Et si ChatGPT remplaçait votre banquier?

Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Et si demain, ce n’était plus vous qui choisissiez votre banque, mais l’IA ? Les assistants virtuels bouleversent la relation client et redéfinissent le modèle économique du secteur. Au point pour ChatGPT de devenir le banquier du futur ? Bienvenue dans l’ère de la banque IA.

Bruxelles, 2030. Acheter un nouveau grille-pain, réserver un hôtel, planifier des vacances… : le shopping se joue désormais dans la conversation que vous entretenez avec votre agent IA. Vous ne voyez plus les produits, ils vous sont recommandés par un assistant virtuel qui connaît vos goûts mieux que vous et qui, parfois, sans que vous le sachiez, est rémunéré pour orienter vos choix.

Pour vos finances, même chose. Ce n’est plus vous qui choisissez votre banque, mais l’IA. Vous ne tapez plus “compte d’épargne” sur Google, vous ne cliquez plus sur dix liens, vous ne comparez plus les taux sur trois sites et ne vous subissez plus les publicités ciblées qui vous suivent pendant des jours. Non, vous dites simplement à ChatGPT : “Trouve-moi un compte d’épargne qui rapporte”, et en quelques secondes, la réponse tombe : claire, personnalisée et sans publicité. Ce n’est plus la banque qui vient à vous, mais l’IA qui décide pour vous à quelle banque vous vous adressez.

De la science-fiction?

Impensable ? N’en soyez pas si sûr. “L’arrivée des agents conversationnels marque une nouvelle révolution dans la relation entre les banques et leurs clients. Leur manière de rechercher des produits et services bancaires est déjà en train de changer”, plante Nico Vincent, associé fondateur du cabinet de conseil Sailpeak. C’est que ChatGPT et ses équivalents (Perplexity, mode IA de Google, Copilot, etc.) prennent une place croissante dans notre quotidien quand il s’agit de demander un conseil. Au point de forcer les banques à s’adapter. “Pour l’instant, cela prend la forme de chatbots intégrés aux applications, enchaîne Nico Vincent.

Mais demain, ce sera sans doute un véritable assistant bancaire, capable de converser par la voix, relié à l’application et au compte du client.” L’idée est simple : remplacer votre interface traditionnelle. “Au lieu de cliquer sur des boutons, on parlera à son banquier virtuel, qui saura comprendre vos besoins, anticiper vos questions et vous proposer les produits les plus adaptés”, prolonge Nico Vincent, parlant d’une expérience bancaire qui sera alors devenue entièrement conversationnelle, instantanée et personnalisée.

Project Mercury

Preuve que la banque conversationnelle prend le pouvoir dans les banques : le projet Mercury. OpenAI, la maison mère de ChatGPT, a recruté plus de 100 anciens banquiers de Wall Street pour créer une IA capable de réaliser des tâches que les jeunes banquiers d’affaires mettaient parfois des années à maîtriser.

Autre exemple tout aussi parlant : JP Morgan. La plus grande banque des États-Unis mise depuis longtemps, et massivement, sur l’intelligence artificielle pour accroître la productivité de ses équipes et limiter la croissance de ses recrutements. Non pas que son activité décline, bien au contraire. Le groupe dirigé par Jamie Dimon, qui affiche des bénéfices record, a fait de l’IA un levier stratégique à part entière, intégré à tous les niveaux de son organisation : de la gestion du risque à la détection de fraude, en passant par l’analyse de contrats ou la personnalisation des offres clients. Chaque semaine, quelque 150.000 employés utilisent un modèle interne d’IA pour les aider. “Dans certains cas, nous avons réduit nos effectifs, économisé du temps et de l’argent. Dans d’autres cas, nous avons simplement amélioré le service”, confiait récemment Jamie Dimon, dans un entretien accordé à l’agence Bloomberg.

Kate, Ida, Samy…

Améliorer le service client grâce à des assistants virtuels : c’est aussi l’objectif des banques en Belgique. KBC s’appuie sur Kate qui fête ses cinq ans ce mois-ci, ING a lancé Ida, tandis que BNP Paribas Fortis développe Samy. Leur rôle : mieux comprendre les intentions des clients et y répondre de manière personnalisée. Chez BNP Paribas Fortis, par exemple, “Samy est déjà capable de répondre à plus de 300 questions”, souligne Valéry Halloy, porte-parole de la banque.

