essentiel pour l’entreprise: chaque nouvelle étape de développement ne peut pas mettre en danger les activités existantes.
Face à l’avalanche de réglementations sans cesse plus strictes et coûteuses à mettre en place, la standardisation des portefeuilles devient la norme en banque privée. Est-ce le cas aussi chez vous?
La gestion de portefeuille est cruciale. Elle a tendance à s’industrialiser avec des profils low, medium et high, c’est vrai pour tout le monde, mais elle ne devient pas pour autant une commodité. Elle doit être top! C’est la base du métier de gestionnaire de patrimoine. C’est grâce à elle que vous pouvez offrir des services annexes à valeur ajoutée. Or, croyez-moi, des différences énormes existent au sein de l’industrie dans la façon dont la gestion s’opère. C’est un asset manager qui vous le dit: peu de banques privées ont la maîtrise totale, notamment en matière de gestion des risques, sur la chaîne complète de ce qui est offert au client, c’est-à-dire de la composition du portefeuille jusqu’à la ligne individuelle. Où se trouve le collatéral? S’agit-il de derivatives only ou pas? La gestion de portefeuille est le moteur du private banking. C’est pour cela que la connexion avec DPAM est excessivement importante.
Certes, vous pouvez conseiller un chef d’entreprise dans la vente de son affaire et ensuite l’orienter vers vos services de banque privée et de gestion d’actifs. Mais ce modèle est coûteux. La rentabilité de la banque reste faible.
De manière générale, le cost to serve the client ne cesse d’augmenter au sein de notre industrie. C’est également pour nous un point d’attention où nous devrons faire preuve de plus d’efficacité. Mais regardez où veulent grandir nos concurrents. Le hasard veut, et c’est une agréable constatation, que ce soit dans ces activités que nous avons nous-mêmes construites au fil des décennies: le private banking, l’investment banking, les asset services et l’ asset management.
Comment la crise sanitaire a-t-elle modifié le comportement des clients?
L’interaction avec les clients est à la fois physique et digitale. Les deux fonctionnent. Tout en respectant scrupuleusement les mesures sanitaires, nous avons organisé de nombreux événements durant l’été. Malgré le covid, nos clients ont réagi positivement à nos invitations. C’est dire l’importance de la relation que nous entretenons avec nos clients. Nous avons aussi ouvert trois nouveaux bureaux en région bruxelloise (à Uccle, Kraainem et Wemmel). C’est une manière de renforcer la proximité physique, mais c’est aussi une réponse aux problèmes de mobilité. Les clients sont ravis de pouvoir s’entretenir avec leur banquier en périphérie, et non plus nécessairement en plein centre de Bruxelles.
Tout le monde veut croître au nord du pays.
Votre profil néerlandophone est-il aussi un signal visant à renforcer l’image de la banque au nord du pays, marché qui suscite aujourd’hui la convoitise de la plupart des acteurs de la gestion de patrimoine?
Tout le monde veut croître au nord du pays. La Flandre, du fait de son tissu économique, présente un attrait indéniable et beaucoup de chefs d’entreprise nous disent vouloir travailler avec Degroof Petercam. Nous avons une vraie belle position de départ. Mais en tant qu’entreprise, nous devons nous adapter à cette réalité du marché et continuer à renforcer nos équipes en Flandre, tout en grandissant avec autant de plaisir à Liège, à Namur et à Wavre, au Luxembourg et en France.
Dans ce contexte, le nombre de bureaux dont vous disposez en Flandre est-il suffisant?
Bonne question. Nous avons aujourd’hui plus près de 80 private bankers en Flandre. C’est une force phénoménale mais qui fonctionne actuellement à pleine capacité . Il n’est absolument pas impossible que Degroof Petercam ouvre à l’avenir de nouveaux bureaux en Flandre. La croissance de notre groupe passe pour environ 80% par la croissance des capitaux sous gestion et les nouveaux clients, les autres 20% proviennent de revenus liés aux mandats de conseil et de transactions liées à nos activités d’ investment banking.
Ces objectifs de croissance passent-il par une nouvelle segmentation des clients ou, pour le dire autrement, par un abaissement du ticket d’entrée?
Une segmentation en fonction du patrimoine existera toujours. L’efficacité de la gestion est aussi influencée par la taille du patrimoine. Mais ce n’est pas suffisant. Il ne faut pas approcher les clients / prospects uniquement sur la base des avoirs sous gestion. Il faut y ajouter une spécialisation en termes d’activités professionnelles. Certains segments de clientèle, par exemple les personnes actives dans le secteur médical, les chefs d’entreprise et les propriétaires de business familiaux, développent une croissance naturelle et exigent un accompagnement spécifique s’inscrivant dans la durée. Bruno a, de ce point de vue-là, fait un travail remarquable pour clarifier notre offre, que ce soit en termes de types de clientèle, de zones d’activité (la Belgique, le Luxembourg et la France pour le private banking, par exemple) et de value proposition.
Des acquisitions sont-elles possibles eu égard à cette stratégie de croissance?
Nous avons un ratio de solvabilité Tier 1 de 21% (noyau dur des fonds propres, Ndlr). Disons que cela offre certaines possibilités.
Plus largement, comment voyez-vous évoluer le private banking dans les cinq années qui viennent?
La technologie, les réglementations et les attentes des clients évoluent fortement. Les générations changent. De nouvelles classes d’actifs apparaissent. Se constituer un capital est, pour certains clients private banking, une nécessité dans la mesure où le rendement de l’épargne disparaît avec les taux bas. Le métier doit incorporer tous ces aspects, et à condition que ces éléments soient pris en compte, je suis convaincu que le private banking continuera à démontrer sa valeur ajoutée pendant encore de nombreuses années. Au-delà du métier que nous exerçons, je reste aussi persuadé du rôle pertinent que le secteur financier occupe sur le plan sociétal et par sa capacité à créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes.
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