Alexia Bertrand: “Mon admiration pour Alexander De Croo ne fait qu’augmenter”
Transfuge du MR à l’Open Vld, Alexia Bertrand salue un Premier ministre sage qui gère avec respect et cherche des solutions. La nouvelle secrétaire d’Etat évoque pour nous l’enjeu budgétaire fédéral, périlleux, et dit sa tristesse pour Bruxelles.
La nomination rapide d’Alexia Bertrand au secrétariat d’Etat fédéral au Budget et à la Protection des consommateurs au sein du gouvernement De Croo, survenue le 18 novembre dernier, fut aussi rapide qu’inattendue. Un vendredi après-midi, la voilà happée au Palais royal pour une prestation de serment en mode accéléré, à l’issue de la démission d’Eva De Bleeker, avec un transfert rapide du MR à l’Open Vld dans le dos de son président de parti, Georges-Louis Bouchez. Même ses enfants n’ont été prévenus qu’après la communication du Palais…
TRENDS-TENDANCES. Depuis votre nomination au gouvernement fédéral, c’est la tourmente?
ALEXIA BERTRAND. C’est la course, en tout cas. C’est prendre le train en marche et faire en sorte que tout ce qui doit être fait le soit, tout en se plongeant dans les dossiers. Dans un premier temps, mon focus, c’est vraiment ce vote du budget qui doit avoir lieu au Parlement le 22 ou le 23 décembre. Tout conflue vers ça.
Dans un contexte qui est loin d’être évident…
C’est le contexte que l’on connaît avec un budget très difficile et une dette qui augmente, il ne faut pas se le cacher. Pourquoi est-ce difficile? D’abord parce qu’il y a eu toutes les crises successives…
Le covid et la crise énergétique sont passés par là…
Vous avez raison en ce qui concerne cette législature. Mais il y a aussi un héritage historique. Depuis 2007, pas un gouvernement n’a connu une législature complète. Forcément, cela a un impact sur le budget parce que contrairement à ce que l’on pourrait croire, on ne dépense pas moins en affaires courantes: les coûts dérapent parce qu’une série de dépenses structurelles se poursuivent et que des mesures d’économie ne peuvent être prises.
Par ailleurs, il y a eu ces crises pour lesquelles le gouvernement a pris des mesures temporaires, à juste titre, afin de protéger les citoyens et les entreprises. Cela a évidemment un coût. Mais ce que dit la Commission européenne dans son avis, c’est que le problème du budget belge, aujourd’hui, ce ne sont pas tant ces soutiens temporaires que le coût du vieillissement de la population, de l’indexation automatique des salaires et des dépenses structurelles.
Donc elle épingle l’absence de réformes structurelles…
Voilà. Tout cela nécessite des réformes en matière de pensions, de fiscalité et d’activation du marché de l’emploi. Je pense que tout le monde, aujourd’hui, entend ce message.
Tout le monde, au sein de la majorité?
J’espère “tout le monde” au sens large, tant au sein de la majorité que de l’opposition ou chez les citoyens. Malheureusement, quand j’entends certaines interventions au Parlement, je ne suis pas sûre que tout le monde réalise ce que cela signifie.
Cette coalition au fédéral a-t-elle encore la capacité de mener ces réformes d’ici la fin de la législature? Il reste un an et demi. Vous devrez jouer l’aiguillon?
C’est exactement ça. Les réformes, je ne peux pas les mener à la place des ministres compétents, de la ministre des Pensions, du ministre du Travail ou de celui des Finances. L’idée, c’est d’être la gardienne des finances publiques et d’insister, de rappeler… J’ai envie de croire qu’il y a eu un moment de bascule. J’entends au sein de la coalition que le mot “réformes” revient. Il faut maintenir la pression là-dessus. Le contrôle budgétaire de mars 2023 sera crucial à cet égard pour voir si nous sommes dans la voie de l’effort fixé, de déterminer les dérapages éventuels et d’évaluer les mesures complémentaires à prendre pour juguler la crise énergétique.
Il faut être clair et honnête: personne ne peut exclure la nécessité de prendre de nouvelles mesures. Cela se décide trimestre par trimestre, comme dans de nombreux pays européens, et la Commission européenne a validé cette approche.
