Dans les semaines à venir, plusieurs dizaines de milliards d’euros vont à nouveau se libérer : il s’agit des montants que les souscripteurs du bon d’État de 2023 ont réinvestis un an plus tard dans des comptes à terme et des bons de caisse à un an. Cependant, il ne faut pas s’attendre cette année à des taux “choc” de 4 % sur les comptes à terme. Les banques vont surtout proposer des produits d’investissement.
On devrait ressentir encore cette année les effets de la frénésie autour de l’emprunt d’État de 2023, et plus particulièrement entre fin août et début septembre.
En 2023, les Belges avaient souscrit pour 22 milliards d’euros à l’emprunt d’État avantageux sur le plan fiscal lancé par le ministre des Finances de l’époque, Vincent Van Peteghem (cd&v). Cet argent avait déserté les comptes des banques, lesquelles ne pouvaient guère rivaliser avec le rendement net de 2,81 % offert par le titre public, grâce au précompte mobilier réduit à 15 %.
L’an dernier, les banques ont tout fait pour récupérer cet argent. Et elles y sont parvenues, mais non sans en payer le prix.
ING a dégainé un compte à terme d’un an offrant un taux d’intérêt allant jusqu’à 4 %, soit un rendement net de 2,80 % — quasiment identique à celui de l’emprunt d’État fiscalement avantageux de l’année précédente. D’autres grandes banques, comme Belfius et KBC, se sont vues contraintes de suivre cette offre spectaculaire.
Ainsi, en août et septembre 2024, il était possible de souscrire dans presque toutes les banques à des comptes à terme, des bons de caisse ou des produits structurés affichant des taux attractifs. La plupart des banques réservaient toutefois ces taux élevés aux “nouveaux fonds”, soit à de l’argent qui n’était pas déjà déposé sur un de leurs comptes, y compris les sommes issues de l’emprunt d’État.
Une guerre sans vainqueurs
Selon les chiffres publiés ultérieurement par la Banque nationale, les dépôts sur comptes à terme ont bondi de 18 milliards d’euros en septembre 2024, atteignant 66 milliards. Parallèlement, 5 milliards d’euros de bons d’état ont été achetés. Dans le même temps, les avoirs sur comptes d’épargne ont reculé de 4,4 milliards et ceux sur comptes à vue de 2,8 milliards. Cela montre que des dépôts ont également été transférés d’une banque à l’autre pour profiter des taux plus élevés.
La banque à l’origine de cette “guerre des dépôts” il y a un an, ING Belgique, a engrangé 5,5 milliards d’euros de dépôts, soit le double des 2,7 milliards qui avaient quitté ses comptes vers l’emprunt d’État l’année précédente. « Notre objectif était de fidéliser nos clients et d’en attirer de nouveaux, et nous y sommes parvenus », explique le CEO Peter Adams. «La croissance du nombre de clients se reflète dans l’ouverture de 80 000 nouveaux comptes à vue. Fin juin 2025, nos dépôts atteignaient 112 milliards d’euros, ce qui nous a permis d’accorder davantage de crédits et de faire passer notre portefeuille de prêts à 117 milliards d’euros. »
Pour Olivier Delfosse, CEO de Deutsche Bank Belgique, les clients ont bien déplacé des fonds, mais sans bouleverser profondément le marché bancaire :
« ING a déclenché une guerre des dépôts, mais comme la plupart des banques ont suivi, il n’y a pas eu de gagnant clair. Les parts de marché des différents établissements sont restées globalement stables. »
Changement de terrain
Il y a un an, la concurrence entre banques se concentrait sur les produits à revenu fixe, tels que les comptes à terme et les bons de caisse. Cette année, la tendance semble tout autre. La raison principale : l’évolution des taux d’intérêt.
Depuis la mi-2024, la Banque centrale européenne (BCE) a abaissé à plusieurs reprises le taux de dépôt à court terme — référence pour la rémunération des livrets d’épargne et des comptes à terme de courte durée —, le faisant passer de 4 % en juin 2024 à 2 % actuellement. Ce qui devrait décourager cette année toute opération commerciale agressive et les taux “choc”.
