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‘Le tax shift est plus social qu’on ne le croit’
“La réforme fiscale est également une réforme du financement de la sécurité sociale qui est historiquement surtout subsidiée par le travail”, estime Marc De Vos, directeur d’Itinera et professeur à l’Université de Gand.
Le contrôle budgétaire estival est hélas un phénomène fréquent dans la politique fédérale belge, avec ses rituels de conclaves nocturnes et ses cocktails éclectiques d’économies et d’impôts. En fin de compte, les calculs tombent justes – ou du moins l’illusion que c’est le cas est annoncée – et la rue de la Loi part en vacances. Cette année, elle le fait avec une gueule de bois. Pour le gouvernement fédéral, ce contrôle était un véritable “tax shift”. Et il s’est lancé de manière triomphante dans une politique d’annonces, qui pourrait bien lui revenir comme un boomerang.
Dans le vide des vacances politiques, les médias et les opposants de tous bords ont sauté sur l’occasion à pieds joints. Le ton était tout de suite donné: il s’agissait d’une réforme dure et asociale qui touche les plus faibles et épargne les plus riches. Improvisations et communications de vacances ont suivi, avec un cortèges d’indignations de revendicateurs de tous poils.
Je ne vais ni glorifier ni démolir les mesures budgétaires. Je ne veux pas me prononcer au sujet du bilan final. Cela exige une vue transparente et une vue de l’intérieur de la totalité de notre fiscalité, dont le tax shift change moins de 2%, et des effets économiques finaux des taxes. Je n’observe que l’ingrédient du cocktail qui saute le plus aux yeux: la baisse des cotisations patronales sur les salaires d’à peu près 34 à 25%. Ce gouvernement fait ce que beaucoup d’experts et toutes les instances demandent déjà depuis beaucoup d’années. La Belgique, qui impose le travail au point de le détruire littéralement, se prononce en faveur de celui-ci et fournir de l’emploi est progressivement moins puni fiscalement.
Le tax shift est plus social qu’on ne le croit
C’est une excellente nouvelle pour le potentiel de création d’emplois. Ce n’est cependant pas une baguette magique. Ne vous attendez pas à un miracle pour l’emploi, ne comptez pas sur des promesses artificielles de nouveaux engagements, mais sachez que nous abaissons structurellement le seuil pour favoriser le travail et les opportunités d’emploi. Sachez aussi que moins de charges salariales peut aussi signifier plus de salaire lorsque ça va bien. La Belgique envoie grâce à cela un signal international: nos charges colossales sur les salaires crèvent désormais moins les yeux des investisseurs lorsqu’ils les comparent aux autres destinations d’investissement possibles. Nous ne reverrons pas Ford, nous ne sauverons pas l’industrie moribonde, mais nous obtiendrons certainement plus d’opportunités.
La baisse des charges sur le travail annoncée est en outre linéaire, pas de coterie de groupes cibles ni de favoritismes. Pas de complexité de conditions, d’échéances ou de limites, mais de la simplicité. Pas de statuts bidons ou d’avantages factices, pas de subsides déguisés “à la voitures de société”, mais du pur et du durable. C’est néanmoins ce qui est promis. Je dois encore le voir pour le croire, car les demandes d’attention particulière envers des secteurs particuliers sont déjà posées. Un peu de patience donc, mais les bonnes intentions sont là. La simplicité est toujours, et surtout, la règle d’or de la fiscalité, aussi pour les charges salariales.
Face à la baisse des charges salariales, il n’y a que des économies limitées dans les dépenses sociales, dont certaines sont également encore destinées à stimuler les emplois. Je ne vais à nouveau pas faire le procès de ces mesures ponctuelles. Ce qui compte pour moi, c’est l’image globale: les contributions sociales baissent proportionnellement beaucoup plus que les dépenses sociales. La réforme fiscale est donc une réforme du financement pour la sécurité sociale qui est historiquement surtout subsidiée par le travail. Le tax shift exigera progressivement plus de revenus fiscaux généraux pour payer les promesses de protection sociale.
Moins de charges sur le travail, plus d’espace pour l’emploi et des salaires nets plus élevés, pas de manipulation fiscale avec le travail et plus d’intégration fiscale générale de la sécurité sociale: pour moi, c’est un agenda sain tant économiquement que socialement. C’est aussi un agenda que les syndicats ont soutenu dans le passé, et même exigé. L’élargissement de la base financière de la sécurité sociale vers des moyens fiscaux généraux se trouve déjà depuis longtemps à l’agenda syndical. C’est maintenant un effet secondaire du tax shift, qui se fait incendier par les mêmes syndicats.
Il est trop tôt pour émettre un jugement final, trop de détails doivent encore être complétés. Il est déplacé de crier victoire trop vite. Le glissement fiscal est trop limité et nous ne pouvons pas programmer des emplois de manière politique. Mais le fait que nous nous attaquions enfin à l’anomalie fiscale aiguë et destructrice des charges salariales, que cette approche soit cohérente et bénéficie aussi à l’avenir de la sécurité sociale, est indéniable. Les critiques sur le tax shift doivent éviter de se focaliser sur les arbres qui cachent la forêt.
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