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“La technologie nous rendra immortels ou nous tuera tous”

Quand un nouvel appareil ou une nouvelle technique sont inventés, ou qu’un progrès majeur est réalisé sur un appareil ou une technique existant déjà, il est rare que soit en place, dans le secteur où cette innovation intervient, un comité d’éthique appelé à décider de sa diffusion ou pas. Sur un plan pratique, dans le domaine civil, ce sont les entreprises, et dans le domaine militaire, l’armée, qui décideront de la suite de sa carrière.

Le consumérisme, la publicité, font que la réussite commerciale d’un nouveau produit ne dépend pas étroitement de son utilité intrinsèque : les effets de mode et la capacité de cet objet d’être un marqueur de différenciation sociale, joueront un rôle important dans la popularité qu’il aura ensuite.

Si l’armée manifeste son intérêt pour ce nouveau produit, la question de savoir s’il est conforme à l’éthique ne sera pas posée devant l’opinion publique, aussi dangereux puisse-t-il être, car c’est l’intérêt national, dans une perspective défensive ou offensive, qui constituera le critère décidant de son adoption ou non. Si chacun s’accorde à dire que la question de l'” homme augmenté ” est problématique en soi, le ” soldat augmenté ” fera lui beaucoup moins problème aux yeux des états-majors.

L’histoire a montré qu’une fois adoptée dans le domaine militaire, une invention se diffuse ensuite dans le reste de la société. Le détour par la défense permet à une innovation qui aurait été rejetée a priori comme contraire à l’éthique de devenir quand même accessible au plus grand nombre, même si c’est alors avec un délai considérable.

Même si les comités d’éthique ont une certaine efficacité réglementaire, la globalisation sape la portée de décisions qui sont prises par des comités purement nationaux. Un article intitulé Les experts prédisent que la Chine mettra au point les premiers surhommes génétiquement améliorés publié en août dernier débute ainsi : ” La Chine est amenée à être le chef de file mondial dans l’amélioration génétique, étant donné que de nombreux pays occidentaux jugent cette science comme contraire à l’éthique et trop dangereuse à mettre en oeuvre.” Si donc l’Occident n’est pas prêt à adopter une technique génétique d’augmentation, la Chine s’en chargera, libre à nous ensuite de suivre ou non son exemple.

L’histoire a montré qu’une fois adoptée dans le domaine militaire, une invention se diffuse ensuite dans le reste de la société.

On observe donc sur le long terme une absence de tout filtrage d’ordre éthique à la diffusion d’un nouvel appareil ou d’une nouvelle technique, aussi fondées qu’aient pu être les objections émises lorsqu’ils sont apparus. Il y a donc une certaine inéluctabilité à la diffusion d’une invention si le monde peut lui trouver un usage quelconque, qui peut se limiter à se faire valoir dans un but de parade.

L’aboutissement de ce laisser-faire de fait, c’est le paradoxe qui nous est familier : nous vivons dans un monde où se sont parallèlement développées, d’une part, les techniques qui permettront l’apparition très transhumaniste d’un individu considérablement augmenté, devenu même peut-être immortel et, d’autre part, celles qui conduisent à l’extinction du genre humain par l’épuisement des ressources, le dérèglement climatique, un environnement devenu toxique, le risque réel d’une guerre chimique, biologique et/ou nucléaire généralisée et celui que constituent des centrales nucléaires civiles dont une interruption dans la maintenance ou dans la gestion des déchets déboucherait sur une contamination cataclysmique.

Une course est donc engagée entre les deux points d’arrivée actuels de notre génie technologique : d’une part, en tant que source de vie éventuellement même éternelle, bien au-delà donc de ce qui apparaissait comme ses limites naturelles et, d’autre part, en tant que source de mort pour l’espèce tout entière, et l’horizon de son extinction.

Alors que nous nous posons la question du caractère désirable ou non d’une évolution transhumaniste du genre humain, le choix devant nous, si nous ne parvenons pas à faire de l’éthique le cadre de nos prises de décision, pourrait bien se limiter à celui entre l’extinction pure et simple et le posthumanisme d’un homme que le robot aurait remplacé une fois pour toutes.

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