Plus largement, l’usage des technologies génératives (GenAI) s’est généralisé dans le secteur en Belgique. Selon le dernier baromètre de Sailpeak, réalisé avec Fintech Belgium, 85% des banques et assureurs belges disposent en effet aujourd’hui d’équipes centralisées dédiées à l’intelligence artificielle, toutes reconnaissant son rôle clé pour gagner en efficacité. Un point sur lequel le cabinet de conseil McKinsey estime, dans son dernier rapport annuel sur l’industrie bancaire, que la mise en œuvre de l’IA dans le secteur pourrait permettre de réduire certaines catégories de coûts jusqu’à 70%.

Seul hic, une fois les investissements pris en compte, les économies nettes se situeraient plutôt entre 15 et 20%, avertit le cabinet de conseil, qui souligne que l’impact de ces économies, bien que positif, ne sera pas “durable”. Manière de dire que le temps presse. “Les banques belges, comme leurs homologues européennes, savent en effet qu’elles doivent agir vite pour ne pas rater le train”, observe Frédéric Van Weyenbergh, ancien partenaire du bureau bruxellois de McKinsey et cofondateur de la start-up quantonomiQs. Les écarts entre leaders et suiveurs vont s’accentuer. “Les plus avancées bénéficieront de marges accrues, tandis que les retardataires risquent de voir leurs bénéfices et leur rentabilité s’effondrer”, dit-il.

Adieu la loyauté

Partout et y compris chez nous, l’impact économique de l’IA sur l’industrie bancaire est bien palpable. “D’un côté, situe Nico Vincent, les banques font des économies en automatisant les tâches répétitives – demandes de code PIN, résiliation de carte, etc. De l’autre, la concurrence sur les prix risque de s’intensifier.” Au total, l’effet net dépendra de l’équilibre entre ces gains d’efficacité et la pression concurrentielle. “Si les gains de productivité et la réduction des coûts vont rester les leviers principaux à court terme, les agents IA, en revanche, vont radicalement transformer la manière dont les clients choisissent et comparent les offres sur le long terme. Ils faciliteront la mobilité bancaire en réduisant les frictions liées au changement de banque”, insiste Nico Vincent.

Conséquence directe : adieu la loyauté. Un vrai cauchemar pour les banquiers, avec un risque sérieux de “désintermédiation”, prolonge Nico Vincent. Pourquoi ? “Parce que le client ne parlera peut-être plus à ‘son’ assistant bancaire, mais à un assistant universel qui discutera ensuite avec les assistants des différentes banques. On pourrait alors voir émerger de véritables ‘supermarchés de la finance’, où des courtiers IA mettraient en concurrence les offres des banques via leurs API, comme le font déjà certains comparateurs. Les clients deviendront ainsi plus éduqués, plus autonomes et plus exigeants, ce qui exercera une pression supplémentaire sur les prix et sur les marges”, explique Nico Vincent.

Profits menacés

Cette pression supplémentaire sur les prix et sur les marges devrait, selon McKinsey, se marquer de différentes manières. D’abord, comme le dit Nico Vincent, les agents IA compareront en permanence les offres et orienteront les consommateurs vers les fournisseurs les plus compétitifs. Le modèle de la relation bancaire, fondé sur la vente croisée de produits pourrait s’en trouver fragilisé. En outre, les interactions directes entre clients et conseillers diminueront, et les services avancés comme la gestion de portefeuille deviendront accessibles à un plus grand nombre, tirant les prix vers le bas.

Aussi McKinsey anticipe-t-il une baisse moyenne de 9% des sources de bénéfices des banques, soit pas moins de 170 milliards de dollars à travers le monde. Exagération ? Seule certitude, toujours selon McKinsey, 23% des consommateurs interrogés dans une dizaine de pays utilisent déjà des outils d’IA pour gérer leurs finances. Une tendance que le dernier baromètre mensuel des investisseurs d’ING confirme : une personne sur cinq interrogée par la banque affirme avoir déjà sollicité des outils d’IA comme ChatGPT ou Copilot pour obtenir des conseils en investissement.

Plus significatif encore : près d’un quart des répondants envisagent de le faire prochainement. Une preuve de plus que la finance est entrée dans l’ère de l’IA. “C’est très frappant”, observe Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique pour qui il est clair que l’IA va jouer à l’avenir un rôle important dans le monde de l’épargne, notamment. Si ce n’est déjà le cas. “Les clients arrivent déjà mieux préparés, armés de leurs assistants, constate Nico Vincent. Certains enregistrent même leurs conversations avec leur banquier pour les soumettre ensuite à ChatGPT afin d’obtenir un second avis. Le conseiller humain devra donc être plus pédagogue, plus transparent et mieux formé que jamais.”

