Philippe Ledent
“Lorsque la politique économique sort de son domaine, la sanction peut être violente”
Lorsque la politique économique sort de son “domaine de vol”, la sanction peut être violente.
Au-delà de son domaine de vol, un avion ne vole pas mieux qu’une machine à laver. Ce domaine de vol est défini par plusieurs paramètres: la pression atmosphérique, la vitesse, la température, les caractéristiques de l’avion, etc. Un avion est donc capable de voler dans des circonstances très différentes mais il ne peut pas voler dans toutes les circonstances.
Ce principe fonctionne également pour la politique économique: on sait qu’elle peut agir dans des circonstances très différentes mais elle ne peut pas faire n’importe quoi non plus. Le “domaine de vol” de la politique économique dépend de très nombreux paramètres: le contexte économique et financier général, la confiance des agents économiques dans les autorités et leurs décisions, les éventuelles contraintes extérieures, etc. Comme la politique économique recouvre à la fois l’action des gouvernements (politique budgétaire) et l’action de la banque centrale (politique monétaire), les interactions entre les deux types de politiques représentent également des paramètres importants: la politique budgétaire aura, par exemple, plus de latitude dans un contexte de taux bas (ce qui relève de la politique monétaire) que dans un contexte de taux élevés.
Ces dernières années, force est de constater que les autorités ont testé de près les limites du “domaine de vol” de la politique économique. Ainsi, la politique monétaire européenne a testé les taux négatifs, longtemps perçus comme un non-sens. Ensuite, pendant la pandémie, de nombreux gouvernements ont appliqué le principe du “quoi qu’il en coûte” pour minimiser l’impact des confinements sur l’économie, un peu comme si la dépense publique pouvait être sans limite. Cela semble néanmoins, jusqu’ici, être resté dans les limites du domaine.
Plus récemment par contre, les secousses énormes enregistrées au Royaume-Uni, tant au niveau du taux de change de la livre sterling que des taux d’intérêt, mais aussi au niveau des tensions sociales, doivent sonner aux oreilles de tous comme un sérieux avertissement: lorsque la politique économique sort de son “domaine de vol”, la sanction peut être violente. Certes, dans le contexte actuel d’extrême augmentation des prix (de l’énergie en particulier), trouver le juste équilibre entre les politiques économiques n’est pas facile: la politique monétaire se sent contrainte d’augmenter drastiquement les taux d’intérêt alors que la politique budgétaire cherche à compenser au maximum l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat.
Mais comme j’ai pu l’écrire dans de précédents textes, une telle action ne fait que renforcer la nécessité d’augmenter les taux, ce qui finit par poser un gros problème de finances publiques. Ajoutez-y des contraintes extérieures telles que le manque de main-d’oeuvre sur le marché du travail, et la politique économique finit par perdre toute crédibilité. Les tensions générées par cette situation en entraînent d’autres (on pense par exemple aux appels de marges sur tous les produits financiers dérivés associés à la livre sterling ou aux taux britanniques) qui peuvent s’avérer explosives. On a alors vu le gouvernement britannique tenter désespérément de corriger le tir sans perdre complètement la face, alors que la politique monétaire doit ressortir les grands moyens pour tenter d’éteindre l’incendie sur les obligations d’Etat britanniques. Sera-ce suffisant? A l’image d’un avion en situation de décrochage, il peut être très difficile pour la politique économique de retourner dans son “domaine de vol” une fois qu’elle en est sortie.
Certes, l’euro est aussi malmené et les primes de risque augmentent, mais ceci n’est pour le moment pas perçu comme une situation d’incompatibilité des politiques économiques européennes. Bref, elles demeurent dans leur domaine de vol… pour l’instant. Mais on en teste plus que jamais les limites.
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