‘La Russie n’a aucune stratégie économique’

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Boris Titov, délégué du Kremlin pour les droits des entrepreneurs, estime que la Russie n’a “aucune stratégie” pour éviter “la dépression” qui menace son économie faute de réformes et de détente dans les relations avec les Occidentaux.

Pourtant membre du Conseil économique réuni par Vladimir Poutine, M. Titov se montre très critique à l’égard du gouvernement dans une interview à l’AFP lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg.

Les entrepreneurs voient-ils la fin de la crise ?

“La situation est difficile. Nous subissons les effets de la situation du marché du pétrole: les revenus du pays diminuent, et donc la demande intérieure diminue et les entreprises voient la demande pour leurs marchandises baisser.

Il est trop tôt pour parler de stabilisation, nous ne voyons même pas encore toutes les manifestations de la crise, parce qu’elle évolue en escaliers: parfois la situation se stabilise, parfois elle s’aggrave. On assiste à une réaction en chaîne liée à l’incapacité d’effectuer certains paiements. Certaines entreprises se retrouvent en situation difficile, surtout celles les plus exposées à la distribution, à la consommation. Ensuite, ce sont leurs fournisseurs qui en subissent les conséquences. On n’a donc pas vu toutes les conséquences de cette crise, des moments difficiles sont devant nous.

Si rien n’est fait, et c’est ce que nous voyons du côté du gouvernement, l’économie russe va doucement s’éteindre, glisser vers la stagnation voire la dépression.”

De quelles mesures les entreprises ont-elles besoin?

“Ce sont des changements dans le domaine fiscal, des mesures pour stimuler les investissements, des changements des tarifs de l’énergie. C’est une réforme judiciaire, aujourd’hui nécessaire pour répondre au problème du contrôle administratif, de la réglementation appliquée aux entreprises par le gouvernement. Mais c’est aussi une économie libre et une relance des relations avec les pays occidentaux, indispensable parce que les réformes nécessaires seront très difficiles autrement.

La Russie manque de crédits. L’économie russe est comme flétrie, et pour nous développer nous avons besoin de crédits bon marché et à long terme. C’est ce que permet l’assouplissement quantitatif (“QE”, rachats de dette par les banques centrales, en zone euro, Etats-Unis et Japon pour maintenir des taux bas, ndlr) mais malheureusement notre gouvernement n’en veut pas.

Nous ne voyons aucune stratégie (de l’Etat russe, ndlr). Le principal problème qui inquiète tout le monde, c’est l’incertitude économique. Le gouvernement n’a présenté aucun programme ou même aucune idée. Sa seule idée consiste actuellement à maintenir une politique financière rigoureuse comme c’est le cas depuis 15 ans. Le gouvernement dit depuis des années qu’il faut des réformes institutionnelles, mais rien n’est fait.

Quel serait l’effet d’une levée des sanctions?

Cela simplifierait bien sûr le financement des grandes entreprises. En ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, elles ne se finançaient pas tellement dans les pays occidentaux. Mais je tiens à dire que dans l’ensemble, les sanctions occidentales n’influent pas tant que cela sur l’économie russe. Pour notre secteur (les petites entreprises, ndlr), qui devrait constituer une locomotive pour la croissance de la Russie, elles n’ont pratiquement pas de conséquences. Elles aident même un peu, si l’on prend les mesures de rétorsion (l’embargo alimentaire, ndlr) pour l’agriculture. Mais bien sûr, nous sommes favorables à une levée des sanctions au plus vite, qui permettrait de revenir à un fonctionnement habituel pour les affaires.”

Poutine s’adresse aux investisseurs

Pourtant, le président russe Vladimir Poutine s’attelle ce vendredi, à Saint-Pétersbourg, à convaincre les entreprises étrangères d’investir en Russie, malgré la fermeté des Européens à maintenir leurs sanctions économiques et les tensions liées aux dossiers sportifs.

