North Island, le luxe ultime zéro carbone (en images)

© north-island.com

On y débarque en hélicoptère, puis on emprunte un buggy électrique pour se rendre à la villa n°8. Celle que Brad Pitt et Angelina Jolie occupent lorsque le prince William et son épouse Kate ont réservé la 11, la plus éloignée. Sur le chemin, de somptueux badamiers et des cocotiers de mer, un verger, un jardin d’épices et des potagers pour une cuisine autosuffisante, un centre de recyclage et des panneaux solaires pour un objectif zéro carbone, des tortues géantes qui se gavent de mangues et, surtout, énormément d’espace. Deux cent cinq hectares. “C’est notre luxe”, confie Elsia, une de nos deux butlers (majordomes) attitrées qui ouvre la porte de notre propriété pieds dans le sable. Un 450 m² de bon goût face à l’océan qui se dessine derrière une petite dune chargée de dominer les marées…

A en croire les études sociologiques, le luxe, longtemps associé aux choses matérielles, relève aujourd’hui de l’expérience, de l’esthétique et même de l’émotion ! Autrefois marqueur social puis financier, le vrai luxe consisterait désormais à avoir du temps et de l’espace. L’argent, qu’on lui associe systématiquement, ne serait plus un but mais un moyen. Et le travail son corollaire pour pouvoir se payer (hou !, le vilain mot) ces “temps vides”. Le climat anxiogène de nos sociétés favoriserait cette nouvelle aspiration au bien-être personnel, à l’écologie, à l’éthique et à l’humanisme. Posant que le voyage, c’est le rêve, les nouveaux vendeurs de luxe doivent désormais emporter leurs visiteurs dans une autre dimension.

Désirs anticipés

Première étape, les lieux. Evidemment, ils sont beaux, somptueux même. Mais ce n’est pas nouveau. Une île, le sommet d’une montagne, la jungle, les parcs nationaux sont depuis longtemps des gages de beaux paysages et de panoramas magnifiques.

Deuxième étape, l’accueil. Quand vous débarquez, atterrissez ou amerrissez, il faut que vous soyez directement scotché, au point d’en lâcher votre beauty-case — car les valises ont depuis longtemps disparu, déjà acheminées par des mains précieuses jusqu’à votre hébergement. C’est beau, c’est épuré. Il n’y a même que la plage et une hôtesse avec une coupe de vrai champagne et un jus pressé avec des fruits tout juste tombés de l’arbre, une serviette parfumée et un air de “C’est tout naturel et ça ne fait que commencer”.

Le manager est là en personne, bien sûr il vous connaît ou vous reconnaît, demande des nouvelles de la famille, s’inquiète du trajet qui vous a mené jusqu’au paradis. Parfois, c’est le guest relation qui vous met à l’aise, ou le lobby PR, l’ambassador ou le wellcomer qui vous présente votre butler. Une nouvelle terminologie a vu le jour, longtemps après les GO et GM du Club Med, mais en nettement plus smart. De toute façon, tous les employés ont avant tout un prénom, c’est plus convivial. Sauf le préposé au front desk puisqu’il n’y a pas d’ordinateur, pas de fiche à remplir, de passeport et de carte de crédit à sortir. Pas de concierge non plus pour noter vos désirs. Parce que vos désirs, ils les connaissent, les anticipent, les comblent, les subliment. C’est leur job sur North Island.

Pas de bruit, sauf celui des vagues

L’unique moyen de se rendre sur cette île-hôtel est donc l’hélicoptère. Une superbe mise en bouche avec le survol, pendant 20 minutes, de l’un des plus beaux archipels du monde, les Seychelles. Nous, nous avons emprunté le bateau du staff, l’occasion de poser les questions qu’on ne pose pas devant le boss.