La meilleure façon d’aider les citoyens, c’est de faire en sorte que la charge du vieillissement et des pensions soit soutenable à long terme.
Eva De Bleeker, à qui vous avez succédé, avait inscrit au budget une mesure ponctuelle, la baisse de la TVA sur l’énergie à 6%, de manière pérenne. Cela a précipité sa chute…
La baisse temporaire de la TVA sur l’énergie a été inscrite jusqu’au 31 mars 2023. Si rien n’est décidé d’ici là, elle remontera automatiquement à 21%. Personne n’a envie de se retrouver avec des factures qui explosent. Il faudra donc évaluer la mesure. A côté de cela, il y a une discussion sur la baisse permanente de la TVA à 6%. Des décisions ont été prises avant que j’arrive et des notifications demandent au ministre des Finances de venir avec des propositions concernant une réforme du système des accises.
C’est une réponse à la Commission européenne qui demande de s’adapter continuellement et de prendre des mesures plus ciblées. La TVA s’applique de manière indistincte à tout le monde, quel que soit le nombre de kWh. Les accises constituent, elles, un instrument plus souple qui peut tenir compte de ce nombre de kWh. C’est un outil plus intéressant pour avoir un impact sur la consommation.
Tant les entreprises que les ménages se demandent jusqu’où on pourra les aider? Cela dépend du type d’aides et pour autant que des réformes structurelles soient initiées?
La meilleure façon d’aider les citoyens, c’est de faire en sorte que la charge du vieillissement et des pensions soit soutenable à long terme. Tout le monde veut protéger la sécurité sociale et l’on sait que la problématique du nombre d’actifs est importante.
C’est le fameux horizon du taux d’emploi à 80% en 2030 défini par votre gouvernement?
La meilleure façon de le faire, en effet, c’est d’augmenter le taux d’emploi. Aujourd’hui, nous sommes autour de 72%. L’objectif de l’accord de gouvernement, c’est 80%. Et on sait que chaque personne remise à l’emploi a un rendement vraiment important pour l’Etat. Ce sont des recettes que l’on peut installer sans faire mal à personne, que du contraire: en mettant les gens au travail, on donne un pouvoir d’achat plus important.
C’est une des discussions que nous aurons lors de la réforme fiscale, et c’est ce que la Commission européenne préconise, pour supprimer les pièges à l’emploi, l’écart entre les allocations sociales et le salaire net. Il y a plein de manières dont on pourrait le faire, comme le bonus emploi, une modification des tranches fiscales… Sur le principe, il n’y a pas débat: les 80% sont dans l’accord de gouvernement et c’est une évidence qu’il faut mettre plus de gens au travail!
Il n’est pourtant pas évident que la réforme fiscale advienne d’ici la fin de la législature… Il faut accélérer.
Comme pour toutes les réformes, il faut se mettre d’accord à sept partenaires. Je pense que le ministre des Finances Vincent Van Peteghem y travaille et qu’il viendra avec des textes très bientôt. Des équilibres devront être trouvés. Mais certains objectifs sont partagés et le contrôle budgétaire de mars est un bon moment pour avoir ces discussions parce que l’on connaîtra la trajectoire, les dérapages, etc.
J’espère sincèrement que davantage de gens du MR prendront une carte de l’Open Vld.
Votre nomination a été un moment particulier dans la vie de cette coalition, avec votre passage du MR à l’Open Vld. Quel signal cette séquence envoie-t-elle alors qu’il y avait eu des frictions avec le président du MR?
Moi, je reste au sein de la famille libérale, en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu. Je n’ai jamais entendu, au sein du MR, autant de volonté de travailler ensemble, avec l’Open Vld. La presse pointe souvent des difficultés ou des tensions, mais je n’ai jamais vu les présidents des deux partis se parler autant. Il y a une volonté d’aller ensemble dans des coalitions. Et c’est très bien. En 2020 à la Région bruxelloise, l’Open Vld est entré dans la majorité et le MR est resté dans l’opposition ; je l’ai vécu difficilement. Mais il y a désormais une volonté d’éviter de telles situations à l’avenir.
