Marc Danneels
2020 sera-t-elle l’année où la politique monétaire atteindra ses limites?
En dépit des tensions commerciales croissantes et de la détérioration des statistiques macroéconomiques, 2019 fut un millésime boursier “grand cru”. Cela révèle à quel point l’influence des banques centrales sur les marchés financiers est devenue importante.
La réalité économique s’est complètement éclipsée face à la surprise de voir la politique monétaire revenir en soutien des marchés. Dans quelle mesure cette recette fonctionnera-t-elle encore en 2020 ?
Politique monétaire souple
Après un épisode de politique monétaire extrêmement accommodante, qui a certes contribué à combattre les contrecoups de la crise financière, il restait à voir si les banques centrales continueraient à normaliser leur politique de taux d’intérêt en 2019. Ces dernières années, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) ont délibérément maintenu leurs taux directeurs, soit les taux auxquels les banques peuvent emprunter à la banque centrale, à un niveau étonnamment bas afin, entre autres, de stimuler les prêts aux particuliers et aux entreprises.
Dans un contexte de ralentissement économique mondial et de tensions commerciales croissantes, il était sans doute trop tôt pour relever les taux d’intérêt en 2019. Après une remontée progressive des taux vers un niveau “normal” depuis 2016, la Réserve fédérale américaine a mis un terme à cette tendance fin 2018 et a abaissé le taux de base à trois reprises en 2019.
La Banque centrale européenne, qui n’avait pas encore commencé à normaliser sa politique monétaire ces dernières années, est même allée plus loin. En septembre, elle a réduit le taux de dépôt de -0,4 à -0,5 % et a ressorti son “bazooka” en annonçant qu’elle achèterait chaque mois “aussi longtemps qu’il le faudra” pour 20 milliards d’euros supplémentaires d’obligations d’État et d’entreprises, ce qui se traduit par d’importantes nouvelles injections d’argent “frais” sur les marchés financiers.
Fête inattendue pour les investisseurs
Les investisseurs ont naturellement salué le retour (inattendu) de la politique accommodante des banques centrales. L’indice Dow Jones américain s’est envolé de 21 % en 2019 et l’indice Euro Stoxx 50 de 25 %. Même l’indice britannique FTSE 100 a réussi à enregistrer une honorable progression de 11 %, malgré l’incertitude persistante entourant le Brexit. La pression sur les taux d’intérêt a, en outre, également été favorable aux différentes classes d’obligations, qui ont bien profité du retour des banques centrales en mode soutien.
2019 restera donc comme l’année durant laquelle les performances boursières se sont décorrélées de l’économie réelle. Les risques qui ont entraîné la chute des cours boursiers au dernier trimestre de 2018 étaient pourtant toujours là en 2019. Les économies développées ont, par exemple, envoyé des signaux de plus en plus clairs indiquant qu’elles étaient entrées dans la dernière phase du cycle économique, caractérisée par un ralentissement de la croissance. Ces signaux ont ranimé la crainte d’un glissement vers la phase suivante du cycle, en l’occurrence une récession. Et ce, dans un contexte où, sur le plan géopolitique, les tensions commerciales sino-américaines ont atteint un point culminant, tout comme l’incertitude entourant les négociations relatives au Brexit.
Ce cocktail s’est traduit par une détérioration des statistiques macroéconomiques et, plus particulièrement, de la production industrielle. Dans une région sensible aux exportations comme l’Europe, l’Allemagne, moteur industriel du continent, n’a évité que de justesse une récession au second semestre de l’année. Le secteur des services et le niveau de la consommation, tant en Europe qu’aux États-Unis, sont heureusement restés à un bon niveau, l’emploi continuant de progresser.
Préoccupations géopolitiques en 2020
Nous ne devons pas nous attendre à une amélioration spectaculaire du climat macroéconomique en 2020. Le Fonds monétaire international table, en effet, sur une croissance limitée de 1,7 % pour les États-Unis en 2020, contre 2,3 % en 2019. Pour l’économie européenne, la croissance est même estimée à 1 % pour 2020, contre 1,2 % en 2019.
Les préoccupations (géo)politiques continueront également à provoquer des remous. Même si la guerre commerciale sino-américaine semble s’apaiser, le président Trump remettra certainement son discours protectionniste “America First” en avant à l’approche des élections présidentielles de novembre 2020. Si des pays comme l’Argentine et le Brésil s’attirent de plus en plus souvent les critiques de Washington, l’Europe n’est certes pas épargnée. En novembre, Trump a ainsi annoncé des droits de douane jusqu’à 100 % sur les fromages, le champagne et les cosmétiques français en réponse à l’instauration d’une taxe française sur le numérique, qui vise essentiellement les entreprises technologiques américaines telles que Google et Apple.
Bien que la récente victoire électorale de Boris Johnson au Royaume-Uni calme un peu la pression liée au Brexit, le vrai travail ne commencera qu’après son échéance, soit le 31 janvier. Il faudra, en effet, un certain temps avant que le Royaume-Uni soit en mesure de conclure de nouveaux accords avec ses partenaires commerciaux. De tels processus de négociation peuvent, en outre, susciter l’incertitude et le doute sur le plan économique.
La recette monétaire fonctionnera-t-elle encore en 2020 ?
Les banques centrales sont heureusement toujours prêtes à sauver les meubles. À moins que… ? Il semble qu’à l’exception des marchés émergents, nous arrivions doucement à la limite de ce que la politique monétaire peut accomplir. Alors que la Fed américaine et la BCE en Europe ont indiqué qu’elles maintiendraient leur soutien monétaire “aussi longtemps que nécessaire”, elles ont également annoncé qu’elles ne prévoyaient plus d’incitants supplémentaires.
Pour ce qui concerne l’Europe, la BCE commence, en outre, à manquer de munitions. Le taux d’intérêt ne peut pas baisser indéfiniment par rapport à son niveau actuel. En ce sens, la BCE appelle de plus en plus clairement les pays de la zone euro à stimuler l’économie européenne par le biais de leurs propres politiques fiscales et budgétaires. La nouvelle présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déjà lancé plusieurs ballons d’essai sur le sujet.
Ce sera sans aucun doute l’un des enjeux majeurs de 2020. Des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, dont les budgets sont à l’équilibre, seront-ils prêts à renoncer à leur orthodoxie budgétaire pour stimuler l’économie européenne, par exemple par des investissements directs dans les infrastructures ? Au niveau européen, il faudra tôt ou tard débattre de la manière dont une telle politique fiscale et budgétaire, coordonnée entre les différents pays, devra voir le jour. Quoi qu’il en soit, il est clair que nous ne pouvons pas nous attendre en 2020 à une répétition du scénario en 2019.
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