Les investisseurs se détournent de la Chine en réaction au troisième mandat de Xi Jinping
Comme attendu, Xi Jinping a profité du 20e congrès du Parti communiste chinois pour asseoir son pouvoir. Une véritable intronisation qui inquiète les marchés et commence même à affecter les sociétés occidentales actives en Chine.
Premier dirigeant à être réélu pour un troisième mandat depuis Mao Zedong, Xi Jinping personnifie désormais le régime chinois. L’éviction en plein congrès de son prédécesseur, Hu Jintao, sonne d’ailleurs comme un avertissement à quiconque chercherait à s’opposer à son autorité. Xi Jinping s’est aussi entouré de fidèles au sein du Comité permanent du Bureau politique, un organe tout-puissant détenant tous les leviers de pouvoir en Chine. La promotion de Li Qiang, pressenti pour le rôle de Premier ministre, a notamment interpellé alors que l’ex-gouverneur de la province de Shanghai a été décrié pour le récent confinement chaotique de la première ville du pays. Pour de nombreux observateurs, c’est le signe que la loyauté à Xi Jinping était le critère le plus important lors du renouvellement des instances.
Le nationalisme de Xi Jinping pourrait exacerber les tensions avec l’Occident, surtout si les résultats économiques ne suivent pas.
En marge du congrès, Xi Jinping a fixé des objectifs de développement ambitieux. Il vise à faire de la Chine un pays (modérément) développé pour 2035 grâce à une amélioration continue du revenu par habitant et à hisser la nation au rang de première puissance mondiale pour 2049, l’année du centenaire du régime. Ce qui n’a pas du tout convaincu les marchés financiers dont la sanction a été implacable. Le yuan a chuté à son plus bas depuis 2008 par rapport au dollar. L’indice CSI 300 des Bourses de Shanghai et de Shenzhen a perdu plus de 3% en deux jours. A Hong Kong, l’indice Hang Seng a connu sa pire séance en plus de 10 ans et évolue au plus bas depuis 2009. Les actions chinoises cotées à Wall Street ont plongé de 14% alors que la mainmise du président chinois risque d’accroître les tensions avec les Etats-Unis.
Suspension des indicateurs
La première explication de cette méfiance est que le renforcement du pouvoir de Xi Jinping le conforte dans les orientations politiques prises jusqu’à présent. Une stratégie qui a déjà fait perdre près de 40% au CSI 300 depuis février 2021. Les sujets d’inquiétude sont nombreux, comme la crise immobilière, le durcissement de la réglementation ou la politique zéro covid qui pèse sur l’économie.
Mi-octobre, Pékin a même annoncé le report des chiffres du PIB du troisième trimestre. Ces derniers ont été publiés la semaine dernière mais cette suspension a mis en évidence la cure d’amaigrissement subie par les indicateurs chinois. Selon les données compilées par John Burn-Murdoch du Financial Times, le bureau des statistiques chinois publiait 80.000 indicateurs (nationaux, régionaux et locaux) en 2012 au début du premier mandat de Xi Jinping. En 2016, la moitié d’entre eux avaient déjà disparu et la tendance s’est poursuivie. Les domaines les plus touchés sont la production industrielle, les investissements ou les indicateurs monétaires, des aspects pourtant cruciaux. Cette opacité renforce la méfiance des marchés par rapport aux chiffres économiques chinois.
Absence de contre-pouvoir
Helen Qiao, économiste en chef pour la Chine chez Bank of America, estime certes que la concentration du pouvoir par le président Xi Jinping “pourrait conduire à une exécution plus efficace des politiques et à une faible résistance à des réformes plus audacieuses ou des changements dans les positions politiques existantes”.
Mais cette vision optimiste est de plus en plus isolée. Nombre d’observateurs redoutent surtout le risque de dérive autocratique. Victor Shih, professeur associé de sciences politiques à l’Université de Californie, souligne que les membres du Comité permanent ont “atteint le plus haut niveau de pouvoir en étant d’accord avec Xi Jinping sur tout et en se rangeant constamment de son côté. Ils ne contesteront donc pas ses décisions, quel que soit le bien-fondé de celles-ci”.
Les plus pessimistes épinglent que le nationalisme de Xi Jinping pourrait exacerber les tensions avec l’Occident, tout particulièrement si les résultats économiques ne suivent pas. A ce niveau, les doutes sont nombreux. Tout d’abord, Xi Jinping n’a pas donné d’indication de changement de cap par rapport aux deux principaux freins à la croissance, à savoir la politique zéro covid et la crise immobilière. Ce qui annihile tout espoir d’accélération rapide pour une économie déjà affectée par un niveau d’endettement global (ménages, entreprises, gouvernement) qui a doublé depuis 2009 et un ralentissement de la croissance démographique.