L’IA agentique

En réalité, le secteur financier est entré dans une nouvelle phase : celle de l’IA agentique. De quoi s’agit-il ? D’une génération d’IA qui prolonge et dépasse les apports de l’IA générative. Si cette dernière permet de réduire le recours à l’intervention humaine (Kate, qui a intégré la technologie ChatGPT, gère aujourd’hui de façon autonome sept questions sur dix posées par les clients, ce qui équivaut à la charge de travail de 300 équivalents temps plein), l’IA agentique va plus loin : elle introduit des systèmes capables de prendre des décisions et d’exécuter des tâches complexes de bout en bout. Concrètement, un agent IA peut par exemple gérer l’intégralité d’une demande de crédit : analyser le dossier, prendre la décision, effectuer les formalités administratives et communiquer avec le client.

Comme le souligne Frédéric Van Weyenbergh, “l’IA agentique n’est plus une simple évolution technologique pour les banques, mais une force de disruption majeure”. Selon lui, une véritable guerre des banques se prépare. “Aujourd’hui, la question n’est plus : quel produit de masse proposer au meilleur prix ? Mais qui offre le produit le plus attractif au coût le plus compétitif ?”, prévient-il tout soulignant que l’IA ne transforme pas seulement le fonctionnement interne des banques. Non, elle bouleverse d’ores et déjà aussi la manière dont les consommateurs choisissent et gèrent leurs produits financiers.

“Des initiatives comme le commerce agentic de Visa ou de Mastercard montrent même une tendance plus large, avec des chatbots qui ne fournissent pas seulement des réponses utiles mais peuvent également initier des actions, comme la réservation d’un hôtel”, observe Valéry Halloy chez BNP Paribas Fortis, qui ajoute que cette capacité d’agir pour le client “impose une réflexion approfondie sur la relation entre les marques et les consommateurs”, ainsi que sur la manière dont ces interactions peuvent se se faire “en toute sécurité”.

Parcours d’achat

Belfius constate que les utilisateurs passent plus rapidement à une décision d’achat via ChatGPT. © Belgaimage

Entre disruption technologique et transformation des usages, l’IA chamboule autrement dit la manière dont les acteurs du monde financier doivent interagir avec leurs publics. Exemple chez Belfius où l’on prend très au sérieux l’importance croissante de ChatGPT – et de ses alternatives – en tant qu’outil pour les consommateurs dans leur recherche de produits financiers. “Bien que le volume total de recherches via ChatGPT soit actuellement encore limité par rapport aux moteurs de recherche classiques, nous constatons que les utilisateurs passent beaucoup plus rapidement de la phase de comparaison à une décision d’achat par ce biais. Cela rend ce canal particulièrement pertinent pour le client, et par conséquent aussi pour nous”, indique la porte-parole Ulrike Pommée.

Comment entretenir le lien quand les clients obtiennent l’information sans qu’ils aient besoin d’aller ailleurs ? Comment préserver une relation de qualité tout en s’adaptant aux nouvelles attentes ? Pas simple. “Ceux qui comprennent les nouvelles technologies et n’ont pas peur de changer leurs habitudes – par exemple quitter leur banque historique – se tourneront naturellement vers la plus efficace et la plus compétitive, celle qui tire le meilleur parti de l’intelligence artificielle”, avertit Frédéric Van Weyenbergh. Dans ce contexte, les fintechs représentent une véritable menace pour les acteurs traditionnels. “Parce qu’elles sont nées dans la technologie et en exploitent tout le potentiel dans leurs modes opératoires. Revolut, par exemple, incarne parfaitement cette révolution : son succès est colossal et séduit un large public grâce à une expérience client fluide, claire et innovante.”

Nouvelles stratégies

L’IA ne se contente pas d’automatiser, elle redéfinit la concurrence. © Getty Images

Au fond, le constat est clair : l’IA ne se contente pas d’automatiser, elle redéfinit la concurrence. Pour Frédéric Van Weyenbergh, elle impose de repenser la distribution, la relation client et même la segmentation. Selon lui, il faut carrément abandonner les stratégies de masse au profit de stratégies hyper ciblées.

“Auparavant, le coût de la personnalisation obligeait de différencier l’offre client (du standard au sur-mesure) en fonction du type de client (la valeur de ses avoirs bancaires). L’IA change toute cette logique, l’argument du coût n’est plus relevant : la personnalisation est immédiate, sans coût additionnel.

“En fait, l’IA impose de repenser les modèles de distribution (go-to-client) et de relation client (customer relationship management), en raison de l’hyper-personnalisation quasi-automatique et instantanée de l’offre de produits et de conseil, et de la disparition de la segmentation traditionnelle. Chaque client reçoit désormais une offre unique, qui lui est propre, et le concept de segments de clients standardisés devient caduc.”

“L’IA impose de repenser la distribution, la relation client et même la segmentation.” – Frédéric Van Weyenbergh (quantonomiQs)

Vive le site web !

