La Belgique doit récupérer 700 millions auprès de 35 multinationales: Van Overtveldt et le Voka s’insurgent
Le régime fiscal belge d’exonération des bénéfices excédentaires (excess profits ruling) est illégal, a déclaré ce lundi la Commission européenne. Elle exige que la Belgique récupère près de 700 millions d’euros auprès de 35 entreprises multinationales. Et cela alors que le Premier ministre Charles Michel est en tournée à l’étranger pour vanter notre charme fiscal…
Depuis 2013, la Commission européenne enquête sur les cadeaux fiscaux qui sont faits aux multinationales. C’est ainsi que les aides illégales d’Apple en Irlande, de Starbucks aux Pays-Bas ou encore d’Amazon et Fiat Finance & Trade au Luxembourg sont dans le collimateur. Les services de Margrethe Vestager (photo), la commissaire à la Concurrence, ont également ouvert, voici un an, une enquête sur notre système de décisions anticipées concernant les bénéfices excédentaires (excess profits ruling). Et la décision est tombée : il est considéré comme une aide illégale de l’Etat. Les entreprises qui en ont bénéficié devront donc rembourser 700 millions d’euros à notre pays.
Il faut dire que la sentence ne pouvait tomber plus mal : le Premier ministre Charles Michel est actuellement en tournée à l’étranger pour vanter notre charme fiscal…
“La Belgique doit récupérer les impôts non-payés”
“Nous avons conclu que le dispositif belge en matière de bénéfices excédentaires ne respecte pas les règles en matière d’aide d’Etat”, a annoncé la commissaire européenne Margrethe Vestager chargée de la politique de concurrence. Les ristournes fiscales accordées grâce à ce dispositif représentent environ 700 millions d’euros et concernent “au moins” 35 entreprises multinationales. “La Belgique doit maintenant récupérer les impôts non-payés par ces entreprises”, a déclaré Mme Vestager.
“Ce dispositif permettait à des entreprises de payer beaucoup moins d’impôts parce qu’elles étaient des multinationales et pouvaient profiter de synergies. Sur base de décisions fiscales anticipées, ce dispositif permettait d’avoir une ristourne sur la base d’imposition. On enlevait ce qu’on appelle le bénéfice excédentaire, or il n’est pas imposé. Il y a donc double non-imposition”, a expliqué la commissaire.
“Un avantage compétitif injuste par rapport à d’autres sur le marché”, puisque “des entreprises qui ne sont pas des multinationales doivent payer tous les impôts sur tous les bénéfices”, a-t-elle poursuivi.
Le dispositif est appliqué depuis 2005, et l’administration fiscale a vanté les mérites de l’exonération des bénéfices excédentaires sous le slogan “Only in Belgium”. Il concerne une “série d’entreprises dans plusieurs secteurs variés, principalement européennes”, a affirmé la commissaire, qui n’a pas cité de noms, parce que la Commission estime que c’est avant tout le régime fiscal en général qui est illégal.
“Les entreprises ne payaient pas d’impôt sur 50 à 90% de leurs bénéfices”
Elle a toutefois précisé qu’environ 500 millions d’euros sur les 700 millions à récupérer concernaient des entreprises européennes. “Dans la pratique, les entreprises bénéficiant du dispositif ne payaient pas d’impôt sur 50 à 90% de leurs bénéfices”, a détaillé la commissaire. Le droit des sociétés belge “accorde un traitement préférentiel aux entreprises multinationales, à celles qui ne le sont pas”, a déploré la commissaire. Aussi, le bénéfice excédentaire doit être réparti entre les entreprises membres du groupe “de façon réaliste en appliquant le principe de pleine concurrence”, a ajouté la Danoise.
Enfin, et “contrairement à ce qu’annonce la Belgique”, le dispositif ne peut pas être justifié en raison de la double imposition “parce ces bénéfices excédentaires ne sont pas taxés ailleurs”, a-t-elle observé.
Concurrence déloyale et “préjudice aux citoyens de l’UE”
Les autorités belges devront maintenant confirmer à la Commission quelles sont les entreprises qui ont bénéficié du régime à leur avantage et passer au recouvrement des montants non perçus. “Les autorités fiscales belges devront calculer ces taxes pour les entreprises”, a indiqué Mme Vestager.
“Le fait qu’un pays accorde à certaines multinationales des avantages fiscaux illégaux qui leur permettent d’éviter de payer des impôts sur la majorité de leurs bénéfices réels nuit gravement à l’exercice d’une concurrence loyale dans l’UE et, en définitive, porte préjudice aux citoyens de l’UE”, a conclu Mme Vestager.
“La récupération en tant que telle s’avérerait particulièrement complexe”
Le gouvernement n’exclut pas de faire appel de la décision de la Commission européenne, a indiqué lundi le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt.
