La fête est-elle finie pour les banques?
Entre coûts dopés par l’inflation, moins-values obligataires, fin des prêts géants de la BCE, ralentissement économique et pression du politique sur la rémunération de l’épargne, le secteur doit désormais composer avec plusieurs facteurs déstabilisants. Explications.
Record. Tel a été le mot clé de l’année 2022 pour les banquiers. Plus de 10 milliards d’euros pour BNP Paribas, première banque de la zone euro, meilleur résultat de son histoire aussi pour Belfius avec un bénéfice approchant le milliard, meilleure performance également depuis des années pour KBC: malgré la guerre en Ukraine et la crise de l’énergie, les bénéfices exceptionnels se sont enchaînés l’an dernier pour la plupart des grands établissements européens, après une année 2021 qui avait déjà été historique.
Certes, le sauvetage de Credit Suisse par UBS, après la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) et d’autres banques régionales américaines, a quelque peu gâché la fête. Mais les malheurs de Credit Suisse ainsi que ceux de Signature Bank ou de First Republic ne sont déjà plus que de lointains souvenirs. Les résultats du premier trimestre restent pour la plupart de bonne facture. En France, BNP Paribas est sur le point de racheter Orange Bank. Et chez nous, Degroof Petercam suscite la convoitise de plusieurs acteurs étrangers.
Trop de banques
Business as usual ? Oui et non. Si le secteur bancaire a bien traversé les crises de ces dernières années, il est confronté à présent à plusieurs menaces sous-jacentes. Comme le rappelle l’économiste Bernard Keppenne (CBC), les banques ont pleinement joué leur rôle de courroie de transmission dans l’économie durant la crise sanitaire et puis la crise de l’énergie.
“Que ce soit en restant disponibles via leurs canaux numériques ou en prolongeant les crédits aux entreprises et aux ménages, elles ont aidé les clients à passer le cap.” Mais, embraie-t-il, “il y a trop de banques en Europe. La reprise de Credit Suisse par UBS est certes un cas particulier. Néanmoins, cela accroît la pression sur les acteurs du secteur pour se consolider. Les moyens nécessaires pour fonctionner ne font qu’augmenter. Les investissements dans le digital sont énormes. L’aspect réglementaire devient de plus en plus contraignant. Et le coût de la main-d’œuvre a fortement augmenté sous l’effet de l’inflation. Tout cela rend nécessaire un mouvement de consolidation synonyme de synergies et de répartition des coûts sur une base de clients plus large”.
C’est donc cet effet de taille lié à l’importance qu’ont pris le poids réglementaire et la transformation numérique qui explique par exemple pourquoi un Degroof Petercam suscite la convoitise ou pourquoi BNP Paribas s’intéresse à un acteur tel que la filiale bancaire d’Orange? “Complètement, acquiesce Bernard Keppenne. Surtout que la transition vers une économie plus durable demande aussi beaucoup de moyens humains et financiers.”
Le moteur ralentit
Mikael Petitjean, économiste en chef auprès du gestionnaire d’actifs Waterloo Asset Management et professeur à l’UCLouvain, partage cette analyse qu’une augmentation des moyens nécessaires pour faire tourner une banque pousse à la consolidation du secteur en Europe. “Cette dynamique de consolidation est continuelle mais elle est renforcée par le poids de la réglementation et du contrôle prudentiel. Le risque est de freiner la concurrence et l’innovation dans le secteur, les grandes banques gobant les nouveaux entrants.” Selon lui, il n’y a pas assez de nouveaux acteurs. “D’ailleurs, la question se pose aujourd’hui de savoir comment assurer la stabilité financière qui peut être mise en péril par les banques systémiques, tout en encourageant l’entrée et surtout le développement de nouveaux acteurs innovants et indépendants.”
C’est précisément pour des raisons de stabilité financière que la BNB a dernièrement décidé de demander aux banques du pays de réactiver leur coussin de fonds propres “contra-cycliques”, histoire de pouvoir faire face à d’éventuels retours de manivelle.
Le repli de l’inflation se confirme. Merci la BCE et la solide remontée des taux!
“On pense notamment à la dépréciation mécanique de toutes les obligations que les banques détiennent en portefeuille et qui pourrait se matérialiser en cas de crise de liquidité comme ce fut le cas pour SVB aux Etats-Unis”, pointe Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG de Lille. Il s’agit par ailleurs aussi d’éviter de se retrouver coincé dans un ralentissement économique qui serait plus douloureux que prévu.
Certes, le repli de l’inflation se confirme. Merci la BCE et la solide remontée des taux! Mais les prêts immobiliers chutent. Les faillites augmentent. Et l’Allemagne, qui est notre principal partenaire commercial avec les Pays-Bas, est en récession depuis octobre. L’OCDE (le club des pays riches) anticipe une croissance nulle pour la locomotive allemande en 2023 et le FMI prédit une récession avec un recul de 0,1%. Ce qui veut dire qu’il y a un risque de voir les mauvais crédits augmenter. Risque qui, pour Eric Dor, est d’ailleurs “un des dangers les plus importants pour les banques belges”. D’où la demande de la BNB de mettre davantage d’argent de côté pour faire face à des pertes qui résulteraient de défaut des clients sur leurs prêts.
