Eric Dor: “L’État traite Belfius comme une vache à lait”

Eric Dor
Eric Dor (IESEG School of Management) : “L’État traite Belfius comme une vache à lait” © D.R.
Sébastien Buron
Sébastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Alors que le gouvernement envisage d’initier la vente d’une partie de la banque publique dès cet été, l’économiste Éric Dor (IESEG Lille) s’interroge sur les motivations réelles de l’État belge, pointant un risque de décision dictée par des impératifs budgétaires à court terme, plutôt que de répondre à des “considérations stratégiques allant dans l’intérêt de la banque”, dit-il.

Est-ce le bon moment pour vendre un morceau de Belfius ?

D’un point de vue financier, les banques ont plutôt le vent en poupe. Elles sont moins boudées par les marchés que par le passé. De manière générale, leurs cours ont fortement grimpé depuis le début de l’année. KBC a gagné plus de 20 %, BNP Paribas plus de 30 %, etc. De ce point de vue-là, le timing n’est donc pas trop mal choisi.

Est-ce pour autant économiquement et financièrement une bonne idée ?

Tout dépendra du prix. Surtout que les banques de la zone n’en sont peut-être qu’au début de leur appréciation boursière. Il y a peut-être un potentiel d’amélioration supplémentaire. Par ailleurs, on peut craindre que le gouvernement envisage de vendre une partie de la Belfius pour de mauvaises raisons. Une bonne raison serait que la vente réponde à des considérations stratégiques allant dans l’intérêt de la banque. Mais dans ce cas-ci, on a davantage l’impression que l’Etat, qui peine à trouver un consensus pour assainir ses finances publiques, cède à la facilité de vendre des actifs.

À cause de la N-VA qui n’aime pas les entreprises publiques, voyant aussi dans Belfius un symbole fédéral de la Belgique unitaire ?

Depuis longtemps, la N-VA conteste la pertinence d’un actionnariat public des entreprises de manière générale. Peu importe cependant qu’une entreprise soit privée ou publique. Ce qui compte, c’est qu’elle soit bien gérée au profit de ses clients et de la population. Et puis, vu le monde incertain dans lequel nous vivons aujourd’hui, il ne faut pas éluder les questions de souveraineté nationale, bien au contraire. La Belgique souffre tellement d’avoir vendu ses champions nationaux.

Mais souvenons-nous de Dexia…

Il est vrai que l’actionnariat public n’est pas nécessairement une garantie de meilleure gestion ou de moindre risque. On se souvient effectivement de Dexia dont les actionnaires étaient publics ou proches de milieux politiques, avec Arco par exemple. Mais aussi bien Dexia n’a pas été bien gérée, autant ce n’est pas le cas de Belfius. On n’est plus dans le même cas de figure.

De plus, l’État belge emprunte aujourd’hui à un taux d’intérêt inférieur au rendement que lui assure sa participation dans Belfius ?

Effectivement. Vendre Belfius ne changera rien à la solvabilité de l’État. Sa dette brute consolidée va diminuer, mais pas sa dette nette qui restera inchangée. Or les investisseurs en obligations publiques de l’État belge ne sont pas idiots. Je ne pense pas qu’on les abusera en réduisant artificiellement la dette brute par une vente d’actifs.

En somme, le gouvernement considère Belfius avant tout comme une source de revenus faciles, au risque de compromettre sa stratégie à long terme ?

L’exigence de dividende supplémentaire et maintenant une possible privatisation partielle de Belfius constituent effectivement un bel exemple de nuisance que peut avoir un actionnaire public quand celui-ci traite simplement les entreprises qu’il détient, telles que Belfius, comme des vaches à lait à siphonner pour compenser les manquements de sa gestion budgétaire.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content