La Réserve fédérale américaine a-t-elle perdu les commandes ?
Peut-on réussir un atterrissage en douceur de l’économie américaine ? La Réserve fédérale le croit. Le marché est beaucoup plus sceptique.
En commentant la décision de la Réserve fédérale américaine de maintenir ses taux élevés pour une longue période, Jerome Powell, le président de l’institution, indique qu’un atterrissage en douceur de l’économie américaine reste plausible. Ce mercredi, la banque centrale américaine a décidé de maintenir son taux directeur dans la fourchette des 5,25-5,50%, mais surtout a assorti cette décision d’un commentaire prédisant que les taux resteraient élevés longtemps (les responsables de la Fed prévoient des taux directeurs à 3,9% fin 2025). En commentant cette décision, Jerome Powell a dit « j’ai toujours pensé que l’atterrissage en douceur était un résultat plausible… en fin de compte, cela peut être décidé par des facteurs qui sont hors de notre contrôle, mais je pense que c’est possible ».
Un atterrissage en douceur, cela signifie un scénario où l’inflation est calmée par la hausse des taux, mais sans que les États-Unis doivent pour cela subir une récession et une forte remontée du chômage. C’est d’ailleurs ce qui transparaît des dernières prévisions de la Fed. La banque centrale table pour l’économie américaine sur une croissance de 2,1% cette année et de 1,5% l’an prochain, et s’attend à ce que le taux de chômage ne dépasse pas 4,1 %, soit à peine plus que le taux actuel de 3,8%. Parallèlement elle s’attend à une inflation qui retomberait à 2,2% en 2025 et 2% en 2026.
Les marchés ont une vue différente
Mais lorsque l’on voit la marche des taux d’intérêt à long terme, sur lesquels la Fed n’a pas de prise directe, car ils sont dictés par le marché, l’attente des investisseurs est très différente.
« Le fait le plus marquant est peut-être que le taux d’emprunt de référence à 10 ans dans le monde se maintient à 4,50 % » indiquent les économistes d’ING, et ces taux élevés s’expliquent parce que pour le marché, le taux neutre, celui qui s’affiche lorsque l’économie tourne à son rythme de croisière, sans surchauffe, est désormais à 4%, ce lui est loin des objectifs de la Fed qui table sur un taux neutre de 2-2,5%.
Or, des taux élevés longtemps vont profondément changer le visage de l’économie américaine.
« Le monde est structurellement différent de ce qu’il était, observe Bill Ackman, célèbre gestionnaire de hedge funds, dans un post sur X. Les dividendes de la paix n’existent plus. Les effets déflationnistes à long terme de l’externalisation de la production en Chine ont disparu. Le pouvoir de négociation des travailleurs et des syndicats continue d’augmenter (…) Les prix de l’énergie augmentent rapidement (…) La transition vers l’énergie verte est et restera d’un coût incalculable. Et l’augmentation des prix de l’essence suscitera des attentes inflationnistes. Il suffit de demander à l’Américain moyen. Il voit les prix à la pompe et à l’épicerie et ne croit pas à une modération de l’inflation ».
Éloignez-vous
Bill Ackman ne croit pas que la Fed réussira à atteindre son objectif. « Le taux d’inflation à long terme ne reviendra pas à 2 %, dit-il, et cela, quel que soit le nombre de fois où le président Powell réaffirmera qu’il s’agit de son objectif. Un objectif qui a été fixé arbitrairement à 2 % après la crise financière, dans un monde très différent de celui dans lequel nous vivons aujourd’hui ».
Bill Ackman s’inquiète aussi de l’endettement américain, qui dépasse désormais 33.000 milliards de dollars. « L’autre soir, j’ai croisé le directeur des investissements de l’un des plus grands gestionnaires d’actifs à revenu fixe au monde et je lui ai demandé comment cela se passait. Il avait l’air d’avoir eu une journée difficile. Il m’a accueilli en disant : “Il y a tout simplement trop d’obligations” – un véritable tsunami de nouvelles émissions chaque semaine. Je lui ai demandé ce qu’il comptait faire à ce sujet. Il m’a répondu : “La seule chose que vous puissiez faire, c’est de vous éloigner”.
Mais on aurait tort de penser que c’est un problème purement américain. Mohamed El-Erian, ancien patron de PIMCO aujourd’hui conseiller d’Allianz, estime que des taux américains plus élevés, incluant un taux à 10 ans avoisinant les 4,5%, « sont davantage un problème pour le reste du monde que pour les États-Unis eux-mêmes ». Car ils ont deux effets : d’une part, ils renchérissent le coût des emprunts dans le monde. Et d’autre part, ces taux élevés poussent le dollar vers le haut et donc les autres devises vers le bas ce qui complique la tâche des autres banques centrales.
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