La BCE maintient ses taux à 2% : stabilité en surface, incertitudes en profondeur

Christine Lagarde © Belga

Alors que la Banque d’Angleterre assouplit sa politique monétaire, la BCE choisit l’attentisme. Mais derrière cette apparente stabilité se dessinent des perspectives économiques plus contrastées qu’il n’y paraît.

Pour la quatrième fois consécutive depuis juillet, la Banque centrale européenne a maintenu jeudi son taux de dépôt à 2%. Une décision largement anticipée par les marchés, qui contraste néanmoins avec le choix de la Banque d’Angleterre de réduire son taux directeur à 3,75% le même jour.

Cette divergence de trajectoires entre les deux institutions illustre les dynamiques différentes à l’œuvre de part et d’autre de la Manche. Tandis que l’inflation britannique reste élevée à 3,2% mais en baisse, la zone euro bénéficie d’une “dynamique des prix plus équilibrée”, selon les termes de l’institution de Francfort.

Des prévisions revues qui disent beaucoup

Si la décision de maintenir les taux était attendue, les nouvelles projections économiques de la BCE révèlent une lecture plus nuancée de la situation. L’institution a révisé à la hausse ses prévisions d’inflation pour 2026, à 1,9% contre 1,7% précédemment. En cause : la persistance de prix élevés dans le secteur des services, qui continue de peser sur la trajectoire de désinflation.

Pour 2027 et 2028, la BCE table respectivement sur une inflation de 1,8% et 2%, confirmant que l’objectif des 2% devrait être atteint “à moyen terme”. Un horizon temporel volontairement flou qui laisse à Christine Lagarde toute la latitude nécessaire pour ajuster le cap en fonction des données économiques.

Côté croissance, les perspectives sont également revues à la hausse. Le PIB de la zone euro devrait progresser de 1,2% en 2026, soit 0,2 point de plus que les estimations de septembre, puis atteindre 1,4% en 2027 et 2028. Cette révision s’appuie notamment sur la vigueur attendue de la demande intérieure.

L’Allemagne, encore et toujours

L’efficacité du plan de relance budgétaire allemand sera déterminante pour ces prévisions. Après trois années de marasme économique, la première économie de la zone euro doit impérativement retrouver des couleurs. Les réformes promises pour relancer les entreprises sont scrutées de près par Francfort, qui sait que sans rebond allemand, la dynamique de croissance européenne restera fragile.

Les récentes avancées diplomatiques autour du conflit ukrainien pourraient également jouer un rôle. Si des perspectives de paix ou de cessez-le-feu se concrétisaient, l’effet sur la confiance des entreprises et des ménages pourrait être significatif. Un facteur d’incertitude en moins dans un environnement qui n’en manque pas.

Les menaces venues d’ailleurs

Car l’horizon reste “très incertain”, pour reprendre les mots habituellement employés par la BCE. Plusieurs facteurs externes pèsent sur les perspectives de la zone euro.

La politique commerciale américaine inquiète particulièrement. La hausse annoncée des droits de douane pourrait peser lourdement sur les exportations européennes. Parallèlement, les nouvelles baisses de taux attendues de la Réserve fédérale américaine risquent d’entraîner une appréciation de l’euro face au dollar. “Cela pourrait conduire à apprécier encore l’euro face au dollar au détriment des exportations de la zone euro et de la croissance”, prévient Eric Dor, directeur des études économiques de l’IESEG School of Management. Cette double pression – protectionnisme américain et appréciation monétaire – pourrait venir contrarier les prévisions de croissance pourtant optimistes de la BCE.

Quelle trajectoire pour les taux ?

Plutôt que de livrer des indications claires sur l’évolution future des taux, Christine Lagarde devrait une nouvelle fois évoquer jeudi la fameuse “balance des risques”, tant à la hausse qu’à la baisse sur les prix. Une formulation prudente qui lui permet de garder toutes les options ouvertes.

Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a toutefois déclaré à Bloomberg partager l’anticipation des marchés d’une prochaine hausse des taux après le statu quo actuel, sans en préciser la date. Un signal intéressant qui suggère que le cycle de baisse des taux pourrait être terminé. Michel Martinez, économiste Europe chez Société Générale, va plus loin en anticipant une première hausse des taux en décembre 2026, puis une autre à la mi-2027. Sa prévision repose sur une inflation attendue “significativement au-dessus de 2%” entre 2027 et 2029.

Une prudence qui s’explique

Dans ce contexte mouvant, la prudence de la BCE se comprend. L’institution marche sur une ligne de crête : maintenir une politique monétaire suffisamment accommodante pour soutenir la croissance, tout en restant vigilante face aux risques inflationnistes.

Le choix du statu quo reflète cette double préoccupation. Il permet d’attendre que se dissipent certaines incertitudes – sur l’Ukraine, sur la politique commerciale américaine, sur la trajectoire de l’économie allemande – avant de s’engager dans une nouvelle direction. “L’orientation des taux, comme celle de l’inflation, reste donc très incertaine”, résume Eric Dor. Une formule qui pourrait bien définir la politique monétaire européenne pour les mois à venir : guidée par les données, décidée réunion après réunion, sans vision à long terme clairement affichée.

Une approche pragmatique donc…

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