Ethias: beaucoup de bruit pour rien
Le gouvernement chercherait-il à céder sa participation de près de 32% dans Ethias? Non. Alors pourquoi tout ce bruit?
Voici quelques jours, nos confrères du Tijd et de L’Echo publiaient un article au titre tonitruant: “L’Etat fédéral envisage de céder ses parts dans Ethias”, provoquant évidemment bien des remous dans le landerneau liégeois, et au-delà.
Alors, Ethias à vendre? Cette annonce est pour le moins prématurée, sinon incorrecte. D’abord, ce n’est pas le gouvernement mais seulement l’un ou l’autre de ses membres, ou l’un ou l’autre intermédiaire en manque de dossier, qui caresseraient l’idée peut-être, un jour, de vendre l’assureur. Mais d’autres y sont farouchement opposés. Et de toute façon, le projet n’est ni mûr, ni nécessairement bon. Alors, qu’en est-il exactement?
1. Le fédéral veut-il vendre maintenant?
Soyons clair: aujourd’hui, Ethias n’est pas à vendre et le gouvernement ne s’est jamais réuni et n’a jamais mandaté une banque pour approcher des repreneurs. L’article de nos confrères est le reflet de deux éléments.
Le premier est un galop d’essai réalisé notamment, nous dit-on, par un intermédiaire proche du Premier ministre Alexander De Croo, qui aurait informellement contacté certains acquéreurs potentiels pour sonder leur intérêt éventuel. Les assureurs, qui sont des acteurs qui ont bien résisté à la crise, éveillent les appétits. On se rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, certains voulaient mettre la main sur Ageas.
Le second est que l’Etat fédéral, et son bras financier, la SFPI, passent régulièrement en revue leurs actifs, surtout lorsque ceux-ci se portent bien, ce qui est le cas d’Ethias. “On doit toujours regarder le marché et voir s’il y a de l’intérêt pour Ethias”, a expliqué le ministre des Finances et vice-Premier Vincent Van Peteghem. Koen Van Loo, le patron de la SFPI, interrogé en commission des Finances, a abondé: “C’est le rôle de la SFPI d’examiner en temps utile les options stratégiques possibles, mais il n’y a pas d’instruction qui vise à vendre Ethias“.
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Ce n’est pas la première fois que la SFPI fait le tour du propriétaire (il avait été réalisé également lors du gouvernement précédent), mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle veuille vendre. C’est d’autant moins vrai que le sujet n’avait pas encore été abordé au sein du gouvernement. D’où la stupéfaction du vice-Premier Pierre-Yves Dermagne, qui dit avoir “bondi” à la lecture de la presse du matin, et qui a réagi illico sur Twitter: “Le dossier de la vente d’Ethias ne figure pas dans l’accord gouvernemental. Croyez-vous qu’il est temps de désinvestir? Si le projet atterrissait sur la table du gouvernement, ce serait une fin de non-recevoir”.
On ajoutera que parmi les Régions, autres actionnaires, l’idée de vendre n’est pas non plus d’actualité. Du côté de la Région wallonne, de Elio di Rupo (PS) à Willy Borsus (MR) en passant par Stéphane Hazée (Ecolo), tous ont été catégoriques: pas question de céder sa part dans Ethias. Il y a davantage de circonspection du côté de la Région flamande où l’on avait déjà dit, par le passé, que cette participation dans la compagnie d’assurance était “temporaire”. Mais une chose est sûre: le dossier d’une vente n’est pas sur la table aujourd’hui.
2. Un lien avec l’affaire Nethys?
On nous jure la main sur le coeur que cette sortie au moment même où l’affaire Nethys s’enflamme est une coïncidence. Disons alors que le hasard fait bien les choses. Certains, au Nord du pays, disent craindre en effet qu’Ethias se positionne comme un nouveau Nethys, grâce en partie à l’argent flamand. On voit d’ici l’efficacité qu’aurait ce slogan politique.
L’Etat fédéral, et son bras financier, la SFPI, passent régulièrement en revue leurs actifs, surtout lorsque ceux-ci se portent bien. Ce qui est le cas d’Ethias.
