“Les SPAC ne répondent pas à de nombreuses attentes”
Le gendarme belge des marchés insiste sur la nécessité d’encadrer le phénomène et d’avertir l’investisseur sur les risques méconnus de ce produit dont les performances boursières sont généralement décevantes.
Les SPAC (Special purpose acquisition company), ces sociétés “coquille vides” sans actif ni objectif précis qui cherchent à fusionner avec une société non cotée, ont le vent en poupe. Au point qu’au début de cette année, il n’y avait pratiquement pas un jour ouvrable sans que l’on annonce la création d’un de ces véhicules.
L’an dernier, on a compté dans le monde 300 entrées en Bourse de SPAC, essentiellement aux Etats-Unis mais aussi en Asie et quelques opérations en Europe. En janvier et février 2021, dans les seuls Etats-Unis, on a recensé une cinquantaine de fusions d’une SPAC avec une société cible, et ces opérations se sont élevées au total à 109 milliards de dollars. Certes, il semble que le soufflé soit un peu retombé aujourd’hui, mais les SPAC restent un phénomène très important. Et non dénué de problèmes car il n’est pas sûr que les investisseurs comprennent dans quoi ils entrent.
On dit souvent qu’une SPAC est un moyen rapide et pas cher d’introduire une société en Bourse. Mais ce n’est pas ce que nous voyons .”
Jean-Paul Servais, président de la FSMA
Ces derniers jours, l’association mondiale des régulateurs des marchés financiers, l’OICV-IOSCO, dont les 130 membres représentent 95% des marchés dans le monde, a d’ailleurs créé un réseau pour faciliter le partage d’informations, échanger des idées et des expériences, et suivre les évolutions dans ce domaine. Ce réseau est présidé par Jean-Paul Servais, le président de la FSMA, le gendarme belge des marchés, et vice-président de l’OICV-IOSCO. “Notre programme de travail est encore en cours de finalisation mais le groupe se réunira environ tous les mois, précise-t-il. Nous ne sommes pas fermés à ces véhicules, une des raisons d’être de la création d’un tel réseau étant par ailleurs de faire le point sur les différents cadres réglementaires qui existent afin d’éviter toute confusion.” Pour les partisans des SPAC, ces sociétés présentent de nombreux atouts. Elles offrent une alternative aux entreprises pour se faire coter en Bourse. Elles sont créées et dirigées par des experts financiers. Elles présentent un bilan relativement simple. Elles permettent d’introduire rapidement en Bourse une entreprise puisqu’elles sont déjà financées et cette rapidité permet de faire éventuellement jouer un effet d’aubaine.
Simplicité trompeuse
Généralement, une SPAC se donne deux ans et si elle ne parvient pas à trouver d’entreprise à absorber au terme de ce délai, elle rend l’argent aux actionnaires. Comme la SPAC est cotée, et surtout après avoir fusionné avec la cible, il n’y a pas de différence en termes de contrôle avec une société cotée classique. Bénéficiant du droit de vote, les investisseurs ont voix au chapitre quant à la business combination à former. Lorsque la SPAC s’introduit en Bourse, le produit de cette IPO est placé sur un compte sous séquestre. Cela sert de protection et de poste de sortie pour les actionnaires publics. Car l’actionnaire qui n’est pas convaincu par l’investissement choisi peut en général – et sous certaines conditions – demander à être remboursé.
Mais on verra que le grand avantage concerne surtout les actionnaires de la première heure qui bénéficient d’un effet de levier qui peut être gigantesque. “On dit souvent qu’une SPAC est un moyen rapide et pas cher d’introduire une société en Bourse. Mais ce n’est pas ce que nous voyons: les régulateurs examinent également les dossiers de SPAC avec attention et les frais d’avocats et de consultants peuvent être aussi importants que pour une IPO classique, note Jean-Paul Servais. Et la simplicité relative du bilan peut être trompeuse: le bilan d’une SPAC se compose principalement de cash et on ne peut pas en conclure grand-chose. Il est difficile d’évaluer le projet de ‘fusion’ présenté par les fondateurs.”
“Il n’y a pas de formule uniforme, poursuit Jean-Paul Servais: parfois, certaines SPAC sont extraordinairement bien construites juridiquement, d’autres le sont beaucoup moins.” Si les fondateurs bénéficient de solides rendements, les investisseurs ordinaires ne sont pas à l’abri du risque de perdre leur capital malgré l’existence du compte sous séquestre. “Et si le système récompense les fondateurs, il s’accompagne aussi, pour les autres actionnaires, d’une dilution immédiate de 20%”.
Réservé à un public averti
Les études effectuées sur le terrain confirment ce sentiment de malaise. “Les SPAC ne répondent pas à de nombreuses attentes, explique Jean-Paul Servais. Les études académiques montrent qu’il n’y a pas de lien entre l’ampleur de l’IPO et le financement de la cible. La dilution moyenne serait de 33% (une étude a même rapporté un cas extrême de 90%, Ndlr) et la dilution médiane serait de 50%. Ces études montrent aussi que les performances des SPAC en Bourse après la formation de la business combination sont très souvent décevantes.”
Jean-Paul Servais pointe aussi la rémunération parfois excessive des sponsors, la dilution des actionnaires, la durée de vie de deux ans qui peut exercer une pression sur les sponsors pour trouver une cible à tout prix.
En fait, l’investisseur se lance les yeux fermés. A partir de l’IPO jusqu’à la business combination et l’exercice des warrants, la dilution est inéluctable pour les actionnaires ordinaires, mais l’ampleur de cette dilution ne peut être déterminée qu’après coup. Ces mécanismes, ces interrogations et le fait qu’au moment d’investir, l’actionnaire achète une partie d’une coquille encore vide, “tout cela rend très difficile une décision d’investissement éclairée“, note encore le patron de la FSMA.
Le gendarme des marchés belge a donc émis certaines recommandations et a défini des standards minimaux concernant la structuration des SPAC, la diffusion d’informations sur les actions de ces véhicules et la négociation de ces actions sur Euronext Brussels. Certaines recommandations concernent la structuration de ces sociétés afin d’éviter tout conflit d’intérêt pour les sponsors, et de protéger au mieux les actionnaires ordinaires contre la dilution. La FSMA recommande aussi de lier la rémunération des fondateurs à la création de valeur, et non à l’attribution quasi gratuite d’actions au départ.
Les actions de SPAC cotées sur Euronext Brussels porteront une mention spécifique indiquant qu’elles sont réservées aux investisseurs professionnels. Un investisseur particulier ne pourra en acquérir qu’en execution only et moyennant un test du caractère approprié. “Il doit donner un ordre militaire d’acheter à son intermédiaire. Et, le cas échéant, l’intermédiaire informera son client que cet achat n’est pas approprié pour lui”. En résumé: cet investissement doit être réservé à un public très, très averti.
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