Retour au communisme
Cet aspect démographique inquiète d’ailleurs de plus en plus, l’abondance de la main-d’oeuvre ayant été au centre du développement chinois depuis 40 ans. Selon les dernières prévisions des Nations unies, la population en âge de travailler (définie comme les personnes de 15 à 64 ans) en Chine stagne actuellement et va commencer à baisser dès la fin de cette décennie. D’ici 2100, elle fondrait ainsi de plus de moitié. Comparativement, elle devrait globalement stagner aux Etats-Unis.
Après des décennies d’ouverture notamment marquées par son adhésion à l’OMC et l’intégration de ses actions aux prestigieux indices MSCI, la Chine semble nettement se refermer.
Par ailleurs, les promesses de libéralisation économique de Xi Jinping n’ont pas trouvé d’oreille attentive. D’autant plus que le président chinois promouvait quelques jours auparavant “un esprit de frugalité” et appelait à “équilibrer le développement avec la sécurité”, signalant que la croissance peut être sacrifiée pour l’autosuffisance en matière de technologie avancée et de défense nationale, en particulier lorsqu’il s’agit de la “réunification” avecTaiwan.
Pour Peter Garnry, responsable de la stratégie actions chez Saxo, le 20e congrès du Parti communiste est “sans doute le point culminant d’une longue transformation au cours de laquelle la Chine a mis de plus en plus l’accent sur l’importance du secteur public par rapport au secteur privé, comme le montre la politique chinoise de ‘prospérité commune'”. Gary Dugan, de Global CIO Office, une société singapourienne de services d’investissement, estime que la Chine a tourné le dos à “un modèle hybride de capitalisme modéré et de philosophie communiste réformatrice”. Les récents événements “ne font que renforcer la crainte que Xi Jinping ramène la politique chinoise vers le communisme“.
Inclusion en berne
Après des décennies d’ouverture marquées par l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 ou l’inclusion des actions A chinoises (actions en yuans cotées sur les Bourses de Shanghai et de Shenzhen) dans les prestigieux indices MSCI, la Chine semble en effet nettement se refermer. La meilleure illustration est sans doute le positionnement des investisseurs occidentaux vis-à-vis des actions A chinoises. Quand MSCI les a intégrées à ses indices (Chine, pays émergents et tous pays), elle a prévu un facteur d’inclusion pour ne pas déstabiliser les indices (les actions chinoises auraient pesé près de la moitié de l’indice MSCI Emergents). En 2018, ce facteur avait été fixé à 5%. Il a ensuite été relevé jusqu’à 20% en 2019. A l’époque, nombre d’investisseurs anticipaient une poursuite du relèvement du facteur d’inclusion jusqu’à une intégration complète (100%). Depuis, MSCI n’y a plus touché.
Des fonds qui se retirent
Récemment, la tendance est même plutôt à la réduction de la voilure du côté des investisseurs. Zevin Asset Management, un gestionnaire d’actifs américain soucieux des aspects de durabilité, a ramené son exposition à la Chine à zéro. Au Texas, le gérant d’un fonds de pension public de 184 milliards de dollars a réduit son allocation de référence aux actions chinoises de moitié.
Fondamentalement, les actions chinoises sont pourtant extrêmement bon marché. L’indice Hang Seng cote, par exemple, moins de sept fois les bénéfices, soit une décote de 45% par rapport aux marchés européens et de 60% par rapport à Wall Street.
Cette décote n’est toutefois pas neuve et ne suffit plus à attirer les investisseurs, essentiellement en raison de la politique de Xi Jinping qui ne semble pas vouloir changer son fusil d’épaule.
L’inquiétude grandit même et commence à affecter les sociétés occidentales actives en Chine, comme le note Peter Garnry: “Un dollar de cash-flow en Chine a-t-il la même valeur qu’un dollar de cash-flow aux Etats-Unis ou en Europe? Sans doute que non“. Pour le spécialiste de Saxo, cette différence apparaît clairement aujourd’hui dans les valorisations des acteurs de l’industrie des semi-conducteurs, en raison notamment des restrictions américaines aux exportations de puces électroniques. “Mais cela ne s’est pas (encore) entièrement reflété dans les actions plus orientées vers les consommateurs comme Apple et Tesla. Avec environ 20% de ses revenus provenant de Chine, le profil de risque d’Apple pourrait augmenter. Tesla réalise 25% de son chiffre d’affaires en Chine et est donc également très exposé à ce pays.” On pourrait évidemment ajouter bien d’autres exemples, à commencer par Ageas sur Euronext Bruxelles. L’assureur a prévenu la semaine dernière que ses résultats du troisième trimestre seraient inférieurs aux attentes à cause (en grande partie) des conditions de marché en Chine.
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