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“Envoyons une ambassade à Berlin, il en va de la survie de l’euro !”

Bruno Colmant, l’un de nos économistes de premier plan, s’interroge sur l’avenir de la monnaie commune européenne dans son ouvrage L’euro : une utopie trahie? (La Renaissance du Livre, 2017). Est-elle une construction artificielle désormais en faillite, s’interroge-t-il, ou bien une aventure qui continue d’être malgré tout un projet d’avenir en dépit de ses faiblesses majeures que l’actualité souligne jour après jour ?

L’analyse de Bruno Colmant est splendide. Les pesanteurs historiques, telles que l’esprit des peuples (leur mentalité, leur enracinement religieux en particulier), sont-elles cependant des obstacles insurmontables dans la solution de nos problèmes contemporains, comme le suggère l’économiste en chef de Degroof Petercam ?

Les calvinistes voyaient certainement dans leur réussite financière la preuve de leur prédestination personnelle aux yeux de Dieu, établissant une correspondance entre quantité d’argent amassée et salut individuel, mais les catholiques ne s’étaient-ils pas accommodés d’une équivalence du même ordre dans le commerce des indulgences qui permettait de s’acheter, en monnaie sonnante et trébuchante, une place au paradis ?

Est-il si sûr que ces considérations, datant d’un demi-millénaire exactement, déterminent encore les comportements des Européens d’aujourd’hui : des soucis autrement plus pressants ne nous ont-ils pas détournés de penser comme nos aïeux d’il y a 17 générations ?

Bruno Colmant observe avec justesse que l’obstacle principal à un euro jouant véritablement son rôle de monnaie est le rassemblement artificiel dans la zone d’entités économiques hétérogènes, dont la manifestation la plus visible est la cohabitation inconfortable de pays exportateurs nets et importateurs nets. Le remède est connu : adopter un système fiscal et un ministère des Finances uniques au sein de la zone, faire en sorte que la dette souveraine devienne unique elle aussi, par mutualisation de toute la dette existante et en rendant ensuite commune l’émission de la dette souveraine dans la zone euro.

Le moment n’est-il pas venu que l’Allemagne cesse de tenir en otage les autres nations composant la zone euro, les poussant inéluctablement au suicide, faute d’une option plus enviable ?

” A cela les Allemands ne se résoudront jamais ! “, nous affirme-t-on. Mais est-ce vrai, ou s’agit-il là d’une simple rumeur persistante ? Si les Allemands font obstacle aux éléments d’intégration européenne nécessaires à l’achèvement d’une zone euro viable, pourquoi ne trouve-t-on nulle part un exposé systématique de leur position expliquant cela ? Une telle démonstration présenterait l’avantage de pouvoir être réfutée point par point, dans un débat ouvert qui prendrait à témoin l’opinion publique des 19 pays composant la zone euro.

Mettons donc sur pied une ambassade des 18 pays partenaires de l’Allemagne au sein de la zone euro et faisons que celle-ci rencontre ses homologues allemands pour une discussion franche, cartes sur table. La question à éclaircir serait celle de la volonté des Allemands à assurer la viabilité de la zone euro, à laquelle ils font obstacle aujourd’hui, délibérément ou à leur corps défendant.

S’il devenait évident à l’issue de cette négociation que les Allemands sont déterminés à rendre impossible la mise en place des conditions de survie de la zone euro, les 18 autres nations se retrouveraient face à un choix : mettre l’Allemagne en demeure de quitter la monnaie commune, la preuve ayant été faite qu’elle en est le principal ennemi, ou bien dissoudre l’euro.

Dans son excellent livre, Bruno Colmant rappelle que l’euro constituait la peine finale infligée à l’Allemagne pour avoir fait subir à l’Europe l’horreur du nazisme : ” Sans cynisme, on peut supputer que l’euro fut le dernier prix à payer par l’Allemagne pour le nazisme, dont l’anéantissement conduisit à la partition du pays “, écrit-il. Le moment n’est-il pas venu alors d’un pardon définitif : que l’Allemagne décide maintenant librement de son propre sort, mais qu’elle cesse, comme c’est le cas aujourd’hui, drapée dans la bonne conscience que lui procure une balance commerciale sans égale, de tenir en otage les autres nations composant la zone euro, les poussant inéluctablement au suicide, faute d’une option plus enviable ?

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