“Il convient à présent d’attendre l’issue des négociations avec l’Europe en ce qui concerne un éventuel remboursement”, a-t-il indiqué dans un communiqué, rappelant que les rulings (en français, rescrits fiscaux) accordés par le passé représentent environ 700 millions d’euros.
“Si l’Europe devait exiger la récupération de ce montant, les conséquences pour les entreprises concernées seraient très importantes et la récupération en tant que telle s’avérerait particulièrement complexe. Je mettrai donc tout en oeuvre pour limiter au maximum l’impact et ce, dans l’intérêt de la sécurité juridique et de notre tissu économique”, a affirmé M. Van Overtveldt (N-VA).
Selon lui, la récupération des aides n'”aidera pas le budget” car il s’agira d’une opération non-récurrente. “Le gouvernement doit d’abord chercher des solutions structurelles et non pas opter pour des solutions bricolées, comme par le passé”, a-t-il ajouté.
Le grand argentier belge précise que le gouvernement déterminera sa position sur la base des négociations futures. “A l’heure actuelle, nous n’excluons aucune option. A cet égard, nous n’écartons donc pas la possibilité d’interjeter appel de la décision”, a-t-il poursuivi.
“Cela équivaut presque à une rupture de contrat”, estime le Voka
De son côté, l’association patronale flamande, le Voka, souligne l’importance de la stabilité alors que la Commission européenne a jugé illégaux les Excess profit rulings accordés par la Belgique à 35 entreprises multinationales. Revenir sur ce régime fiscal n’est, selon le Voka, pas propice aux investissements des entreprises ni à leur sécurité juridique. “Cela équivaut presque à une rupture de contrat”, estime l’association dans un communiqué.
“Elles (les multinationales) ont profité de ce régime en toute bonne foi. Elles doivent aujourd’hui pouvoir compter sur la stabilité”, selon l’administrateur délégué du Voka, Hans Maertens.
Faire machine arrière, “c’est risquer de nuire à notre économie”. Le Voka appelle donc “le gouvernement fédéral à défendre les intérêts de l’économie belge auprès de la Commission européenne”.
La FEB remet la gouvernance européenne en question
La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) regrette la décision de la Commission européenne de déclarer illégal le régime des Excess profit rulings et d’exiger à la Belgique de récupérer 700 millions auprès des 35 multinationales en ayant bénéficié, indique-t-elle dans un communiqué. Selon elle, cette annonce “remet une fois de plus en cause la confiance que les entreprises devraient pouvoir mettre dans les pouvoirs publics belges et européens”.
Selon elle, le régime des excess profit rulings “a fait l’objet dès le début d’une transparence totale”, “est régi par un mode rigoureux d’application” et “s’inscrit totalement dans le respect des règles édictées par l’OCDE”. Mais, “ce qui était permis hier n’est plus accepté aujourd’hui et sera combattu demain et pour le futur si le législateur le décide. C’est le jeu de la démocratie, ce qui l’est moins, c’est la manière adoptée”, déplore la FEB. Car pour elle, c’est notamment l’aspect rétroactif de la décision “qui n’est pas acceptable”.
Plus largement, la décision “pose question par rapport à l’Europe fiscale qui se met en place à la demande expresse et en faveur des grands pays à fiscalité élevée et qui vise à supprimer toute concurrence fiscale, même saine, en Europe”, estime-t-elle, déplorant “qu’une fois de plus, ce sont les petits pays qui sont les seuls visés et condamnés”. Car parallèlement, dénonce la FEB, “les décisions informelles et non publiques sont à nouveau préservées”, suscitant dès lors un fort sentiment d’injustice au sein des Etats-membres.
Pour la porte-parole des entreprises belges, “il est indispensable que l’Etat et les entreprises concernées utilisent tous les moyens légaux disponibles pour s’y opposer”.
L’occasion de remettre à plat la politique fiscale en faveur des entreprises, selon le PS
La décision européenne sur la législation belge en matière de profits excédentaires doit fournir l’occasion de mettre à plat la politique fiscale en faveur des entreprises, estime le député Ahmed Laaouej (PS).
“C’est l’occasion d’élargir le débat. Remettons ces instruments sur la table: il faut pouvoir éviter des niches fiscales qui servent surtout à diminuer l’impôt pour augmenter les dividendes et se concentrer sur une véritable politique de soutien à l’économie”, a-t-il expliqué.
La législation sur les “excess profit rulings” a été appliquée à partir de 2005, à l’époque du gouvernement Verhofstadt alliant socialistes et libéraux. “Il faut pouvoir évaluer les politiques publiques. Certes, on peut regarder dans le rétroviseur mais il est plus intéressant de voir l’avenir et la façon de soutenir l’économie”, a ajouté M. Laaouej.
