Crédit à la consommation: achetez maintenant mais prudemment
Inconnue il y a un an, la start-up australienne AfterPay a fait les gros titres après l’annonce de son rachat par Square pour 29 milliards de dollars. Une opération qui confirme surtout le potentiel des fintechs pour les investisseurs, à condition d’éviter les effets de mode.
“Achetez maintenant et payez plus tard” (buy now, pay later, ou BNPL), tel est le leitmotiv des nouveaux acteurs à la mode de la fintech. Situés à la lisière entre le crédit à la consommation et le retour gratuit, Klarna, AfterPay, Affirm et d’autres ont percé durant la crise du coronavirus, profitant de l’engouement pour l’e-commerce. Leur succès ne s’est toutefois pas démenti depuis le début du redémarrage des activités économiques, s’immisçant notamment dans les points de vente physiques. En Bourse, la fintech américaine Square vient ainsi de frapper un grand coup en annonçant la reprise de la start-up australienne AfterPay pour 29 milliards de dollars, quasiment 10 fois plus que sa valeur en mars 2020. Le prix payé par Square, cofondée par Jack Dorsey, comme Twitter, est encore plus impressionnant quand on le compare aux derniers résultats annuels d’AfterPay: revenus de 503 millions de dollars australiens (317 millions d’euros) et perte opérationnelle.
Croissance fulgurante
Square a toutefois accepté de payer le prix fort pour la croissance de la start-up australienne fondée en 2015. Après ses débuts, elle a vu ses revenus quadrupler en 2018, doubler en 2019 et à nouveau en 2020. Pour son exercice 2021, clos fin juin, les analystes misent à nouveau sur un quasiment doublement des revenus à près d’un milliard de dollars australiens.
Une croissance qui s’explique par l’attrait pour sa formule de paiement en quatre fois sans frais pour le consommateur, attirant tout particulièrement les milléniaux, ainsi que par son internationalisation: Nouvelle-Zélande en 2017, Etats-Unis en 2018, Royaume-Uni en 2019 (sous la marque Clearpay), Canada en 2020 et France, Espagne, Italie en 2021 (Clearpay). Ce qui a permis à AfterPay de dépasser les 16 millions de clients au 30 juin.
La start-up tire l’essentiel de ses revenus de la commission de 4% à 6% prélevée sur chaque transaction financée, que cela soit pour un achat en ligne ou dans un magasin. Aux Etats-Unis, AfterPay compte notamment de nombreuses chaînes de prêt-à-porter, l’enseigne d’aménagement intérieur Bed, Bath & Beyond ou la marque d’équipement sportif Lululemon parmi ses partenaires.
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Financements
Les besoins financiers d’AfterPay demeurent assez limités, les formules de paiement en quatre fois s’étalant sur une période de six semaines (avec un versement toutes les deux semaines). En cas de paiement tardif, la société décompte des frais fixes. En France, par exemple, Clearpay impute des frais de 6 euros pour tout versement tardif et de 6 euros supplémentaires si le retard dépasse sept jours. De plus, le compte est bloqué.
Les principaux concurrents de la start-up australienne ont une offre plus élargie. Par exemple, Affirm propose des paiements en plusieurs mensualités avec un taux allant de 0% (uniquement pour crédits très courts) à 30%. Leader du BNPL avec 90 millions de clients, la société suédoise Klarna a développé toute la palette d’options possibles: paiement en trois ou quatre fois sans frais sur une période de quatre à six semaines, paiements différés (à 21 jours en Belgique) pour la vente en ligne et crédits de 6 à 36 mois, mais avec un taux d’intérêt élevé (19,99% aux Etats-Unis).
Fondée 2005 et disposant d’une licence bancaire depuis 2017, Klarna a été valorisée à 45,6 milliards de dollars lors de sa dernière levée de fonds, selon CB Insights. Ce qui en fait la quatrième licorne (non cotée) la mieux valorisée à l’échelle mondiale, derrière Bytedance (TikTok), Stripe et SpaceX.
Menace ou opportunité?
Au sein de Square, AfterPay pourra évidemment davantage se développer. Amrita Ahuja, directeur financier de Square, a ainsi indiqué que la solution BNPL sera intégrée à Seller (payement mobile) et Cash App (compte mobile) à l’image de Klarna qui propose aussi des comptes.
Pour Jay Jacobs, responsable de la recherche et de la stratégie chez Global X ETF, cela menace tout particulièrement les spécialistes des cartes de crédit comme Visa ou Mastercard. “Au lieu de payer un taux d’intérêt de 15% ( sur une carte de crédit, Ndlr), le consommateur peut effectivement ne rien payer” avec les solutions de payement étalé ou différé.
Toutefois, Visa ou Mastercard peuvent aussi profiter du succès du BNPL, les paiements passant très largement par leurs réseaux via les cartes de débit. Le succès de la formule pourrait ainsi accélérer le glissement des cartes de crédit vers celles de débit qui représentent depuis l’année dernière la majorité des paiements aux Etats-Unis. Au cours des neuf premiers mois de son exercice 2021, Visa affiche un recul de 5% des volumes de paiement “crédit” et une croissance de 21% des volumes “débit”.