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Pas d’offensive de septembre sur le marché de l’épargne
ING a déjà annoncé qu’elle ne compte pas relancer une offre promotionnelle sur les comptes à terme. « Les conditions sont complètement différentes », explique le CEO Peter Adams. « L’an dernier, c’était un moment unique pour ce type d’action commerciale : 22 milliards d’euros issus de l’emprunt d’État fiscalement avantageux sont arrivés sur le marché et la conjoncture des taux nous permettait de proposer aux épargnants un rendement attractif. Entre-temps, la Banque centrale européenne (BCE) a divisé par deux le taux de dépôt. Par conséquent, il n’est plus possible de proposer sur un compte à terme une offre aussi intéressante qu’en 2024. Je pense que les autres banques partagent cette vision. Je ne m’attends donc pas à une offensive de septembre sur le marché de l’épargne. Le contexte est plus favorable aux clients prêts à investir leur argent. »
En 2024, de nombreuses banques avaient offert des taux compétitifs aussi bien pour les contrats de six que douze mois. KBC avait même proposé à ses clients une durée de treize mois, probablement pour éviter une nouvelle guerre concurrentielle en septembre. Deutsche Bank estime qu’entre fin août et début septembre, entre 10 et 15 milliards d’euros arriveront à échéance. Une autre banque évoque elle plutôt entre 20 et 30 milliards d’euros d’ici fin octobre.
Le montant exact qui sera libéré dans les prochaines semaines reste donc difficile à estimer.
Miser sur les produits d’investissement
Pour retenir ces fonds, la plupart des banques comptent cette fois mettre en avant leurs produits d’investissement. « Cette année, nous proposerons à nos clients une offre beaucoup plus large, incluant des fonds d’investissement », précise Peter Adams. « Il ne s’agit pas d’un produit unique, mais d’un éventail de solutions adaptées au profil des clients et de la durée pendant laquelle ils peuvent immobiliser leurs fonds. Cela va des fonds communs de placement et ETF aux produits structurés. Certains clients souhaitent une garantie en capital et en rendement sur une durée limitée, tout en profitant potentiellement d’une hausse des marchés boursiers. Nous avons des produits structurés qui répondent à cette demande, et qui se sont déjà bien vendus ces derniers mois. »
Produits structurés et fonds d’investissement
Belfius confirme également un fort intérêt pour ses obligations structurées combinant garantie en capital et coupon « attractif ». « Nous permettons en outre à nos clients de préparer dès maintenant leur réinvestissement », indique sa porte-parole Ulrike Pommee. « En juillet, nous avons procédé à des émissions dont la date de paiement est fixée à septembre, afin de coïncider parfaitement avec l’échéance des investissements souscrits l’an dernier. Les clients apprécient cette approche. Nous proposons ce mois-ci une offre similaire. » Même une banque d’épargne traditionnelle comme Argenta propose cette année une obligation structurée.
Dans l’ensemble, toutes les banques prévoient de promouvoir les produits d’investissement. La raison est simple : ces produits génèrent des revenus pour les établissements sous forme de commissions d’entrée, de frais de gestion et de coûts de transaction. Cela revêt aussi une importance stratégique puisque la plupart des banques cherchent à réduire leur dépendance aux revenus d’intérêts, désormais affaiblis par la forte baisse des taux.
Chez ING, par exemple, les revenus issus des commissions représentent 28,5 % des revenus. La banque souhaite encore augmenter cette part. «Nous visons une meilleure diversification de nos revenus », explique Peter Adams. « En incitant nos clients à investir dans des produits d’investissement, nous devons maintenir la progression des revenus de commissions. »
Les campagnes commerciales de 2024 avec des comptes à terme à haut rendement ont par ailleurs fortement amputé les revenus et la rentabilité des banques. Ainsi, ING Belgique a versé l’an dernier 750 millions d’euros de plus en intérêts sur les comptes d’épargne et à terme qu’en 2023. KBC, qui avait égalé l’offre promotionnelle d’ING avec des comptes à terme offrant un rendement brut de 3,8 à 4 %, a calculé que cette action lui avait coûté 82 millions d’euros de revenus d’intérêts.