Après l’arrestation de hooligans russes en France pour des violences en marge de l’Euro, une possible décision vendredi de l’IAAF de priver les athlètes russes des JO de Rio pourrait venir froisser les ambitions de grandeur sportive de la Russie, qui a accueilli en 2014 les jeux d’hiver de Sotchi et organise le Mondial-2018 de foot.

A Saint-Pétersbourg, la grand-messe économique du Kremlin constitue tous les ans une vitrine des promesses que présente l’économie russe pour les investisseurs étrangers. Malgré le climat de guerre froide dû à la crise ukrainienne et la récession, Vladimir Poutine s’y est efforcé ces deux dernières années de promettre que le pays restait prêt à les accueillir.

Vendredi, le président russe doit s’exprimer à 11H00 GMT devant des hommes d’affaires annoncés en plus grand nombre que les années précédentes, notamment des pays de l’Union européenne, encouragés par une amorce de stabilisation économique. Ses appels à renforcer la coopération devraient recevoir l’appui du Premier ministre italien Matteo Renzi, attendu à ses côtés à la tribune du forum et venu signer des accords commerciaux à la tête d’une importante délégation.

“Les condition sont réunies pour un retour à la croissance”, a souligné jeudi soir M. Poutine lors d’une rencontre avec des responsables de fonds d’investissements.

L’économie russe, a-t-il insisté, s’est non seulement “adaptée aux nouvelles conditions” mais est devenue plus compétitive grâce à la dépréciation du rouble. “Le marché financier russe reste le plus ouvert des marchés émergents. De bonnes opportunités apparaissent actuellement pour investir dans divers secteurs de notre économie: l’industrie, l’agriculture, les infrastructures”, a-t-il plaidé.

Des Européens ‘unis’ ?

Les chefs d’entreprises occidentaux, très critiques des sanctions contre la Russie où ils ont considérablement investi, ne cachent pas leur volonté de reprendre les affaires de manière plus active. Si les Américains restent peu nombreux au forum, les patrons de plusieurs groupes européens de premier plan ont répondu présent.

Les milieux d’affaires attendent particulièrement la parole de M. Poutine concernant sa volonté de réformer une économie menacée, de l’aveu même de ses autorités, de stagnation faute de transformations majeures.

Dans ce contexte, la présence du chef du gouvernement italien, après celle du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker jeudi à l’ouverture du forum, avait relancé les spéculations sur un possible adoucissement des sanctions de l’UE.

D’autant que certains dirigeants européens, comme M. Renzi, affichent de plus en plus ouvertement leurs réserves concernant ces mesures punitives qui ont contribué à plonger la Russie en récession avec l’effondrement des prix du pétrole, source de revenus vitale pour Moscou.

Assurant que les Européens restaient “unis”, M. Juncker a rapidement douché ces espoirs: l’application totale des accords de paix de Minsk pour l’est de l’Ukraine “est le seul moyen de commencer notre conversation et le seul moyen de lever les sanctions économiques imposées”, a-t-il martelé.

Décrétées en 2014 après l’annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée et le début d’une rébellion prorusse que Moscou est accusé d’avoir soutenue dans l’est de l’Ukraine, ces sanctions ont suscité en représailles un embargo de Moscou sur des produits alimentaires européens, atrophiant les relations commerciales entre la Russie et l’UE.

Les mesures européennes décidées après l’annexion de la Crimée seront prolongées de six mois vendredi, a affirmé une source à l’AFP à Bruxelles. Les lourdes sanctions économiques (visant la finance, la défense, les hydrocarbures) mises en place pour sanctionner le rôle de Moscou dans le conflit de l’est de l’Ukraine devraient quant à elles être prolongées la semaine prochaine après un vote des 28 pays membres.

L’ancien président français Nicolas Sarkozy, venu à Saint-Pétersbourg, a appelé les Russes à “faire le premier pas” pour sortir de l’engrenage des sanctions qui pénalisent tout le monde.

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