Fin des prêts géants
A ces dangers liés au ralentissement économique doublé d’une course à la taille s’ajoute “un autre facteur déstabilisant”, selon Eric Dor: la fin progressive des prêts géants offerts par la BCE (dans le jargon, les TLTRO). “C’est une source de financement bon marché qui disparaît pour les banques commerciales, indique l’économiste. Ce qui veut dire aussi qu’elles ne gagnent plus rien en remplaçant l’argent emprunté via les TLTRO auprès de la BCE. Cette possibilité de gain automatique a disparu. Sans compter que ce besoin de liquidité doit être comblé soit par des prêts interbancaires au taux du marché soit par des émissions obligataires qui coûtent plus cher.”
“Dire que les banques se préparent à vivre des semestres nettement plus compliqués est un euphémisme.”
Bernard Keppenne
Au total, ce sont pas moins de 476,8 milliards d’euros qui remontent à l’énorme tranche accordée en 2020 en plein covid, et 29,5 milliards volontairement à l’avance sur d’autres tranches, qui ont été remboursés le 28 juin dernier par les banques de la zone euro à leurs banques centrales nationales. “Pour les banques concernées, ce remboursement est un choc qui diminue la liquidité et qui pourrait même devenir un problème pour certaines banques fragilisées”, avertit Bernard Keppenne. Car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. En effet, pour certaines banques, en particulier les banques italiennes, ce mécanisme permettait d’avoir des liquidités sans trop difficulté.
“Après avoir engrangé d’excellents résultats ces dernières années, dire que les banques se préparent à vivre des semestres nettement plus compliqués est un euphémisme”, estime l’économiste de CBC. Ce qui complique la vie de nos banquiers en Belgique, c’est aussi la pression du politique et des clients pour obtenir une meilleure rémunération de l’épargne. L’aile gauche de la majorité fédérale voudrait lier le taux du livret au taux sur les dépôts à la BCE, fixé actuellement à 3,5%. But? Forcer les banques à se montrer plus généreuses envers les épargnants via une loi. Pas d’accord! , rétorquent la BNB et la BCE pour qui pareille initiative présente un risque pour la stabilité du secteur financier du pays.
Dans une opinion récemment parue dans le journal L’Echo, l’économiste Etienne de Callataÿ estimait d’ailleurs à ce propos que l’argument de la BNB selon lequel “les taux incroyablement bas” sur les livrets sont la contrepartie des bas taux hypothécaires à taux fixes qui ont été octroyés ces dernières années” a de quoi “faire paniquer”. Car cela voudrait dire que nos banques sont loin d’être solides. Info ou intox?
“Il y a effectivement des banques qui ont été extrêmement agressives et ont octroyé des crédits sur 20 ans à des taux de 1,20%, voire inférieurs. La question est de savoir comment le risque de taux sur ces prêts a été couvert”, note Mikael Petitjean qui ajoute: “Depuis la fin 2011, le taux à 10 ans a grimpé de 3% environ mais le taux à court terme, qui est directement influencé par la BCE, a remonté de 4%. On comprend mieux la résistance des banques commerciales face à la remontée des taux qu’elles appliquent sur leurs dépôts”. De fait, si certains acteurs ont lâché du lest ces dernières semaines et annoncé des hausses de taux (Belfius, Keytrade, Deutsche Bank, Triodos, MeDirect, KBC, BNP Paribas Fortis…), les rendements offerts ne dépassent généralement pas la barre des 2%, et restent même inférieurs à 1% pour les comptes ordinaires.
En outre, ces hausses se basent essentiellement sur la prime de fidélité, qui reste très conditionnelle. Preuve que la fête est finie pour les banques, qui auraient donc raison de se montrer radines? Oui, sauf si la BCE continue de “régaler” en leur permettant de se faire une belle marge sans risque entre, d’une part, les taux sur les livrets de clients inertes (qui ne changent d’office pas de banque) et, d’autre part, les taux sur les dépôts à la BCE. Et cela, le temps qu’elles voient le poids de leurs prêts à long terme à bas taux sensiblement diminuer.
Craintes autour de l’immobilier commercial
Comme le précise Mikael Petitjean, des craintes se font également jour à propos de l’immobilier commercial. “Ces craintes ne sont pas infondées et elles sont liées aux conséquences de la crise sanitaire et de la remontée très brutale des taux d’intérêt. Dans une enquête récente de Bank of America, presque 50% de gestionnaires de fonds internationaux redoutent un accident dans l’immobilier commercial, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. A l’heure actuelle, les craintes sont cantonnées dans l’immobilier non résidentiel et c’est avant tout le segment du marché des bureaux qui souffre le plus aux Etats-Unis. L’indice de Green Street a perdu 17% par rapport à son niveau de septembre 2007, avant la crise financière. Il est encore loin de son niveau le plus bas enregistré au milieu de l’année 2009 mais l’ampleur de la chute depuis avril 2022 est sévère. Elle approche 30%.”
“Le test de résistance des banques publié par la Réserve fédérale envisage d’ailleurs un scénario catastrophe dans lequel les prix de l’immobilier commercial subissent une chute de 40%, avec une attention particulière portée sur les bureaux et le commerce de détail. En réalité, cette chute est déjà presque une réalité pour les bureaux. Les commerces résistent mieux et sont en baisse de 15% depuis le milieu de l’année 2022. Quand on regarde l’évolution des performances boursières par secteur aux Etats-Unis, l’immobilier s’est classé 10e sur 13 secteurs du S&P 500 en 2022, seuls les trois secteurs liés à la technologie ayant fait pire. Ces trois secteurs ont rebondi et occupent les trois premières places, mais l’immobilier reste à la huitième place.”
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