Bruno Colmant et la monnaie fondante: comment forcer l’utilisation des billets de banque

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Dans “La monnaie fondante”, l’économiste explore la théorie monétaire imaginée en au début du 20ème siècle par Silvio Gesell qui préconisait une sorte de taux d’intérêt négatif sur les billets de banque pour en forcer leur utilisation dans l’économie.

“La monnaie fondante : la plus stupéfiante des révolutions financières”. Tel est le titre du dernier livre de Bruno Colmant, que ce dernier présentait hier midi dans les salons feutrés du Cercle Gaulois, lors d’un déjeuner-conférence en présence de l’ancien ministre de la Justice et des Finances Koen Geens, qui a rédigé la préface et venu présenter l’auteur avec des mots “extrêmement chaleureux”, selon le principal intéressé.

Paru à La Renaissance du Livre, ce dernier opus de Bruno Colmant, professeur à l’l’UCLouvain et à l’ULB et membre de l’Académie Royale de Belgique, met en lumière la théorie monétaire développée en 1916 par l’économiste belgo-allemand Silvio Gesell (1862-1930), personnage “fascinant”, voire “génial”, “ouvrant des pistes intellectuelles inattendues”, écrit Bruno Colmant. Un économiste atypique dont la théorie dite de la “monnaie fondante” consiste à donner une date de péremption aux billets de banque. But ? Forcer leur circulation afin que ceux qui sont thésaurisés perdent irrémédiablement de leur valeur.

Marchandise périssable

Pour Silvio Gesell, la monnaie devait en effet subir un pourcentage d’usure. Elle devait “rouiller” si elle n’était pas utilisée. Comment ? Via un système d’estampillage, c’est-à-dire avec des timbres achetés auprès des bureaux de poste et à coller à date régulière au dos du billet de banque afin que sa valeur nominale reste la même.

Né à Saint-Vith, inspiré par Proudhon, s’inscrivant dans l’école de pensée des économistes physiocrates (par opposition aux mercantilistes), Silvio Gesell estimait que l’argent devait servir l’homme et non le dominer. Il jugeait en effet injuste que quelqu’un puisse imposer le rythme du temps à une autre personne voulant lui vendre des biens ou des services. “Imaginez un vendeur de lait ou d’oeufs qui ont une date de péremption, a illustré Bruno Colmant dans son petit exposé, billet de 20 euros à la main. Par la force des choses, l’acheteur veut faire patienter le vendeur jusqu’au moment où celui-ci est acculé parce que la date de péremption approche, et donc obligé de vendre. Silvio Gesell est donc parti de l’idée qu’il fallait transformer la monnaie en un bien périssable, et ce au rythme du degré d’expiration du panier moyen de la ménagère.”

Ce degré de péremption, Silvio Gesell l’avait à l’époque, sur base de quelques références historiques et de certains constats, évalué à environ un millième par semaine, soit 5,2 % par an. Selon lui, “il fallait donc que les billets de banque perdent donc 5 % de valeur par an, pour que leur vitesse de circulation corresponde à la date de péremption des biens que ces mêmes billets pouvaient acquérir. Il a inventé une sorte de degré de patience que l’acheteur peut imposer au vendeur.” Une dépréciation que Silvio Gesell appelle un tribut, “qui n’est pas la même chose que le taux d’intérêt exogène imposé par les banques sur un billet déposé sur un compte, qui est en fait la récompense pour se déposséder du billet.”

Sujet d’actualité

Si la théorie de Silvio Gesell, “certes imparfaite”, dixit Bruno Colmant, n’a jamais été déployée à large échelle, elle a néanmoins interpellé les plus grands économistes du 20ème siècle. A commencer par Keynes et sa “Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie”, dont l’oeuvre de Silvio Gesell est “l’ombre chinoise”, selon Bruno Colmant.

Plus d’un siècle plus tard, cette théorie de la monnaie qui fond est en tous cas plus que jamais d’actualité. Comme le dit l’auteur, “nous n’en sommes effectivement pas très loin avec une épargne qui ne rapporte plus rien alors qu’elle est oxydée par une inflation dépassant désormais largement ce seuil fatidique de 5 %.”

Rédigé en des termes accessibles, le livre propose une grille de lecture originale du phénomène des taux d’intérêt négatifs. Il intéressera tous ceux qui cherchent à mieux comprendre le concept de “répression financière” que subissent maintenant depuis plus de dix ans les épargnants européens sous l’effet de la politique de taux artificiellement bas voulue par la BCE pour faire tourner l’économie du Vieux-Continent.

Bruno Colmant, “La monnaie fondante – La plus stupéfiante des révolutions financières”, édition la Renaissance du Livre, 155 pages.

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