A bord du buggy qui nous est affecté pour le séjour (ainsi que deux vélos), Elsia nous fait faire le tour du propriétaire avant de nous mener à notre villa. Sur le seul engin à moteur (électrique) de l’île, il est conseillé de rester sur les chemins — pour ne pas écraser les oeufs et les nids des espèces les plus menacées qui squattent cet oasis protégé. Si la villa n°11 (750 m²) est posée sur un rocher, au bout de l’île, la nôtre (450 m²) repose à même le sable, en toute simplicité. Une chambre ouverte sur le jardin est prolongée par un salon et deux salles de bains — une intérieure et une sous les étoiles, avec tables de massage. La deuxième chambre se transforme en salle de cinéma. Une piscine privée avec une tonnelle et une terrasse et des chaises longues sur la plage dessinent une frontière naturelle entre votre espace et… le reste de l’île.

Pas de voisins, pas de bruit si vous décidez de couper la hi-fi et si le clapotement des vagues ne vous dérange pas. De grandes baies vitrées offrent de se lever avec le soleil sur l’immensité turquoise de l’océan Indien tandis que, lorsque vous quittez la villa par l’arrière, vous vous trouvez directement dans la jungle qu’on parcourt à bicyclette jusqu’à une plantation de cocotiers, au sud, et une forêt de takamakas, au nord (les plus anciens vestiges naturels de l’île). Ce sanctuaire privé a été bâti à la main par des artisans seychellois qui n’ont utilisé que les matériaux locaux — bois, pierre, chaume, palme et verre recyclé — et respecté l’architecture naturelle de l’île vallonnée, entre végétation, rochers granitiques et plages.

Les tortues étaient là bien avant l’homme

Cent cinquante employés invisibles veillent sur maximum 30 guests éparpillés sur 3,4 km de long et 2,2 km de large. Les autres espèces protégées sont encore plus rares : si les tortues de terre et de mer étaient ici bien avant l’homme, plusieurs spécimens d’oiseaux indigènes ont été réintroduits sur l’île tandis que des essences végétales anciennes ont repris leurs droits. North Island célèbre la nature, et il serait dommage de se priver des bavardages du vieil Eliott, le guide chargé d’organiser les rencontres entre l’espèce humaine et les autres.

Car la tentation est grande, une fois le massage-découverte savouré, de rester sur ses terres. Il faut dire que votre butler peut tout composer pour vous. Une sortie en mer, une pêche au gros, du kayak, de la plongée, une dégustation de grands crus. Vous pouvez réserver un morceau de l’île pour une soirée intime, un BBQ ou un banquet, dans le sable ou au coeur de la forêt tropicale, si le restaurant Piazza, la Honeymoon Beach ou le Sunset Bar vous semblent trop animés.

Les plus casaniers se contentent de la salle à manger extérieure de la villa. Le chef, qui s’est enquis de vos goûts dès l’arrivée, vient squatter la cuisine tandis que des mains invisibles dressent la table et mettent le champagne au frais. Le menu est décliné selon l’humeur de la marée, du chef et au gré de vos désirs. La fusion est à l’honneur, à l’image de l’archipel, et les eaux protégées sont poissonneuses à souhait mais le chef s’adapte. Ou plutôt, il est assez malin pour que la clientèle s’adapte à lui. Il paraît qu’un groupe d’Américains a testé le slogan “Rien n’est impossible” et commandé un McDo. Le chef a réussi à les convaincre de se laisser surprendre et leur a concocté un hamburger du cru. “Mais on aurait été le chercher”, assure le general manager, confiant en les qualités de diplomatie et de persuasion de son staff.

Eliott, la mémoire de l’île

Patrick, Harry et Brutus — 160 ans au compteur pour ce dernier — regardent avec bonhomie deux congénères se traîner comme deux saoulards sur le sentier. “Elles sont ivres !, se marre Eliott, qui a depuis longtemps jeté son compteur dans l’océan. Ces tortues se nourrissent de mangues maturées et sont gorgées d’alcool.”

La mémoire du North Island, arrivée sur l’île comme ouvrier de construction et devenu environment officer avec le temps, est incollable. Il a participé au recensement des espèces animales et végétales réalisé avant la construction de l’hôtel, puis à la remise en état de l’écosystème détruit par les fermiers et les squatters. Il gère le Centre d’observation et de reproduction des tortues et a réintroduit le pigeon bleu, le gobe-mouche noir et les rarissimes magpies robins et rouges-gorges des Seychelles. Il est responsable du potager géant et, charge suprême, de la rat-room où tout ce qui pénètre sur l’île est vérifié avant d’être déballé.