La prudence est de mise
Delfosse met donc en garde : « L’an dernier, les clients ont pu profiter d’une période de “soldes” en recherchant la banque offrant les meilleures conditions et les taux les plus attractifs. Cette année, s’ils ne font pas attention, ils risquent de payer l’addition. Les pertes de revenus de l’an dernier, les banques chercheront à les récupérer en générant à nouveau des marges sur les montants arrivant à échéance. »
« Si les clients ne sont pas attentifs, ils risquent cette année de devoir passer à la caisse auprès de leur banque. Les banques chercheront cette année à compenser les pertes de revenus enregistrées l’an dernier. »
Deutsche Bank se positionne en Belgique comme banque-conseil pour clients fortunés, mais aussi comme challenger face aux grandes banques. Delfosse reconnaît que le contexte est favorable à l’investissement en actions, obligations ou fonds, mais il recommande de rester vigilant et de bien faire ses devoirs : « Certains produits d’investissement peuvent générer de belles marges et profits pour votre banque principale. Mais certains fonds maison ne sont tout simplement pas les meilleurs en termes de rendement net. J’espère que, comme l’an dernier, les clients compareront les offres et chercheront le meilleur rendement possible. L’an passé, certains ont déplacé leurs fonds pour gagner 20 points de base de rendement supplémentaire. Or, sur des fonds, les écarts peuvent aller jusqu’à 2 à 4 % par an. »
L’importance d’être bien conseillé
D’où l’importance d’être bien conseillé, même pour ceux qui optent pour des trackers indiciels, insiste Delfosse : « Chez Deutsche Bank, nous offrons à tout client disposant d’un patrimoine confié d’au moins 100 000 euros un banquier-conseil capable de l’orienter dans un large éventail de fonds et de trackers. Car même avec les ETF, une allocation stratégique des actifs est nécessaire. Il faut par exemple tenir compte des aléas du dollar: un investisseur qui se limite à un fonds indiciel sur le S&P 500 a déjà vu sa valeur chuter cette année à cause de la faiblesse du billet vert. »
« Il n’y a plus de marge de manœuvre pour les banques afin de vendre, comme l’an dernier, un produit à marge négative. Déclencher une guerre des taux sur l’épargne ne me paraît pas judicieux. », selon Johan Thijs CEO KBC.
Des actions commerciales spécifiques
Deutsche Bank Belgique prévoit également une action commerciale spécifique en septembre et octobre : aucun droit d’entrée ne sera appliqué sur la progression nette des capitaux investis par les clients dans des fonds. Un autre concurrent sur le marché bancaire, MeDirect, mène également une campagne temporaire. Les clients de la banque en ligne peuvent négocier des ETF sans commission en juillet et août. En temps normal, MeDirect facture 0,15 % de frais de transaction.
L’action commerciale de MeDirect s’accompagne d’une campagne publicitaire qui formule sans détour des critiques à l’égard des banques traditionnelles. « Avec cette campagne, nous voulons réveiller les investisseurs », déclare Alain Moreau, CEO de MeDirect Bank. « L’offre de fonds des banques traditionnelles est limitée et les frais qu’elles facturent à leurs clients sont souvent inutilement élevés, alors que les ETF peuvent effectivement offrir une alternative moins coûteuse. Dans de nombreuses banques, les ETF ne font toujours pas partie de l’offre courante de produits d’investissement, mais l’on y trouve souvent des fonds plus chers ou des produits structurés. »
Le retour en grâce des produits de la branche 21
Parmi les grandes banques, seule BNP Paribas Fortis n’avait pas suivi le taux d’intérêt promotionnel d’ING de l’année dernière. La plus grande banque du pays a préféré recommander à ses clients des bons de caisse et des obligations à plus long terme. Cette année encore, la banque suit la même stratégie. Pour les clients recherchant une protection du capital et ayant un horizon plus long, BNP Paribas Fortis propose des produits structurés sur sept et dix ans, ainsi que des assurances-épargne de la branche 21.
Les produits de la branche 21 offrent un taux garanti et, grâce à la hausse des taux d’intérêt à long terme, ils sont redevenus plus attractifs ces derniers mois. L’assureur AG a récemment relevé le taux de son Future Invest Bon (via les agences BNP Paribas Fortis) et de AG Invest+ (via les courtiers en assurances). Pour les nouveaux contrats, les deux assurances-vie offrent un taux garanti de 3 % la première année (contre 2,75 % auparavant) et 2,5 % pour les sept années suivantes (contre 2,25 % auparavant). Belfius a également augmenté le taux garanti de son produit Belfius Invest Capital à 2,5 %. Ceux qui conservent ces produits pendant huit ans ne paient pas de précompte mobilier, mais une taxe unique sur la prime de 2 % est prélevée sur le montant versé.
Certains comptes d’épargne réglementés peuvent également redevenir intéressants pour les épargnants conservateurs, avec un rendement compris entre 1,5 % et 2 %. « Si l’on prend en compte la fiscalité avantageuse, certains comptes d’épargne sont plus attractifs pour des montants inférieurs à 100 000 euros qu’un compte à terme sur lequel le client paie 30 % de précompte mobilier », explique Olivier Delfosse.