Le président à qui je rapporte, c’est Egbert Lachaert, et les ministres, ce sont le Premier Alexander De Croo et le vice-Premier Vincent Van Quickenborne, c’est très évident, puisque je suis désigné par l’Open Vld. Mais je garde ma carte MR. J’étais, dans ma commune de Woluwe-Saint-Pierre, sur une liste “Open MR” que l’on avait créée à l’époque sur proposition de Carla Dejonghe (députée bruxelloise Open Vld, Ndlr). Dans Open MR, le premier mot, c’est “Open” et cela n’a jamais posé de problème. J’espère sincèrement que davantage de gens du MR prendront une carte de l’Open Vld puisque nos statuts ont été changés pour permettre cette double appartenance.
C’est quand même une émancipation par rapport à Georges-Louis Bouchez…
Je rapporte à Egbert Lachaert, il n’y a pas de doute là-dessus. C’est lui qui m’a appelée et qui m’a demandé de remplir cette mission qui n’est pas facile. Et je serai sur les listes de l’Open Vld en 2024. Mon souhait, c’est que ce soit une liste commune à Bruxelles pour la Chambre. Il y a eu des discussions préalables à mon arrivée.
Vous comparez Alexander De Croo à Barack Obama. C’était une inspiration pour vous?
Depuis que je vis au sein de ce gouvernement, mon admiration pour Alexander De Croo n’a fait qu’augmenter. Je vois le calme et la sérénité avec lesquels il gère le gouvernement, le respect avec lequel il traite les partenaires du gouvernement. Je vois qu’il est focalisé sur l’objectif de trouver des solutions. Peu après mon arrivée, l’accord social sur l’enveloppe bien-être en était la preuve. Ce gouvernement continue à fonctionner, contrairement à ce que certains disent.
Le temps de la démocratie est un peu plus lent, c’est frustrant pour tout le monde, mais cela fait partie de ce qui garantit la transparence.
Il faut se départir de l’agitation extérieure, y compris au sein des partis?
Cela demande de se mettre au- dessus de la mêlée. Si l’on regarde aujourd’hui l’Europe et le monde, on y remarque deux grandes catégories de leaders. D’une part, ceux qui veulent incarner un pouvoir fort et qui jouent beaucoup sur les peurs des citoyens et sur le court terme. De l’autre, les leaders sages, qui veulent construire sur le long terme, qui pensent aux générations futures, qui misent sur l’espoir et qui veulent rassembler, ceux qui acceptent la nuance et la complexité…
Ce n’est pas facile parce que les gens n’ont pas nécessairement envie d’entendre que les choses sont complexes, ils aiment avoir des positions claires et tranchées, mais le monde n’est pas comme ça. Quand on vit dans des sociétés avec un niveau de vie élevé, forcément, tout y est plus complexe. Vivre en démocratie, cela implique une série de règles: sur les marchés publics, sur la fonction publique, sur le fonctionnement même du processus démocratique. Le temps de la démocratie est un peu plus lent, c’est frustrant pour tout le monde, mais cela fait partie de ce qui garantit la transparence, le respect des règles…
Or, en face, il y a aussi ceux qui prétendent que les réponses simples mènent à des solutions simples. C’est ça, le populisme.
L’enjeu de votre gouvernement, c’est précisément de faire barrage au populisme qui monte, tant en Flandre qu’en Wallonie, en vue de 2024.
Tout à fait! Cela demande de la cohérence. C’est plus compliqué de prendre ses responsabilités que de hurler. Je suis bien placée pour le savoir parce que j’ai été dans l’opposition à Bruxelles. Je le dis avec un respect immense pour l’opposition, essentielle en démocratie pour contrôler l’exécutif ou émettre des propositions alternatives. Mais on ne peut pas dire des choses contradictoires comme vouloir baisser les impôts pour tout le monde tout en ayant un budget en ordre. Prendre ses responsabilités, c’est faire des choix, trouver des équilibres…
Pour les élections de 2024, je n’ai pas reçu de promesse et je n’en ai pas demandé. Cela surprend parce que pour les politiques, c’est souvent important. Moi, je suis là pour remplir une mission, je sais qu’elle dure un temps, et je suis à la disposition de l’Open Vld. J’ai pleinement confiance dans le fait qu’Egbert Lachaert me mettra sur la liste la plus pertinente. Je n’ai pas l’intention de déménager, je suis bien à Bruxelles et je pense que la liste commune avec le MR ferait sens. Ce serait la première fois pour les libéraux ; c’est l’occasion ou jamais de mettre en pratique ce que nous prônons. Mais au moment où l’on parle, ce n’est pas le top de mes priorités. Le top, c’est faire voter le budget et travailler aux dossiers très concrets de la protection des consommateurs.