Il est cool, Eliott. Mais il faut être passionné pour le suivre. Pas un arbre ne manque à l’appel, tous ont un nom et une histoire. En plus, ils ont souvent des fruits, des feuilles et des troncs qui ont tous une raison d’être dans la nature et pour l’homme…et quand vous pensez qu’il n’y a rien à faire sur cette île qu’à vous balancer dans un hamac les pieds dans l’eau, vous avez tout faux. Après trois jours avec ce gars, vous ne connaissez encore rien. Entre les frangipaniers blancs et rouges et les tamarins, il y a aussi le déménagement des nids pour éviter que les prédateurs ne chipent les oeufs, les filets à étendre sur les sites de pondaison pour empêcher les crabes de manger les jeunes tortues, les noix de coco à cueillir avant qu’elles ne tombent sur un client, les déchets à recycler, les 15 jardiniers à superviser.

Eliott ne s’arrête jamais. Il a même pris sur son temps pour nous emmener à la station de météo, le plus haut point de vue de l’île. Pas loin de la croix qui surplombe l’océan et où Malik nous a emmenées un soir avant le coucher du soleil en disant : “Prêtes à être surprises ?”. Il avait allumé un grand feu sous la croix et préparé des coussins et des couvertures à côté d’une bouteille de champagne et des jus de fruits frais. Les bulles au-dessus des flots, avec le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers, n’avaient effectivement, à ce moment précis, pas de prix.

Et alors ?

Alors oui, c’est très amusant de se coucher par terre pour vérifier si le ventre des tortues est convexe ou concave (mâle ou femelle), de compter les anneaux entremêlés sur leur carapace pour connaître leur âge, de deviner s’il y a du golden apple et du bilimbi dans la salade du chef et de cueillir sans les toucher des barringtonias vénéneuses pour donner aux pêcheurs qui les adorent car elles attirent les poissons. Oui, c’est grisant de monter dans le bateau d’Evans pour pêcher le repas du soir — et d’entendre comment il dissuade les amateurs de se rendre au large et de “combattre” le poisson malgré le fait que les eaux seychelloises ne soient pas protégées. Oui, les petites randos dans la forêt de takamakas sont davantage propices au dépaysement que les marches Adeps. Oui, les plages du North Island et les eaux qui l’entourent sont paradisiaques. Oui, nous avons dormi dans le lit de Brad Pitt. Et alors ?

BÉATRICE DEMOL

LE PLUS CHER ?

Ce qualificatif attribué un temps au North Island (actuellement, à partir de 3.050 euros par nuit et par personne pour les villas n°1 à 10 et à partir de 4.800 euros par personne et par nuit pour la villa n°11)

se base sur le calcul très aléatoire du prix de la nuit à une date donnée. Chaque nouveau classement détrône un autre. Les classifications brouillent les cartes. City palaces, ecolodges, pieds dans l’eau, boutique-hôtel. Un management défaillant peut faire s’écrouler le château de cartes en une saison et l’e-réputation fausse la cote.

Une certitude : l’hôtellerie de luxe change. Les palaces traditionnels sont en train de secouer leurs édredons de plumes engageant des armées de designers et créateurs d’image afin de dépoussiérer leurs vieilles manies. Les écoles de butler font le plein pour former des guest experience makers, teen concierges, horcierges (pour les chevaux !), art concierge, etc. Faisant fi de l’hyper-technologie, on leur demande dé-sormais avant tout d’être des humains. On raconte que l’hôtel le plus cher est Le Président Wilson, à Genève. Oui, mais pour quel service, combien de majordomes, quel espace et, surtout, quelle atmosphère ? Le Burj Al Arab de Dubaï a beau être sublime à l’extérieur, ses sept étoiles autoproclamées n’embellissent pas un intérieur trop kitsch pour les nouveaux canons du luxe. Le Pacuare Lodge, au Costa Rica, lui, n’est accessible qu’en rafting, en kayak ou en se suspendant le long d’un filin au-dessus du rio, et ça c’est la classe.

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