Le cdH demande une baisse générale de l’Isoc
Le député Benoît Dispa (cdH) demandera la mise à l’ordre du jour de la prochaine commission de Finances de la Chambre de sa proposition de loi visant à faire fondre d’un tiers le taux de l’Impôt des sociétés (Isoc), en le ramenant à 24% pour l’ensemble des sociétés. “Pour le cdH, il est urgent de dépoussiérer la fiscalité belge sur les entreprises, et de la faire entrer dans le 21ème siècle”, a-t-il jugé alors que la Commission européenne exige de la Belgique qu’elle récupère auprès des multinationales 700 millions d’euros d’aides fiscales.
Pour le cdH, les 700 millions d’euros que cette décision européenne va faire revenir dans les caisses de l’Etat belge doivent impérativement financer une “plus grande justice fiscale” en Belgique.
Fidèle à ses engagements électoraux, le cdH demande au gouvernement que ces moyens soient réinjectés dans une baisse généralisée du taux normal de l’impôt des sociétés, au bénéfice de l’ensemble de nos entreprises, et en tous les cas des PME. En effet, il est aussi “injuste qu’archaïque” de voir nos PME et micro-sociétés, elles qui font battre le coeur de notre tissu économique, être systématiquement pénalisées par rapport au régime de faveur dont bénéficient les multinationales, justifient les centristes.
Ecolo enjoint la Belgique de collaborer
Les écologistes ont réclamé du ministre des Finances sa pleine collaboration avec la Commission européenne afin que soient récupérés les 700 millions d’euros. Il en va de la crédibilité de la Belgique, estiment-ils.
“Les résultats de l’enquête de la Commission confirment les soupçons que les écologistes nourrissent depuis de nombreuses années à l’égard du système d’excess profit ruling mis en place par la Belgique sous le gouvernement socialiste-libéral entre 2003 et 2007: loin d’offrir une simple sécurité juridique en matière fiscale aux entreprises multinationales, ce dernier constitue en réalité un régime d’aides d’État déguisé”, ont souligné les députés Philippe Lamberts et Georges Gilkinet.
Ecolo demande au gouvernement de réformer au plus vite et en profondeur le système de ruling belge. Il juge “incompréhensible” la possibilité d’un appel de la décision européenne, comme l’a évoqué le ministre Johan Van Overtveldt. “Nous l’appelons à écarter publiquement cette option”, ont ajouté les deux députés.
Les écologistes invitent aussi le gouvernement à collaborer avec la commission TAXE du parlement européen, qui se penche sur les rescrits fiscaux accordés par les Etat membres. L’administration des Finances ne lui a encore fourni aucun des documents qui lui ont été demandés, regrettent les Verts.
Le PTB déposera une proposition de loi pour abroger l’Excess profit ruling
Le Parti du Travail de Belgique a annoncé lundi le dépôt d’une proposition de loi visant à abroger le mécanisme fiscal d'”Excess profit ruling”.
Le PTB a rappelé avoir dénoncé cette pratique depuis des années. Le service des décisions anticipées du SPF Finances permettait aux multinationales candidates aux rescrits (rulings) fiscaux d’obtenir via une filiale belge une détaxation de bénéfices sans qu’une surtaxation équivalente soit exigée dans le chef d’une filiale du même groupe dans un autre pays. Il s’agissait-là d’une rupture avec l’équilibre du code des impôts sur les revenus.
Pour le député PTB Marco Van Hees, “soit le service des décisions anticipées applique illégalement le code des impôts, soit la loi conçue en 2004 par Didier Reynders, alors ministre des Finances, visait dès le départ, sans l’avouer, à offrir aux multinationales ce que la Commission européenne appelle une double non taxation”.
Dans les deux cas, le mécanisme de l’Excess Profit Ruling ne mérite pas d’être maintenu, juge le petit parti de gauche. Il constitue véritablement un “BelLeaks, digne du Luxleaks”. Le PTB déposera dès lors une proposition de loi visant à la suppression pure et simple de l’article 185 §2 du code des impôts sur les revenus.
Oxfam-Solidarité espère que la Belgique ne fera pas appel
“Il temps que les entreprises multinationales payent leur juste part d’impôt, comme chaque citoyen et petite entreprise, afin de financer les services publics et la protection sociale”, a réagi Oxfam-Solidarité.
“L’évasion fiscale des entreprises est un fléau global (…) Il est temps de mettre fin à cette injustice fiscale et d’obliger les entreprises à payer leur impôt là où leur activité économique a réellement lieu. Pour cela, la transparence sur la fiscalité des entreprises est indispensable et doit passer par une obligation de publier les informations sur les impôts qu’elles paient dans chaque pays où elles sont présentes via le ‘country-by country reporting'”, estime l’ONG. Oxfam-Solidarité salue d’une part l’annonce de la Commission européenne et espère d’autre part que le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, “ne fera pas appel de cette décision sous prétexte de protéger la compétitivité fiscale belge”.