Il n’y a aucun intérêt à opposer les Bruxellois à ceux qui viennent y travailler. Ce sont des gens qui viennent contribuer à l’économie de la Région.
Bruxelles est une ville sous tension: on l’a vu avec le plan de mobilité Good Move ou les émeutes après le match de football Belgique-Maroc. Avez-vous parfois mal à votre ville?
Evidemment. Ce qui s’est passé après ce match ou les différentes attaques au couteau dont on a parlé récemment me rend évidemment triste. Cela suscite même de la colère en moi parce que ce n’est pas acceptable. Et donc ce que j’ai toujours plaidé pour Bruxelles ne change pas! J’ai envie d’une ville qui se ressaisisse et qui donne aux citoyens les services élémentaires auxquels ils ont droit: une cité propre, où il y a de la sécurité, où l’on peut se promener dans tous les quartiers sans se sentir menacé – en particulier quand on est une femme. Une ville fluide en termes de mobilité, aussi.
Bruxelles regorge de talents, c’est la capitale de l’Union européenne et de la Belgique. On considère cette réalité comme un acquis, mais c’est surtout un atout qu’il faut entretenir en permanence. Il faut choyer l’économie de services qui tourne autour de ce fait, les entreprises qui viennent s’installer. On doit miser sur nos forces plutôt que de se perdre dans la compétition victimaire actuelle. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de pauvreté, mais la réponse à ça, c’est en partie l’économie et la remise à l’emploi.
On est très loin du taux de 80% dont nous parlions, à Bruxelles, en particulier pour les jeunes.
Il y a eu une amélioration, mais cela reste insuffisant au regard du nombre de métiers en pénurie et d’offres d’emploi. On ne met pas assez en avant une ligne cohérente pour Bruxelles, déterminer le type d’entreprises que l’on a envie d’attirer: le digital, la biotech, l’éco-construction? Je ne sais pas. Mais l’autorité publique doit créer les conditions pour le privé. Cela passe par un cadre législatif accueillant, mais aussi, bêtement, par la propreté et l’entretien des voiries.
Vous défendez le “Bruxelles aux Bruxellois” des autorités actuelles?
J’ai toujours prôné cela aussi, mais il faut se rendre compte que les navetteurs participent à la richesse de Bruxelles. Il n’y a aucun intérêt à opposer les Bruxellois à ceux qui viennent y travailler. Ce sont des gens qui viennent contribuer à l’économie de la Région, qui remplissent aussi des métiers en pénurie comme des enseignants, des infirmiers, etc.
Vous aviez exprimé votre intérêt pour la ministre-présidence bruxelloise. Serez-vous toujours intéressée?
En Belgique, on dit souvent que les choses changent très rapidement, j’en ai fait l’expérience. Je reste très attachée à ma ville mais, aujourd’hui, je suis au sein du gouvernement fédéral et je me concentre sur cette fonction. Ensuite, je serai candidate Open Vld à la Chambre car au niveau régional, et c’est une autre absurdité de notre système, on ne peut pas être candidate dans une autre langue que celle avec laquelle on a prêté serment: je ne pourrai donc pas être candidate Open Vld à la Région.
Profil
· 1979. Naissance à Wilrijk (Anvers), le 30 mai. Son père est l’homme d’affaires Luc Bertrand, président d’Ackermans & van Haaren
· 2012. Conseillère communale à Woluwe-St-Pierre
· 2019. Députée bruxelloise en et cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois, députée au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
· 2022. Nommée secrétaire fédérale au Budget et à la Protection des consommateurs
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