C’est vrai que, par la force de liens historiques, Nethys et Ethias se retrouvent dans certaines participations (Liege Airport ou le groupe informatique NRB, par exemple) et certains marchés (l’informatique encore, avec NRB contrôlé par Ethias et Win, filiale de Nethys, ou les fonds de pension avec Ethias Pension Fund et Ogeo Fund de Nethys, etc.). Des rapprochements seraient donc envisageables. Mais ce serait bien mal connaître Ethias et son management actuel de prétendre qu’ils veulent reconstruire un Nethys bis.
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Au contraire, Ethias a une stratégie de croissance plutôt axée sur la Flandre, où le groupe a davantage de potentiel de développement, et renforce ses liens avec tous les pouvoirs publics en respectant scrupuleusement les équilibres du pays: Ethias a ainsi participé aux financements de la reprise en aidant la PMV flamande ainsi que la SRIW wallonne et finance.brussels.
3. Ethias pourrait-elle être vendue un jour?
Les actionnaires publics qui s’étaient portés au chevet d’Ethias pour renflouer l’entreprise fragilisée par la crise de 2008 avaient promis de ne pas vendre jusqu’en 2019. Ils ont renouvelé leur pacte qui court jusqu’en 2026, mais le nouvel accord donne “aux actionnaires un droit de préemption en cas de sortie de l’un d’entre eux”, précise le porte-parole d’Ethias. En théorie, l’Etat fédéral pourrait donc sortir et sa participation être rachetée par une Région, ou les deux. Et si celles-ci n’étaient pas intéressées, un processus de cession à un tiers pourrait être envisagé. En théorie.
Car en premier lieu, ce tiers devrait être belge. Tant le patron de la SFPI que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem ont dit qu’il était impératif de conserver le pouvoir de décision en Belgique.
Alors, vendre à Belfius? Ce serait étonnant que l’Etat vende de la main droite une participation qui serait rachetée, de la main gauche, par Belfius, banque d’Etat. En outre, stratégiquement, cela ferait encore pencher davantage Belfius dans l’assurance, alors qu’elle a déjà une importante filiale dans le secteur. A Ageas? Rapprocher ces deux grands assureurs belges poserait alors inévitablement un problème de position dominante, et l’Europe imposerait des cessions…
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Et puis tant stratégiquement que financièrement, le stand alone d’Ethias paraît être la meilleure option. Fort bien redressé par Philippe Lallemand et ses équipes, l’assureur liégeois devrait reprendre le versement de dividendes à ses actionnaires, dès que la Banque nationale aura, ce qui ne va pas tarder, publié une nouvelle circulaire qui donnera son feu vert au paiement de dividendes pour les assureurs disposant d’un ratio de solvabilité suffisamment élevé. Ce qui est le cas d’Ethias qui flirte avec les 190%.
Et ces dividendes sont généreux. Ethias a déjà provisionné, au titre de 2019, pas moins de 100 millions d’euros de dividendes, soit la moitié de son bénéfice 2019. Et comme le bénéfice 2020 sera au moins normalement du même tonneau, une coquette somme de 200 millions sera versée aux actionnaires. L’Etat fédéral, la Région wallonne et la Région flamande étant partie prenante du capital à hauteur de 31,66% chacun (les pouvoirs locaux, actionnaires historiques, regroupés dans Ethias Co, ne détiennent plus que le solde, soit 5% des actions), ils se verront donc recevoir chacun une soixantaine de millions, somme qui pourra venir opportunément réduire le déficit budgétaire. L’Etat devra donc faire le calcul: soit vendre sa participation et empocher (selon les estimations qui valorisent Ethias entre 2,1 et 3 milliards) entre 700 millions et 1 milliard. Montant qu’il devra utiliser, règles européennes obligent, pour réduire sa dette. Soit toucher tous les ans une trentaine de millions de dividendes (et davantage, avec le temps) qui, eux, peuvent venir réduire le déficit et être utilisés avec plus de liberté.
On le voit, ce coup de sonde a provoqué beaucoup de bruit et nécessité de convoquer, chez Ethias, un conseil d’entreprise pour rassurer sur la stratégie, la santé, et la stabilité de l’actionnariat du groupe. Un peu de temps perdu. Et beaucoup de bruit pour rien.
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