Face à cette mutation, la question de la visibilité sur les moteurs de recherche IA devient aussi cruciale. Entre les agences bancaires qui disparaissent et les applications mobiles auxquelles ChatGPT n’a pas accès, le site web retrouve des couleurs. Il doit maintenant maîtriser un double mandat : adapter sa découverte à l’ère des moteurs de recherche IA, tout en devenant un outil de conversion hyper efficace. Pour une banque, cela signifie qu’il faut être la référence spontanée quand un client cherche une explication sur un produit financier complexe. Dans le passé, il aurait navigué sur le site, appelé un conseiller ou téléchargé une brochure.

Aujourd’hui, il peut interagir directement avec un agent intelligent alimenté par un LLM, poser ses questions et obtenir des réponses immédiates, parfois même personnalisées selon son profil. Et donc ? “Les modèles de langage comme ChatGPT et d’autres LLM déplacent le marketing du haut de l’entonnoir vers une logique de recherche sans clic, explique Valéry Halloy. Nous estimons qu’au cours des deux prochaines années, une part importante de notre trafic organique pourrait en être affectée. Nous devons donc mener une partie de notre conversation avec les prospects, les clients et même les bots directement au sein des LLM.”

“Les modèles de langage comme ChatGPT déplacent le marketing vers une logique de recherche sans clic.” – Valéry Halloy (BNP Paribas Fortis)

Et le porte-parole de la première banque du pays d’ajouter : “Tout cela est d’autant plus vrai que des plateformes comme Shopify ou Stripe permettent déjà de réaliser des parcours d’achat presque complets dans ces environnements. Nous pensons que ce n’est que le début d’une transformation beaucoup plus large de l’interaction entre le client et le fournisseur de services. Ces LLM viennent s’ajouter aux canaux déjà disponibles pour notre clientèle. Notre objectif reste le même : fournir la bonne information, sur le bon canal, au moment où le client ou le prospect en a besoin.”

S’adapter ou s’effacer

Fournir la bonne information, devenir prescripteur, écrire pour être repris, être correctement cité, c’est exactement ce que recommande Nico Vincent. Pour onboarder de nouveaux clients, il faut optimiser le contenu afin que celui-ci soit compatible avec les algorithmes, c’est-à-dire être capable d’interagir avec les agents intelligents comme ChatGPT, dit-il.

“Les banques doivent optimiser leur contenu pour être capables d’interagir avec les agents intelligents comme ChatGPT.” – Nico Vincent (Sailpeak)

“Il faut revoir le contenu du site pour qu’il soit plus facilement digérable par les LLM : paragraphes courts, tableaux simples, pas de documents PDF à ouvrir, FAQ bien structurées, etc. Ce sont des formats que les LLM aiment bien. Ce qui compte, c’est d’apparaître dans les forums de discussions comme Reddit. Là où il fallait avoir des liens qui pointent sur le site web pour asseoir son autorité vis-à-vis de Google, ces liens n’ont aujourd’hui plus aucun intérêt pour les LLM, contrairement aux citations de la marque et de ses produits dans des discussions.

Des acteurs comme KBC l’ont bien compris et ajustent la structure de leur site web ainsi que son contenu pour les résultats de recherche des LLM. Ce sont ces acteurs-là, qui sauront rendre leurs services capables d’interagir avec les agents intelligents, qui vont prendre une longueur d’avance. Pour les autres, le risque est de se voir marginalisé face à une clientèle de plus en plus connectée, informée et assistée par l’IA.”

Hélas, seuls 6% des sites bancaires analysés par Sailpeak sont préparés à cette transition. Bref, l’IA redonne du pouvoir aux clients, et ce sont les banques les plus attentives et les plus attentionnées qui vont en profiter.

LA NOUVELLE BATAILLE DU DIGITAL BANCAIRE

Pour la deuxième année consécutive, le cabinet bruxellois Sailpeak publie son classement des meilleurs sites web bancaires. L’étude analyse une quarantaine de banques européennes de détail selon cinq critères : découvrabilité en ligne, acquisition de clients et promotion des produits, richesse fonctionnelle, accessibilité et expérience utilisateur.

Résultat, c’est Deutsche Bank qui arrive en tête, tandis qu’ING et KBC se classent respectivement deuxième et troisième meilleur site bancaire en Europe.

L’analyse met en avant cinq tendances majeures, dont l’essor des stratégies de référencement adaptées à l’IA générative (GEO). Le rapport souligne que la performance digitale, combinant visibilité dans les environnements alimentés par l’IA et parcours de conversion sans friction, devient désormais un enjeu stratégique essentiel pour les banques.

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