Concurrence et réglementation
D’ailleurs, tant Visa que Mastercard et American Express planchent sur leur propre offre BNPL. Et ils ne sont pas les seuls: PayPal (déjà très actif), Citi, Fiserv, JP Morgan Chase ou Apple en partenariat avec Goldman Sachs s’intéressent aussi au BNPL.
La concurrence s’annonce donc rude, ce qui pourrait peser sur les revenus. AfterPay facture de 4% à 6% de frais aux commerçants, Klarna jusqu’à 5,99% à comparer, par exemple, à des frais de l’ordre de 1% à 2% pour le traitement des paiements par cartes de crédit. Jusqu’à présent, ces frais élevés n’ont pas pesé sur la popularité du BNPL, les commerçants proposant ces services profitant d’un plus grand intérêt des milléniaux. Mais cet avantage concurrentiel disparaîtra au fur et à mesure que la solution se généralisera.
Enfin, la dernière menace pour cette niche de marché est l’évolution de la réglementation. Au Royaume-Uni, où Klarna est déjà très populaire, la Financial Conduct Authority a d’ores et déjà indiqué qu’elle allait revoir sa réglementation sur le crédit à la consommation pour y inclure le BNPL, notamment concernant le questionnaire obligatoire avant tout crédit.
En Australie, où AfterPay compte plus de 3 millions de clients, les autorités réfléchissent aussi à une évolution réglementaire. Les analystes d’UBS évoquent le risque pour les spécialistes du BNPL de mesures susceptibles d’affecter leur capacité à empêcher leurs commerçants partenaires de répercuter leurs frais aux clients. Ce qui ôterait le principal atout du BNPL pour les clients, à savoir la gratuité.
Confirmation des fintechs
En résumé, pour l’investisseur, miser aujourd’hui sur les spécialistes du BNPL peut s’avérer extrêmement risqué. D’une part, les valorisations sont très tendues. La start-up américaine Affirm Holdings est valorisée à 18 milliards de dollars en Bourse alors qu’elle reste assez largement déficitaire. L’australien Zip Co (Quadpay) vaut plus de 4 milliards de dollars australiens, soit 27 fois ses revenus de 2020 alors qu’il a subi une lourde perte en 2020.
D’autre part, les perspectives sont soumises à de nombreux aléas que les acteurs du BNPL ne maîtrisent pas, comme la concurrence, la réglementation ou le comportement des commerçants.
Cependant, le succès des BNPL témoigne aussi une fois de plus de la percée continue de la fintech en général. Pour Square, la reprise d’AfterPay vise surtout à ajouter un service supplémentaire à sa palette. De même, les collaborations du spécialiste néerlandais des paiements, Adyen, avec AfterPay, Klarna ou Zip Co lui permettent essentiellement d’offrir une gamme complète de solutions.
Valorisations tendues
Nombre de ces fintechs plus établies sont aussi rentables. Adyen a enregistré un bénéfice net de 261 millions d’euros en 2020 sur un chiffre d’affaires de 3,6 milliards, en hausse de 37% bien que sa plateforme de paiement omnicanal ait aussi souffert de la fermeture des magasins durant la pandémie et d’une lourde chute d’activité de ses clients liés au tourisme (Booking, Easyjet, etc.).
Idem pour Square dont les solutions de paiement et de banque mobiles attirent de plus en plus (croissance de 101% en 2020). La fintech de Jack Dorsey est profitable depuis 2019 avec un bénéfice net de 213 millions de dollars l’année dernière.
Très connue de ceux qui achètent en ligne, PayPal est la première fintech mondiale avec des revenus de 21,4 milliards de dollars et un profit net de plus de 4 milliards en 2020. Cependant, la société est valorisée actuellement à plus de 300 milliards en Bourse, 26e capitalisation mondiale, et affiche ainsi un rapport cours/bénéfice attendu de 58. Adyen, Square ou Paysafe (paiements en ligne) s’échangent à plus de 100 fois leurs profits prévus cette année.
Tout investissement ne peut donc s’envisager que dans une perspective de long terme en évitant les effets de mode touchant, par exemple cet été, les BNPL ou Robinhood, l’application de trading dont le cours s’est emballé après avoir été mentionnée sur le forum Reddit Wall Street Bets, réputé pour avoir boosté les cours de Gamestop ou AMC notamment.
L’offre de fonds
L’offre de fonds sur les fintechs est assez récente. Suivant les données de Morningstar, Robeco FinTech D (code Isin: LU1700710939, frais annuels de 1,71%) est le seul fonds avec un historique d’au moins trois ans. Il affiche un rendement annualisé très appréciable de 18,6% depuis sa création en novembre 2017. Fin juin, ses principales positions étaient Paypal, Intuit, Nexi, Nasdaq, Intercontinental Exchange, Adyen, Worldline et Visa. Sur un an, le fonds fintech le plus performant est BlackRock Global Funds – FinTech Fund A2 (code Isin: LU1861217088 ; frais annuels de 1,80%) avec une progression de 46%.
Du côté des fonds indiciels, l’offre se limite à l’Invesco KBW Nasdaq Fintech UCITS ETF (code Isin: IE00BYMS5W68 ; frais annuels de 0,49%) pour les investisseurs belges. L’indice dupliqué, le Nasdaq Fintech, rassemble les 50 principales fintechs cotées aux Etats-Unis avec un spectre assez large et une pondération équilibrée.
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